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Planet : Jean-Michel Blanquer insistait récemment sur la nécessité de porter des "vêtements républicains", alors qu'en parallèle l'exécutif annonçait une réduction du protocole sanitaire à l'école. Le gouvernement a-t-il identifié les bonnes priorités dans la lutte contre le coronavirus ?
Christophe Bouillaud : Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est loisible de se demander si la communication gouvernementale ne cherche pas désespérément à embrayer sur toutes les polémiques de l'heure, pourvu qu'il ne s'agisse pas de la gestion de la lutte contre la pandémie. Les réseaux sociaux se gaussent d'ailleurs à juste titre de ces fameux "vêtements républicains" que suggère le ministre de l'Education nationale à l'attention de la jeunesse scolarisée. Personnellement, je ne sais pas ce que serait un "vêtement républicain" en 2020. Nous ne sommes plus en 1795. Il serait donc important que, vu la gravité des circonstances, ce ministre de la République ne dise pas n'importe quoi.
"Le gouvernement semble vouloir parler de tout, sauf de sa stratégie de lutte contre la pandémie" – Christophe Bouillaud
On pourrait citer dans le même genre la furia qui semble s'être emparé du ministre de l'Intérieur et de ses services à propos de la lutte contre la consommation et le trafic de stupéfiants, ou bien encore la loi à venir sur le "séparatisme" qui vise, sauf erreur grossière de ma part, exclusivement les islamistes et pas bien sûr les indépendantistes corses ou kanakes. Islamistes, qu'il serait tout de même fort complotiste de mettre à la source de la pandémie née à Wuhan.
De fait, le gouvernement semble vouloir parler de tout, sauf de sa stratégie de lutte contre la pandémie. Selon lui, la "guerre" contre l'épidémie a été gagnée au printemps dernier, et il ne faut plus revenir dessus, mais s'occuper de tous les autres sujets possibles et imaginables.
Emmanuel Macron et Jean Castex ont changé de ton : il s'agit moins de faire la guerre au coronavirus que d'apprendre à vivre avec. S'agit-il, selon vous, d'une façon de faire pertinente ? Que traduit-elle des nouvelles priorités de l'exécutif ?
Cette stratégie du "vivre avec" suppose que l'on puisse vraiment "vivre avec". Or la particularité d'une épidémie comme celle que nous connaissons est à la fois sa progression exponentielle, et les risques de plus en plus évidents qu'il ne faille pas seulement compter les morts mais aussi les personnes durablement affectés par les suites de cette maladie ("les Covid longs").
Le drame des Covid longs
De fait, même avec très peu de cas, un seul à la limite, tout peut repartir très vite. Emmanuel Macron fait visiblement le pari que cela ne repartira pas assez fort cet automne et cet hiver pour que les hôpitaux se retrouvent de nouveau dans une situation très difficile, et que la découverte et la large diffusion d'un vaccin permettront de tout faire rentrer dans l'ordre dès début 2021. Cela peut certes marcher en acceptant un nombre perçu comme raisonnable de décès rendus ainsi inévitables, mais c'est très risqué tout de même. En effet, que fait-on si, finalement, on ne trouve pas de vaccin ? Et aussi, que fait-on, si, aux morts, certes le plus souvent âgés, que le gouvernement assume de fait mais sans le dire, s'ajoute une large part de la population active qui souffre de troubles de santé à long terme à cause de ce coronavirus ?
De fait, tout cela traduit la priorité donnée par l'exécutif à la relance économique. Il est d'ailleurs très significatif que le gouvernement veuille bloquer toutes les activités de loisir gratuites qui mettent en contact les citoyens – en suggérant par exemple aux gens de ne plus organiser de réunions à plus de dix personnes dans un cadre privé – tout en n'ayant pas du tout fermé les restaurants et les bars, et encore moins les entreprises ou les lieux d'enseignement.
"Même avec un seul cas, tout peut repartir très vite" – Christophe Bouillaud
Il me semble toutefois que cette stratégie du "vivre avec" est contradictoire avec le fait que la France veut rester un grand pays touristique. En effet, qui va venir faire du tourisme en France depuis un autre pays plus sûr si nous y gagnons la réputation d'être un pays où le virus circule librement ?
Plus généralement, autant que je l'aie compris, des pays comme la Chine ou Taïwan, voire la Nouvelle-Zélande ou l'Australie, ont choisi la stratégie dite de la "suppression" du virus. Ils visent à avoir zéro cas sur leur territoire en ne lésinant pas sur les moyens. Comment allons-nous reprendre des relations normales avec ces pays si nous-même sommes dans une stratégie de laissez-faire, et que le vaccin salvateur n'arrive pas ? On peut même se demander si cette stratégie du laissez-faire ne va pas nous jouer des tours au niveau de nos relations avec nos voisins européens directs. Il suffit de voir la différence entre l'Italie et la France qui est en train de se créer.
Comment corriger le tir ? Y a-t-il selon vous des choses qu'il faudrait modifier ?
Déjà, il faudrait clarifier aux yeux de la population la stratégie suivie. On demande aux gens de se tester et on veut tracer, ce qui correspond à une stratégie de suppression, et, en même temps, on rend de plus en plus flou et inopérant le protocole sanitaire dans les écoles, à un point tel qu'on pourrait croire que l'on recherche à atteindre une immunité collective avant même l'arrivée du vaccin, ce qui n'est pas, j'ose l'espérer, la stratégie du gouvernement, vu le nombre de morts que cela supposerait d'accepter.
"Il ne faut pas donner l'impression que l'on godille à vue" – Christophe Bouillaud
Il faut choisir et être clair sur la stratégie. Il ne faut pas donner l'impression que l'on godille à vue. Surtout, comme je l'ai déjà dit, il n'échappe à personne que les choix du gouvernement ne reposent pas seulement sur des considérations de rationalité sanitaire, mais beaucoup sur des considérations de convenance économique vis-à-vis de secteurs d'activité capables d'imposer leur volonté au pouvoir. Imposer le port du masque en extérieur dans certaines villes est ainsi totalement incohérent de ce point de vue au moment où les bars et restaurants restent ouverts. Une "guerre" suppose un minimum de la cohérence dans l'action.
Et, à mon avis, l'un des problèmes qui va se poser, c'est qu'en cas de reprise très forte de l'épidémie sur le territoire français cet automne ou cet hiver, le président Macron et le gouvernement Castex auront du mal à échapper à leurs responsabilités, mais qu'aucune équipe de rechange ne sera disponible dans le cadre actuel de la Vème République. Un second confinement comme sanction de ces choix risqués faits ces jours-ci, qui en serait sans doute un sans le dire, serait sans doute un moment grave pour notre République.