Chasseurs de pédophiles : quand des citoyens traquent et piègent les prédateurs sur le net
INTERVIEW. Ils sont une quarantaine d'enquêteurs amateurs à former la « Team Eunomie », une association loi 1901 qui traque sans relâche les pédo-criminels en ligne. Leur méthode : créer de faux profils de jeunes adolescents, et les faire mordre à l'hameçon avant de prévenir les autorités. La pratique est-elle légale ? Et comment se déroulent ses investigations hors du commun, et parfois très sombres ? Le fondateur de l'association, « Shiva », nous raconte.
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L’anonymat est de rigueur. « Shiva », comme il se fait appeler, est le fondateur de la Team Eunomie, une association loi 1901 dont la mission singulière n’est autre que de démasquer les pédophiles.

« J’ai décidé de monter cette association en décembre 2019, nous explique-t-il. « Je m’intéressais déjà à ce qu’il se passait au travers d’autres collectifs, ayant moi-même été victime d’abus quand j’étais enfant. A l’époque, on ne m’avait pas cru. Aujourd’hui, étant père de famille, la situation me touche encore plus, et surtout, j’ai pris conscience de l’ampleur des abus ».

Chasseurs de pédophiles : « Il y a de tous les profils »

Bientôt, Shiva est rejoint par de nombreux citoyens, qui, comme lui, veulent agir contre la pédo-criminalité. Aujourd’hui, l’équipe compte une quarantaine de personnes, répartis dans tout l’Hexagone. « Il y a de tous les profils. Ce sont des victimes, des mères de familles, des ouvriers, des agents des forces de l’ordre… », précise Shiva. Beaucoup de gens ont voulu nous rejoindre. Mais on ne peut pas garder tout le monde. Il y a bien sûr des critères de sélection, et il y a aussi des gens qui craquent en faisant ce travail… »

Car il s’agit véritablement d’un « travail ». En moyenne, Shiva et ses comparses consacrent deux à trois heures par jour à leurs investigations.

Le but de la « Team Eunomie », c’est d’agir en ligne pour traquer et piéger les prédateurs d’enfants. Shiva nous explique : « on crée de faux profils d’enfants de moins de 15 ans, et on les fait « vivre » comme des enfants lambda pourraient les alimenter. Et on attend d’être contactés. En général, on n'attend hélas pas très longtemps... ».

Chasseurs de pédophiles : « Enormément de prédateurs aux aguets »

« Tous les jours, on est contactés par des prédateurs. J’ai reçu plus de 900 demandes d’amis, la plupart venant d’hommes, mais il y a aussi des femmes », rapporte Shiva, qui ne s’attendait pas à une telle déferlante, et aussi rapide de surcroît.

« On ne s’en rend pas compte, mais il y a énormément de prédateurs qui sont là, aux aguets, sur internet. Il y a un réel grave problème », s’indigne le père de famille.

Masi à partir de quel moment les interlocuteurs de leurs faux profils d’enfants sont-ils considérés comme des prédateurs, justement ? Pour Shiva, la réponse est claire : « souvent, cela se voit assez vite dans les échanges. Il y a des questions du style « qu’est ce que tu portes pour dormir ? », qui peuvent sembler innocentes pour une petite fille, mais qui, nous le savons, ne le sont pas pour le prédateur. Et puis, il y a l’envoi de photos de leur sexe. »

Lorsque la conversation prend une telle tournure, les membres de la Team Eunomie montent alors un « dossier », avec captures d’écran et informations sur le profil du prédateur, qu’ils transmettent aux forces de l’ordre ou au procureur de la République. C’est un véritable travail de fourmi. « J’ai collecté au fil des mois plus de 2485 noms de pédocriminels qui nous ont écrit ou envoyé une photo de leur sexe. On ne peut pas tout envoyer d’un coup, mais on communique au fur et à mesure, dès que possible. »

Dans d’autres cas, les enquêteurs citoyens organisent une rencontre avec le prédateur, qui croit alors donner rendez-vous à un enfant. « Evidemment, on se ne rend jamais sur place, explique Shiva. Mais on prévient les forces de l’ordre qu’un homme s’apprêtant à rencontrer un mineur (fictif) à qui il a fait des propositions sexuelles se trouve à tel endroit, à tel moment ».

