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C'est LA polémique du week-end, qui est arrivée tardivement sans doute à cause des ponts de mai. D'après le militant écologiste Pierre Rigaux, connu pour ses prises de position radicales, le comté, qui figure parmi les fromages préférés des Français, serait un fléau pour l'environnement. Du moins la méthode de production de ce fleuron du patrimoine de notre gastronomie. Le 24 avril dernier, dans l'émission de France Inter La Lutte enchantée, il n'a pas mâché ses mots contre cette AOP/AOC dont nous sommes fiers, tout en conservant un calme olympien. La filière, il faut bien l'avouer, est pointée du doigt depuis des années comme responsable de la pollution massive de cours d'eau dans la région de Montbéliard en Bourgogne-Franche-Comté. Mais que lui reproche-ton exactement ?
D'après Pierre Rigaux, la production du comté serait quasiment devenue "intensive" sur les plateaux du Jura. Elle demande donc un très grand nombre de vaches montbéliardes, seule race bovine à pouvoir donner le lait avec lequel on fabrique ce fromage. Or, la quantité de leurs déjections "chargerait les sols en phosphore et en azote" qui se retrouveraient dans les cours d'eau, les polluant et mettant en danger la biodiversité.
Le militant, qui l'est également pour la cause animaliste, alerte aussi sur la maltraitance qui frappe selon lui les vaches montbéliardes, qui doivent "être inséminées" pour produire du lait. Et raconte que leurs veaux leurs sont enlevés après seulement 24 heures, ce qui relèverait de la cruauté. Entre autres détails sordides. Sa conclusion est directe (excessive ?) : "Si on avait un besoin vital de fromage à pâte dure, désolé ce n'est pas le cas nutritionnellement... Le comté si c'est mauvais écologiquement, si c'est mauvais pour les animaux, terrible même pour les animaux, est-ce que notre petit plaisir à se faire une tranche de fromage, c'est supérieur à tout ça ? Si oui, franchement [...] alors on est foutu." Vous pouvez retrouver l'intégralité de son intervention ci-dessous.
Nous n'avons pas pu joindre le Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté, sollicité de toutes parts. En revanche, cette intervention a suscité de très nombreuses réactions. Et le milieu se défend et répond. Un hashtag #TouchePasAuComté a même vu le jour sur X (ex-Twitter), à l'initiative de la préfecture du Jura.
De nombreux élus ont aussi réagi, comme Marie-Noëlle Biguinet, maire de Montbéliard citée par le site d'information ToutMontbéliard.com et pour qui, en matière d'environnement : "il y a bien d’autres choses à faire plus urgentes… Et après ce sera le tour du camembert, du munster, du reblochon ? Défendons notre gastronomie, notre patrimoine culinaire, notre histoire locale !"
Même son de cloche dans les éditoriaux de nombreux journaux et chaînes d'info continue. Sur LCI, l'essayiste Maxime Lledo s'insurge : "Le grand problème des écologistes, à chaque fois qu'ils voient un petit problème, le principe est l'interdiction totale. C'est quand même sidérant. La mécanique de l'interdiction permanente."
Suite à la publication du hashtag du préfet du Jura, Pierre Rigaux n'a pas tardé à réagir, de façon plus violente cette fois :
Et il a pu bénéficier d'un prestigieux soutien, celui de Bertrand Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. "Je trouve la communication de la préfecture déplorable. Il y a des entreprises qui ont été condamnées dans la filière laitière du Jura pour avoir pollué des rivières. Il y a une rivière qui s'appelle la Loue qui est aujourd'hui complètement ravagée. La question n'est pas du tout de savoir s'il faut manger du comté, la question c'est de savoir comment il faut le produire."
Du côté du parti Les Ecologistes, au vu des résultats des dernières législatives, on préfère se désolidariser complétement des prises de position de Pierre Rigaux. Pas folles les guêpes, qui se sont déjà mis la plupart des agriculteurs français à dos. Leur patronne, Marine Tondelier, adore manger du Comté comme vous pouvez le voir ci-dessous.
Les ex-Verts se sont même fendus d'un communiqué.
Alain Mathieu est producteur de lait à Comté dans le Jura. Il préside le Comité Interprofessionnel de gestion du Compté, justement. Nous lui avons demandé de répondre aux allégations de Pierre Rigaux.
Planet.fr : Quand Pierre Rigaux parle de production devenue "intensive" à propos du Comté, est-ce une réalité ?
Alain Mathieu : Il faut rétablir quelques réalités, se baser sur des données factuelles et accessibles à tous. La filière comté est une appellation AOP avec un cadre très précis à respecter concernant ses conditions de production. Elle ne peut se faire que sur un territoire délimité. C'est une première garantie qu'on offre au consommateur. Le lait est produit dans 2 400 fermes dans les départements du Doubs et du Jura, le nord de l'Ain et quelques communes de Saône-et-Loire. Ces fermes sont familiales et extensives. Nous revendiquons ces deux arguments dans notre cahier des charges. Chaque vache laitière dispose d'un espace de 1,3 hectare, soit plus de deux terrains de football. Ce cahier des charges limite aussi la taille des fermes et le nombre de bovins par producteur.
Planet.fr : Comment matérialiser le fait que les fermes soient "familiales et extensives" ?
