abacapress
Monsieur le président, je vous écris aujourd'hui… Dans ce livre récemment paru aux éditions de l'Opportun, Sandrine Campese s'intéresse au fonctionnement du service méconnu de la correspondance présidentielle (SCP) mais également au contenu des courriers adressés par les Français au chef de l'Etat. Interview de l'auteure.

© abacapress

Planet : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?Sandrine Campese : "Le président de la République peut recevoir jusqu'à 500 000 courriers par an, ce qui est énorme. Je suis partie du principe qu'on était tous susceptibles un jour de lui écrire. Mais pour lui dire quoi ? J'ai donc voulu savoir ce que les Français pouvaient bien raconter dans leurs lettres et dans leurs mails… Par la même occasion, j'ai braqué les projecteurs sur le service de l'Élysée chargé de réceptionner les missives des Français et d'y répondre : le mystérieux Service de la correspondance présidentielle (SCP). Planet : Vous écrivez qu'envoyer une lettre au président c'est comme envoyer une lettre au Père Noël. Pourquoi ?Sandrine Campese : Il y a plusieurs éléments qui me font dire ça. Tout d’abord, comme pour le Père Noël, écrire au président est gratuit. En effet, il n’est pas nécessaire de coller un timbre sur son courrier si celui-ci ne dépasse pas 20 grammes. D’autre part, les lettres que les enfants adressent au Père Noël sont spontanées, naïves et pleines d’espoir… tout comme les lettres que les Français adressent au chef de l’Etat ! Et puis, à l’instar du Père Noël qui s’appuie sur toute une équipe de lutins pour répondre aux commandes enfants, le locataire de l’Elysée s’appuie sur une équipe de rédacteurs pour répondre aux courriers des Français.Planet.fr : Qui sont ces rédacteurs ?Sandrine Campese : Ce sont principalement des fonctionnaires. Mais en période de ‘rush’, comme pendant les mois qui suivent l'arrivée d'un nouveau président, des contractuels et des stagiaires sont recrutés pour faire face à l'afflux de courriers. Il n'y a pas de profil particulier, mais lorsqu'on travaille au service requêtes, il faut avoir le coeur bien accroché. Face à la détresse quotidienne de nombreux Français, les rédacteurs finissent par tomber en dépression et même parfois par quitter le service...Planet : En général, pourquoi les Français lui écrivent-ils ? Sandrine Campese : Les Français écrivent surtout à leur président pour lui demander de l'aide ! Pour trouver un logement, un travail, pour faire diminuer leurs impôts, augmenter leur retraites, faire ‘sauter’ leur PV… Dans certains cas, ces ‘requêtes’ peuvent recevoir un petit coup de pouce. Le reste des courriers sont surtout des courriers d'opinion, dans lesquels les Français réagissent à un sujet d'actualité, à une prise de position du chef de l'État. Certains vont même jusqu'à lui donner des conseils, comme ce lycéen de 16 ans qui écrivait au président ‘Vous ne comprenez rien à l'économie, voilà ce qu'il faudrait faire pour redresser le pays!’. Planet.fr : Vous parlez du "lien sincère qui unit les Français au président. Tous les courriers qui lui sont envoyés sont-ils donc sympathiques ? Sandrine Campese : A côté des courriers de ‘routine’ (requêtes et opinion), le président reçoit également des courriers atypiques. Cadeaux et déclarations d'amour côtoient ainsi lettres d'insultes et menaces de mort. Une lettre, adressée à Nicolas Sarkozy et accompagnée du dessin d'une guillotine, comportait même le message suivant : "Vous finirez comme Louis XVI". Ça fait froid dans le dos… Mais les menaces de mort ne sont prises au sérieux que si l'expéditeur a laissé ses coordonnées, semble déterminé et donne des indications précises comme par exemple sur l'emploi du temps du président. Le cas échéant, il peut être convoqué devant la justice pour répondre de ses actes. Certaines personnes adressent carrément des balles de petits calibres mais aussi de fusils d'assaut au président. Une rumeur raconte même qu'un doigt aurait été envoyé à Nicolas Sarkozy ! Bien sûr, le SCP épargne au président l'inventaire de ces lettres et de ces "cadeaux" macabres !Planet.fr : Vous écrivez également que parfois les lettres se substituent aux sondages. Le président y prête donc réellement attention ? Sandrine Campese : Une synthèse des courriers est portée à l'attention du président, ou du moins à son directeur de cabinet, tous les mois. Le président Hollande, qui, contrairement à son prédécesseur, recourt peu ou pas aux sondages y est particulièrement sensible. Il est vrai que les courriers des Français offrent une photographie intéressante de l'opinion publique. Contrairement aux sondages - dont les questions, par nature, orientent et enferment les réponses -, les courriers offrent une parole libre, spontanée et, bien souvent, argumentée. Ainsi, le président sait combien de Français se sont montrés favorables à telle mesure nationale. Je pense notamment aux courriers des anti-mariage pour tous qui ont été massifs, et ont continué à affluer plus de 3 mois après le vote de la loi ! Mieux : le courrier des Français permet d'anticiper certaines tendances de l'opinion. Par exemple, ce qu'on a appelé le "Taubira Bashing" (attaques racistes envers la garde des Sceaux Christine Taubira, ndlr) était perceptible dans les courriers dès le mois d'août 2013. Il n'a donc pas fallu attendre la Une de Minute en novembre pour s'en rendre compte.Planet.fr : Une centaine de personnes travaillent au SCP. C'est énorme, non ? Sandrine Campese : Oui ! Il y a avait 100 personnes qui travaillaient au SCP sous la présidence de Jacques Chirac. Depuis, les effectifs ont été revus à la baisse dans une logique de réduction des dépenses de l'État. Le SCP est en effet régulièrement épinglé par la Cour des Comptes. Aujourd'hui, 70 personnes travaillent au sein du service. Mais cela n'empêche pas les nombreuses requêtes qui affluent chaque jour de s'accumuler..."