Chasseurs de pédophiles : « Notre but n’est pas de faire le travail de la police »

La pratique est tout à fait légale, note le fondateur de la Team Eunomie. « Ce qui est illégal, c’est l’incitation, d’envoyer par exemple des photos… Mais nous, on respecte le cadre légal à 100%, on est conseillés par une avocate, notre méthodologie est stricte. »

L’association a d’ailleurs permis l’arrestation de plusieurs suspects, dont certains ont été depuis condamnés.

« On est régulièrement auditionnés par les forces de l’ordre sur ces dossiers. Certaines brigades nous connaissent bien désormais. Parfois, quand on s’adresse à un nouveau commissariat, il arrive qu’on nous prenne un peu de haut au début. Mais quand on explique notre démarche, les policiers comprennent qu’on n’est pas là pour jouer les cavaliers, mais plutôt parce qu’on s’inquiète pour les enfants. Notre but, ça n’est pas de faire le travail de la police ou de la gendarmerie. On veut juste donner un coup de main. »

En moyenne, il faut un peu plus d’un an, selon Shiva, pour que la justice passe à l’action après leur signalement. Pendant ce laps de temps, l’équipe ne doit pas relâcher ses efforts. « On continue de parler avec le pédocriminel, on essaie de gagner du temps : on se dit que s’il parle avec 3 ou 4 de nos comptes, c’est autant de « vrais » enfants avec qui il ne parlera pas pendant tout ce temps ».

Chasseurs de pédophiles : « Cette personne venait de sortir de prison »

Au fil de leurs investigations, Shiva et ses acolytes ont découvert des situations ubuesques et particulièrement inquiétantes.

« Un jour, on a tapé sur Google le nom qui apparaissait sur le profil d’un homme qui avait fait des propositions sexuelles à l’un des nos faux profils. Et là, on tombe sur des articles. Cette personne venait de sortir de prison, elle avait été condamnée à 12 ans pour viols sur mineur, et était déjà prête à recommencer ».

Fin 2020, l’équipe parvient à traquer un prédateur, qui finit par être arrêté et condamné à un an de prison ferme. « Dès sa sortie, il est de nouveau entré en contact avec l’un de nos profils », raconte encore Shiva. « On lui a donné rendez-vous devant la mairie, au moment du second tour de l’élection présidentielle, en prévenant la police de sa présence. »

Le père de famille a même tenté de se rendre sur des forums, accessibles depuis le dark web, où les pédophiles échangent entre eux, et se donnent des « conseils » en toute impunité. « Je voulais essayer de comprendre leur mode de fonctionnement, la psychologie de ces gens, mais c’est impossible, c’est tout simplement incompréhensible », s’indigne-t-il.

Chasseurs de pédophiles : « On voit des choses horribles »

C’est d’ailleurs sur l’un de ses forums que Shiva est tombé, un jour, sur de violentes menaces à l’égard des membres de son association. Les insultes seraient habituelles de la part de cette « communauté » qui voudrait, selon Shiva, que la pédo-criminalité soit reconnue en tant qu’orientation sexuelle, au même titre que l’homosexualité. « C’est vraiment n’importe quoi. »

Pour faire partie de l’équipe, en tout cas, il vaut mieux avoir les nerfs solides, précise le fondateur. « O n voit des choses horribles, très compliquées. On a reçu de la pédopornographie à de nombreuses reprises. Et puis la violence dans le langage de ces criminels, les horreurs sur lesquelles ils fantasment… Il faut avoir un caractère assez dur », explique Shiva, qui explique que dans la Team Eunomie, la solidarité et le soutien moral sont de mise en tout temps entre les membres.

Aux parents qui pourraient s’inquiéter, il donne un conseil : « il faut qu’ils communiquent avec leurs adolescents. Beaucoup, pas peur de se faire punir, préfèrent cacher des choses à leurs parents. Et une petite fille un peu influençable va préférer se rendre au rendez-vous plutôt que de risquer que le prédateur révèle tout à sa mère, par exemple. Il faut c onstruire un vrai nœud de confiance, en leur expliquant que ça ne sera jamais de leur faute si un monsieur ou une dame leur veut du mal. Et puis, en cas de doute ou de suspicion, il ne faut surtout pas hésiter à f aire un signalement au plus vite ».

La Team Eunomie est sur Facebook.