Catho-conservateurs, retraités inquiets... Qui sont les électeurs de Zemmour ?AFP
Eric Zemmour sera-t-il président après Emmanuel Macron ? Il tente en tout cas d'élargir sa possible base électorale. Mais qui cherche-t-il à séduire ?
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Christophe Bouillaud est enseignant-chercheur à l'Institut d'Etudes Politiques (IEP, Sciences-Po) en sciences-politique. Il est spécialisé dans les domaines de la politique comparée, de la politique européenne ainsi que de la sociologie politique. 

Planet : Il y a peu, Eric Zemmour était parti à Versaille, dans l'espoir de séduire tout ou partie de l'électorat catholique conservateur. Il dit vouloir associer la sociologie des Gilets jaunes à celle de la manif pour tous. Une telle fusion lui offrirait-elle de quoi l'emporter ?

Christophe Bouillaud : Assez difficilement, je pense. Plus le temps passera, plus la campagne va avancer. Il lui faudra alors sortir du peu d’ambiguïté qui l’entoure sur les sujets dont il a moins parlé et les questions qu’il a déjà abordées seront davantage mises en lumière. Il apparaîtra donc mécaniquement plus clivant que ce n’est le cas aujourd’hui. Pour Eric Zemmour, c’est un problème : il est d’ores et déjà particulièrement clivant. Il risque donc d’engendrer une réelle hostilité à l’encontre de sa personne, de devenir une sorte de repoussoir pour toute une partie de la population. Y compris au sein d’une frange pourtant xénophobe de celle-ci. 

À la différence de Marine Le Pen, qui entretient de longue date un certain flou sur les sujets d’ordre social, Eric Zemmour a déjà fait part de ses ambitions néo-libérales. Il est pour un sévère recul de l’âge de départ à la retraite, une forte augmentation du temps de travail hebdomadaire entre autres mesures anti-sociales. De telles propositions rendent très difficile de séduire un électorat populaire. Il sortira donc de l’incertitude qui l’entoure à son propre détriment. 

Eric Zemmour peut-il réussir la fusion des électorats Gilers Jaunes et manif pour tous ?

Cela ne veut pas dire qu’il ne pourra pas récupérer une partie de l’électorat issu des Gilets Jaunes. Celle qui roule au diesel (et veut continuer à le faire) est probablement récupérable. La partie la plus sociale, dont les revendications portaient moins sur la seule dimension automobile, risque d’entrer en conflit avec les propositions de l’ancien éditorialiste. De la même façon, une large partie de la manif pour tous ne serait pas nécessairement difficile à convaincre : c’est le cas du pan le plus réactionnaire et les plus homophobes du rassemblement. En revanche, certains pourraient estimer que la vision de la France que porte Éric Zemmour n’est pas très compatible avec celle que porte l’Eglise. 

Fondamentalement, Éric Zemmour cherche à agréger une société de gens opposés aux divers changements de mœurs survenus ces 70 dernières années. Seulement, il existe dans cette société de grandes lignes de fracture. L’électorat catholique et conservateur à qui il a tenté de parler lors de son passage à Versailles, pour ne citer que lui, n’est objectivement pas très intéressé par la question sociale. C’est pourquoi le caractère très néolibérale de son projet économique ne choque pas.

Pour autant, il importe de rappeler sa grande différence avec Jean-Marie Le Pen, lui aussi plus libérale que sa fille. Chez Jean-Marie Le Pen, la nationalité primait sur l’ethnicité ; au moins dans le discours. Eric Zemmour porte un propos beaucoup plus à droite, puisque c’est désormais l’ethnie qui prime sur la nationalité. Par conséquent, on peut légitimement qu’électoralement parlant, le zemmourisme a tout d’une mission suicide : il peut rassembler un isolat de gens très énervés, très en colère et très anti-tout. Mais au final, il ne demeure qu’un petit noyau.

Que sait-on de l'électeur supposé d'Eric Zemmour ? Quelle est, précisément, sa sociologie ?

Christophe Bouillaud :  Le Cevipof s’est précisément posé la question et a réalisé à ce propos un sondage portant sur un échantillon de 14 000 électeurs potentiels. Il place Eric Zemmour au second tour en plus de s’intéresser à son électorat supposé.

En pratique, il en ressort un élément important : pour l’essentiel, l’électorat potentiel d’Eric Zemmour est interclassiste. Cela signifie que des Français - moins de Françaises, cela dit - issus de tous les milieux sociaux et de tous les âges. Ceci étant, force est de constater que les intentions de votes en faveur de l’ancien éditorialiste percent davantage auprès des classes moyennes et des classes moyennes supérieures. Tous ses électeurs supposés se démarquent par l’expression d’une obsession sur la question migratoire. C’est, à leurs yeux, la priorité des priorités. Tout est ensuite lu à son échelle.

Très peu de femmes au sein des électeurs d'Eric Zemmour

La présence en grande majorité d’hommes parmi ses électeurs supposés correspond assez à la réaffirmation par Eric Zemmour que c’est l’homme qui gouverne et non la femme. Du reste, il apparaît assez clairement que son électorat est assez similaire à un électorat d’extrême droite traditionnel… A ceci près qu’il est plus chic. Il est ici question d’une force politique plus bourgeoise que ne peut l’être celle du Rassemblement national (RN). 

Peut-on penser qu'Eric Zemmour soit en mesure de créer un vivier électoral pour l'extrême droite ? Quel danger représente-t-il potentiellement, sur le long terme ?

Christophe Bouillaud :  La candidature d’Eric Zemmour a cela de politiquement utile qu’elle révèle le niveau de xénophobie en France. Il n’est pas en train de créer un vivier électoral pour l’extrême droite : celui-ci lui préexistait. Cependant, il apparaît désormais évident qu’un socle électoral de 30% environ, composé d’un bloc bourgeois et d’un bloc populaire, est xénophobe. Il n’a simplement pas été créé par la magie de son verbe.

Les deux extrêmes droites réunies en 2027 ?

Je doute, par ailleurs, qu’Eric Zemmour ou Marine Le Pen puissent faire l’union de ces deux groupes. Le premier a d’ores et déjà beaucoup abimé la candidature de la seconde. S’y rattacher serait donc politiquement complexe. Un rapprochement entamé par Marine Le Pen apparaît aussi assez improbable, d’autant que même si elle le faisait cela ne trancherait pas la question de la politique sociale à laquelle l’électorat xénophobe et populaire demeure sensible. Il apparaît donc plausible que l’un comme l’autre se gênent davantage qu’ils ne s’aident.

Une fusion de ces deux blocs n’est pas pour autant impossible. Mais pas sur ces personnalités politiques.