Réflexion : comment penser la question raciale quand on est blanc ?IllustrationIstock
INTERVIEW. Violences policières, remarques racistes volontaires ou dissimulées… Bien que l'on n'y prête pas toujours attention, les discriminations raciales font partie intégrante de notre quotidien. Gauthier Marchais, auteur du livre Le déni blanc, penser autrement la question raciale, (Ed. de l'Aube), nous invite à réfléchir et à reconsidérer ensemble, ce sujet si sensible.
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"Est-ce un privilège d’être blanc "? Voici la question que pose, dès le début de son ouvrage, Gauthier Marchais. L’auteur du livre Le déni blanc (Ed.  de l’Aube), tente au long de cet essai de démontrer que la question raciale ne concerne pas uniquement les "racistes" ou les personnes ciblées par le racisme, mais l’ensemble de la société. La mort de Georges Floyd aux États-Unis, après tant d’autres, puis plus récemment en novembre dernier en France, l’agression du producteur de musique Michel Zecler par des policiers, ont suscité l’indignation de tous. Comment se défaire des systèmes raciaux européens – disposition intellectuelle, psychologique et affective- qui altèrent le regard des Blancs et leur manière d’être au monde ? Entretien.

Planet. Dans votre ouvrage, vous indiquez que l’ignorance et l’invisibilité ont longtemps caractérisé la position des Blancs à propos de la question raciale. Fermer les yeux sur les actes racistes rend-il coupable ou dilue-t-il la responsabilité de la personne qui ignore ?

Gauthier Marchais. La question raciale ne concerne pas seulement les racistes. L’idéologie raciale construite à travers l’histoire européenne est un héritage que nous recevons tous. Mon objectif dans cet essai était de savoir où nous nous situions, en tant que Blancs, par rapport à cela.

Ce que j’appelle les régimes d’inégalités raciaux (héritage de cette période historique et la manière dont elle opère encore aujourd’hui), impliquent l’ensemble de la société, dont nous sommes responsables. Le fait de considérer qu’elle ne touche que les cibles du racisme est une façon de ne pas nous poser la question nous-même. D’autant que le racisme se cache partout…

Planet. Dans quoi se dissimule d’ailleurs le racisme latent ? Le langage, les préjugés, l’humour, sont-ils utilisés comme des dispositifs raciaux ?

Gauthier Marchais.  Absolument. Le racisme se cache un peu partout. C’est à la fois un legs historique et logique de hiérarchisation à caractère racial, souvent tue, qui continue d’opérer dans notre société. C’est la raison pour laquelle j’utilise dans mon ouvrage la métaphore de la "maison blanche", pour montrer que l’héritage des idéologies raciales n’est pas seulement ancré dans le domaine de la pensée, mais dans un ensemble de dimensions comprenant aussi le domaine social ou affectif.

Elle opère ainsi effectivement à travers le langage. Par exemple, on sait grâce au travail des sociologues que certaines questions dans les examens et concours, notamment les questions de culture générale, fonctionnent comme des ‘verrous sociaux’. Ainsi, elles peuvent aussi servir à discriminer en faveur de certains candidats ayant un bagage culturel spécifique, notamment les Blancs européens, qui se trouvent avantagés par rapport à ces questions. Ce n’est qu’un exemple, et j’analyse d’autres modalités du langage comme dispositif racial dans le livre. 

Quant à l’humour, qui a des fonctions importantes dans la société, c’est un domaine assez complexe. Il joue un rôle ambivalent en permettant d’exprimer des choses sous-jacentes et non-dites, de façon libérée, tout en prétextant qu’il ne s’agit que d’humour. Il peut donc être utilisé pour normaliser certaines formes de racisme, tout en s’en détachant.

Planet. Être Blanc, maison blanche, privilège blanc… Comment définissez-vous ces termes ?

Gauthier Marchais. Le terme Blanc n’a aucun sens au niveau biologique. Selon moi, être Blanc, c’est occuper un rôle social particulier dans les sociétés qui ont été marquées par l’héritage historique d’idéologies raciales, datant notamment de la  période esclavagiste et coloniale.

Comme l’ont montré de nombreux auteurs, être Blanc revient souvent à ne pas voir la question raciale, à ne pas considérer qu’elle s’applique à nous, les Blancs. C’est une forme de cécité, un certain déni par rapport au rôle du racisme dans nos sociétés.

Le privilège blanc est un ensemble d’avantages relatifs - matériels, sociaux, politiques, économiques – dans les sociétés marquées par des inégalités à caractère racial. Cependant, le terme ne saisit pas totalement une autre dimension qui a été soulignée depuis longtemps : une sorte de distorsion de notre humanité, dont j’analyse les fondements et les implications dans le livre, dans l’optique de comprendre comment nous pouvons nous en défaire.

Planet. Comment peut-on alors sortir de l’impasse, quand les choix stratégiques et politiques entrent en collision et se cristallisent autour de l’identité, l’autonomie, la réparation et le rapport entre minorités et majorité ?

Gauthier Marchais.  Premièrement, contrairement à ce que l’on pense, le racisme est aussi répandu en Europe qu’aux États-Unis. La différence vient toutefois du fait qu’aux États-Unis, les droits civiques ont libéré la parole au sein du débat public.

Sur le continent européen, bien que le racisme ait été au cœur des empires européens, il n’y a pas eu jusqu’ici de réelle grande réflexion, même si les langues commencent à se délier et qu’il commence à y avoir un vrai débat sur le sujet ; mais il reste encore beaucoup à faire, notamment au niveau de l’éducation sur ces questions.

Je n’ai pas de réponse simple et définitive pour sortir de cette impasse. J’ai toutefois l’impression qu’il y a une polarisation qui n’est pas nécessaire sur ces questions-là. Elles se superposent à des clivages politiques  depuis longtemps, alors qu’elles ne devraient pas être liées à une orientation politique. Ce sont des questions qui concernent tout le monde, il faut donc un dialogue collectif et citoyen sur ces problématiques. Il faut que tout le monde puisse se saisir de ce débat. J’estime qu’il est important de réagir en tant que citoyen, et en tant que société.

Dans le football par exemple, la question, qui n’était jusqu’à récemment pas débattue ou reconnue, évolue. Aujourd’hui, il y a enfin le début d’une reconnaissance et d’une réaction collective. Il en va de même de la société dans son ensemble, car la question raciale est un réel problème de société. De ce fait, tout le monde doit réagir, car il en va de notre responsabilité civique, de notre humanité.