Covid-19 : les malaises profonds que la pandémie révèle de nousIllustrationIstock
INTERVIEW. L'époque pandémique que nous vivons ne fait-elle qu'amplifier les symptômes de l'époque moderne et les stigmates de la contemporanéité ? C'est l'une des questions auxquelles ont tenté de répondre le sociologue et philosophe Edgar Morin et Pierre Rabhi, philosophe et écrivain, dans Frères d'âme, Ed. L'Aube. Échange avec ce dernier, écologiste convaincu.
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« Paupérisation, drames professionnels, lézardes affectives, infirmités psychologiques, fissures sociétales… » Selon Edgar Morin, sociologue et philosophe, et Pierre Rabhi, philosophe et écrivain, les crises que provoquent la pandémie de la Covid-19 à court et long terme sont encore, pour la plupart, indéchiffrables. Au cours d’une rencontre avec le journaliste Denis Lafay, relatée dans Frères d’âme, Ed. L’Aube, ils ont échangé sur les malaises profonds que cache la "déflagration sanitaire et humaine planétaire".

Si comme l’indique Pierre Rabhi dans l’ouvrage, l’origine officielle se résume à "un virus (qui) s’est formé sur un marché de Wuhan ou (qui) s’est échappé d’un laboratoire de Wuhan", il regrette que nous n’ayons "pas produit l’effort d’en rechercher la véritable cause". La pandémie n’est-elle pas aussi la "conséquence de notre comportement de démolisseurs, saccageurs et explorateurs ?", interroge-t-il en n’omettant pas de préciser que "l’homme détruit la planète vivante", et que "lorsque le permafrost des sols arctiques dégèlera, il libérera des virus et bactéries autrement plus mortels que contagieux".

Covid-19 : "La pandémie nous apprend que nous sommes fragiles et vulnérables"

"La pandémie nous apprend que nous sommes fragiles et vulnérables. L’être humain devrait arrêter de se croire au-dessus de tout. Il pourrait y avoir un virus encore plus mortel et l’Humanité pourrait s’éteindre en quelques jours", nous met en garde le philosophe.

"Nous ne sommes pas invincibles, c’est la grande leçon de cette pandémie qui devrait nous emmener vers un peu plus de modestie. Je ne suis ni scientifique ni expert, néanmoins le constat actuel du monde nous apprend que les atteintes à la faune, à la flore depuis des décennies ne peuvent pas être sans conséquence", confie-t-il à Planet.

Par ailleurs, ce besoin de retrouver notre "liberté" restreinte par de nombreuses mesures sanitaires, n’est-elle pas qu’une illusion ?

Coronavirus : la véritable privation de liberté n’est pas celle à laquelle on pense

Comme l’énonce Denis Lafay dans Frères d’âme, "nous nous focalisons sur la compression momentanée des libertés de se déplacer, de circuler, de commercer". Or, selon lui, la véritable privation de liberté (penser, critiquer, oser), est antérieure. Elle est la "conséquence d’une oppression et des multiples servitudes exercées, de manière déguisée, par le diktat consumériste".

D’ailleurs, pour le sociologue Edgar Morin, "la force de frappe considérable et planétaire des GAFAM" oriente et conditionne les consciences.

"Qu’est-ce qu’être libre ?", nous demande de son côté Pierre Rabhi. "Certains déplorent leur manque de liberté, mais sans prendre le temps de réfléchir à la signification du terme. Comme beaucoup, je me sens en restriction (déplacements..) car il y a une directive nationale et je ne suis pas le plus à plaindre !", nous confie-t-il.

Peut-on toutefois imaginer que l’épreuve pandémique peut modifier notre rapport à la fragilité ? Peut-elle présager une bifurcation bienfaitrice ou au contraire régressive ?

Crise sanitaire : le malheur peut-il devenir source de bonheur ?

La pandémie de la covid-19 met à l’épreuve notre résilience. Sera-t-elle toutefois solitaire ou collective ? Si les élans de solidarité se reconstituent à l’occasion d’un cataclysme, (tsunami, tremblement de terre, pandémie…), celle-ci s’étiole généralement rapidement. D’ailleurs, force est de constater que les mouvements collectifs ayant prospéré durant le premier confinement n’ont pas duré dans le temps. Le système économique consumériste et individualiste dans lequel nous vivons en est-il la cause ?

"Il existe toutes sortes de maux qui sévissent sur la planète, mais l’égoïsme est toujours présent", pointe l’écrivain Pierre Rabhi dans nos colonnes. "Chacun se tourne vers lui-même : des enfants meurent de faim depuis des décennies, tout le monde le sait et malgré les élans de solidarité, rien ne change", regrette-t-il.

Et de conclure : "Chacun de nous dans les événements de sa propre sa vie devrait se poser la question : soit faire des épreuves un enseignement et essayer de faire changer les choses - c’est la fameuse résilience très en vogue à l’heure actuelle- soit considérer les épreuves comme une brimade et les subir. Il me semble que la pandémie doit nous offrir des perspectives nouvelles pour ouvrir de nouvelles voies : nous devons comprendre pourquoi nous en sommes arrivés-là."