Financement dépendance: "à l’assurance, je préfère la solidarité"abacapress
Claudy LEBRETON est le Président de l'ADF (Assemblée des Départements de France). Il explique dans une interview à Planet.fr le poids du financement actuel de la dépendance pour les départements français, et donne son avis sur la réforme à venir.

Comment expliquer en quelques mots ce qu’est la dépendance ?

Avant toute chose, le terme de « dépendance » utilisé par Nicolas Sarkozy, n’est, à mon sens, pas le plus approprié. Il traduit sans doute sa volonté de se confronter à la question la plus urgente : le financement des deniers moments de vie des personnes âgées. Alors qu’au sens large, c’est la question de l’autonomie qui est posée.

Il est très difficile de « cloisonner » la dépendance dans une définition. En effet, imaginez une personne physiquement fonctionnelle mais qui aurait perdu la raison, ou à l’inverse une personne qui a toute sa tête mais qui ne commande plus son corps… Aujourd’hui, les critères de dépendance, et donc le montant des allocations, sont classés selon un indice : les groupes iso-ressources (GIR), étalés de 6 à 1. 6 étant le premier stade de dépendance, et 1 le plus sévère.

Aujourd’hui, il n’y a jamais de débat philosophique et sociétal portant sur le sujet de la réforme, avant que celle-ci ne soit engagée . Il faudrait d’abord fixer les objectifs de résultats avant de déterminer ceux de moyens.

Dans le cadre de la réforme annoncée, il est clair que la perte d’autonomie est un risque, au même titre qu’une maladie - alors que le vieillissement ne l’est pas, puisqu’il est naturel et universel. Cela devrait conduire la société entière à s’interroger sur la dignité, la solidarité, l’humanité. Ce qui m’intéresse, donc, c’est le bien vieillir, qui doit être un objectif de société. Il faut s’interroger sur la façon la plus appropriée d’accompagner les personnes âgées, avec un auxiliaire de vie sociale s’il le faut, ou un système de vidéosurveillance pour leur permettre de rester chez eux. Beaucoup d’innovations ont été faites au niveau départemental. C’est un sujet passionnant, et on ne peut pas s’en désintéresser.

Quel rôle jouent les départements dans le financement de la dépendance aujourd’hui ? Et quelle part l’ADF compte-t-elle prendre dans le débat public ?

Actuellement les 102 départements de France financent trois types d’allocations :

  • l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA) : destinée aux personnes retraitées concernées, elle coûte un peu plus de 6 milliards.
  • la Prestation de compensation du handicap (PCH) : elle va aux personnes en situation de handicap, par l’intermédiaire des Maisons départementales aux handicapés, qui définissent les plans de financement d’accompagnement. Cela représente plus de 1 milliard d’euros.
  • le Revenu de solidarité active (RSA) : n’est pas pour personnes âgées, mais pour tous les individus qui en ont besoin. Cela coûte 6 milliards d’euros.

Le total représente 13 milliards 400 millions d’euros. Ce sont des allocations universelles (on est dans la philosophie du financement familial), puisque toute personne peut toucher ces allocations si elle remplit les conditions. Et bien sur ces 13 milliards, l’Etat compense aujourd’hui seulement à auteur de 7 milliards. Le reste est financé par les resso

En ce qui concerne spécifiquement la dépendance, les stades 6 et 5 des GIR sont entièrement financés par les Caisses de retraite, et les stades 4 à 1 par les départements. Mais si l’on considère l’enveloppe globale, les Caisses financent 20% et les départements 80% !

L’APA sert à payer les heures d’auxiliaires de vie sociale qui interviennent chez les personnes âgées. Toutes ces prestations sont notamment organisées par des associations, ou les entreprises privées spécialisées. Cela représente plus d’un million d’emplois spécifiques à ce secteur d’activité. Cet accompagnement se fait à partir des allocations versées, mais nous finançons aussi tout l’environnement autour de ces activités. Pour exemple, je peux prendre les actions de prévention contre les chutes des personnes âgées. Le département est aujourd’hui le fédérateur de toutes ces actions d’accompagnement.

Dans le débat qui est lancé, nous comptons jouer un rôle très actif. Je suis d’ores et déjà  invité avec une délégation à rencontrer Mesdames Roseline Bachelot et Marie-Annick Montchamp : il s’agit bien d’entamer les discussions. Madame Bachelot a été interviewé sur France Info  le 7 décembre dernier et je dois avouer que je suis un peu inquiet de ses réponses. Elle y expose sa méthode, qui consistera à rencontrer les organisations syndicales, puis les partis politiques, et enfin au troisième rang les partenaires. Je considère que nous avons autant de légitimité que le gouvernement ! Les élus locaux ont été choisis par 63 millions d’électeurs ! Une collectivité, ce n’est pas une ONG, et notre association est institutionnalisée par les lois de la République. Elle s’est même permise de dire à France Info que l’Etat finance l’APA, alors que les départements versent 5 milliards et demi. Après plus de vingt ans de décentralisation, les choses ne semblent toujours pas suffisamment claires. 

Que pensez-vous d’une centralisation du nouveau service, par exemple une prise en charge par la CNSA (Caisse nationale de solidarité active) ? Quelles pistent de financement peut-on envisager ?

Il y a selon moi deux solutions à notre problème :

  • Si l’on s’inspire du Conseil national de résistance et la création des quatre risques. Pour chaque risque, lié à une branche de la sécurité sociale, correspond une caisse qui gère le budget affilié. Si cette solution s’applique, la Caisse nationale de solidarité active (CNSA) s’apparente le plus à cette branche. Il faut noter que si les autres branches s’organisent entre l’Etat et la Caisse attitrée,  les collectivités territoriales devront demeurer le troisième partenaire de cette cinquième branche.
  • Le risque assuranciel est une alternative qu’il faut considérer. A mon sens, cette deuxième possibilité ne peut aller sans la première, quitte à créer un mix. Cela pourrait donner un socle de solidarité basé sur la CNSA, agissant via les départements, avec en plus une mutuelle privée optionnelle.

Personnellement, à l’assurance, je préfère la solidarité. Mais il ne peut pas être interdit au citoyen de s’assurer en plus. En matière de financement, les départements estiment que la CSG est la ressource la plus appropriée, étant assise sur les revenus. Posons-nous alors la question : les départements doivent-ils continuer de financer ces allocations ? Si tel est le cas, il faudra absolument qu’il y ait compensation intégrale – de la même façon, l’Etat devra tout financer s’il reprend cette responsabilité!

Kinésithérapeute de formation, Claudy LEBRETON est Président de l’ADF (Assemblée des Départements de France). Président du Conseil Général des Côtes-d'Armor depuis 1997, il a été Maire de Plénée-Jugon de 1977 à 2001. Il est Chevalier de la Légion d’Honneur