Alain Mathieu : C'est défini dans notre cahier des charges. Nous sommes en train de finaliser le dixième qui est en cours de reconnaissance par nos organismes de tutelle avant homologation par les ministères de l'Agriculture et de l'Economie. Il va abaisser la fertilisation à 100 unités d'azote par hectare et par an alors que la norme française impose une limite de 170 unités. Nous avons choisi d'être bien en dessous car nous sommes soucieux de nos ressources en général, et l'eau en particulier.
Planet.fr : Justement, Pierre Rigaux parle de pollution des cours d'eau. Or une seule rivière en particulier, la Loue, qui coule dans le Doubs et le Jura, a été notoirement reconnue comme touchée par la production de Comté. Qu'avez-vous à lui répondre ?
Alain Mathieu : Nous nous basons sur du factuel, quand lui cite des études sans donner ses sources, ce qui est aussi une faute du journaliste qui ne les lui demande pas. Toutes nos études, qu'elles soient réalisées par le BRGM (Service géologique national; ndlr) ou Chrono-environnement démontrent que la sensibilité des cours d'eau aujourd'hui est liée à une pression multifactorielle qui est mise sur le milieu de par la diversité des activités humaines.
Planet.fr : Concernant cette pression, que faites-vous pour la réduire à votre niveau ?
Alain Mathieu : En plus de celles que vous ai citées, il y a, et c'est unique en France et je crois en Europe, une réflexion sur la période à laquelle nous "rendons" les éffluences des vaches - c'est-à-dire le fumier, ou lisier - aux plantes. Et je rappelle que le retour à la terre des déjections des animaux c'est ce qui existe pour nourrir les hommes. C'est le cycle même de la vie. Pour en revenir à l'épandage, nous avons essayé de nous baser sur les études pour trouver les périodes les plus propices. Dans le cahier des charges en cours d'homologation nous avons proposé la mesure des "200°C." Cela signifie qu'à partir du 1 er janvier, que l'on soit dans les zones basse ou les hauts plateaux du Jura, on additionne les températures positives de chaque journée et on attend qu'elles atteignent 200°C au total. Les études des agronomes montrent que c'est à partir de cette température cumulée que la végétation revit et a besoin de nourriture. Cette mesure vient en complément de la limitation de la fertilisation.
Planet.fr : La production a donc un effet bénéfique sur l'environnement ?
Alain Mathieu : Je rappelle que sur un territoire comme le nôtre, le massif du Jura, qui est occupé à 46-48 % par la forêt, les vaches montbéliardes et la production de comté permettent de conserver des espace ouverts. Et tous de nombreux chercheurs sont d'accord pour dire que le meilleur piège à carbone aujourd'hui, c'est l'herbe, c'est la prairie. Notre modèle d'agriculture met en avant un territoire, une race autochtone (la montbéliarde qui est là depuis toujours), une harmonie des paysages, la création d'emplois non délocalisables.
Planet.fr : Et les troupeaux ? Sont-ils démesurés comme semble l'insinuer Pierre Rigaux ?
Alain Mathieu : Encore un fois, chaque vache dispose de 1,3 hectare. Les fermes produisent 350 000 litres de lait par an, ce qui est en dessous de la moyenne française, qui est déjà en dessous de celle de beaucoup d'autres pays. Donc l'image d'une production qui serait celle de la ferme des "mille vaches" ne représente pas du tout celle du comté.
Planet.fr : Alors pourquoi s'en prendre au comté ? Un média parlait de "bouc émissaire" de la cause écologiste extrémiste. Vous aviez eu des signes avant-coureurs ?
Alain Mathieu : Non aucun, c'est pourquoi nous sommes très amers. Nous n'avons pas été interrogés, n'avons pas pu donner notre version. Ces attaques sont violentes et blessantes. Nous sommes engagés depuis longtemps pour l'environnement et la cause écologique mérite mieux que ces approximation qui divisent les gens. De plus, il y a le changement climatique qui vient compliquer notre travail.
Planet.fr : Donc la sécheresse ?
Alain Mathieu : On a des années sèches ensuite comme en des années de fortes précipitations. En période de sécheresse comme entre 2018 et 2022 les cours d'eau sont à sec ce qui impacte la biodiversité. Vous avez aussi des périodes de fortes pluies avec des phénomènes de "lessivage." Tout ça fragilise le milieu. L'année dernière on avait une abondance de foin ce qui n'était pas le cas les précédents, quand on se demandait comment on allait nourrir nos animaux en hiver. Quand vous subissez ça et que vous faites de votre mieux pour produire de la qualité avec le moins d'impact possible sur la nature, ces attaques sont blessantes et ça peut même être décourageant.
Planet.fr : Pensez-vous que cette polémique aura un impact sur la filière comté ?
Alain Mathieu : On verra dans les semaines qui viennent. Mais cela va plus que ça. Ces attaques visent nos campagnes, notre ruralité, notre agriculture. Je dirais même notre culture. Moi je suis fier de représenter cette filière. Quand on a demandé leur avis, comme vous, sur cette affaire, aux producteurs, aux fromagers, aux affineurs, personne n'a réagi de façon violent. Au contraire, on a invité les gens à venir voir comment on travaille et pourquoi, autour d'un morceau de comté, qui a 700 ans d'histoire.