Samuel Paty, “ensauvagement”, islamophobie… Le RN bientôt cannibalisé ?AFP
"Islamo-gauchisme", "ensauvagement"... Les ministres sont nombreux à emprunter des mots au dictionnaire de l'extrême-droite. Et cela ne plait pas toujours aux principaux concernés !
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"Le Pen avait raison", ont - sans hésiter - affirmé certains des invités de Pascal Praud, ce lundi 19 octobre 2020, quelques jours seulement après la découverte du cadavre de Samuel Paty. Le professeur d'histoire-géographie, qui enseignait à Conflans-Sainte-Honorine, a été tué par un terroriste islamiste pour avoir montré des caricatures de Mahomet - initialement publiées par Charlie Hebdo - durant un cours d'enseignement moral et civique. Depuis, l'exécutif n'a pas manqué de réagir, non sans ré-employer tout ou partie du discours d'extrême-droite. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, n'avait par exemple pas hésiter à dénoncer "l'islamo-gauchisme" de Jean-Luc Mélenchon ; qu'il a rendu complice de l'attentat, rappelle Le Parisien. Il est d'ailleurs loin d'être le seul à le faire au gouvernement, insiste le quotidien qui évoque estime que le patron des Insoumis et l'équipe de Jean Castex "ne cessent de se renvoyer la balle".

Il n'y a pas qu'à La République en Marche que l'on copie les thèmes et les références du Rassemblement national, analyse Le Figaro. Chez Les Républicains aussi, on observe une réelle droitisation du propos. Pour certains, pourtant Macron-compatibles, il faut même "arrêter l'immigration", purement et simplement. Une rhétorique connue… Chez le parti à la flamme. Et de toute évidence, ce dernier n'est guère enjoué à l'idée de voir ses idées et ses combats ainsi pillés. Marine Le Pen n'hésite pas à dire que ce n'est pas avoir tort que d'avoir raison trop tôt tandis que d'autres cadres de la formation l'assurent : "les Français préfèreront toujours l'original à la copie". Et le quotidien marqué à droite de rappeler le précédent Nicolas Sarkozy, en 2007…

Le Rassemblement national a-t-il gagné la bataille culturelle ?

Il devient désormais difficile de ne pas voir le glissement sémantique - et par conséquent politique - qui, peu à peu, s'opère en France. Avant l'assassinat de Samuel Paty, par exemple, le gouvernement se déchirait déjà sur d'autres notions propres à l'extrême droite, comme celle "d'ensauvagement". Cela n'a rien d'anodin, estime pour Planet le politologue Christophe Bouillaud. "Concrètement, la situation actuelle pourrait laisser croire que le Rassemblement national a d'ores et déjà gagné la bataille culturelle", commente le chercheur en sciences politiques, qui enseigne à l'IEP de Grenoble. "Ils n'hésitent d'ailleurs pas à le dire eux-même", poursuit-il. 

"N'oublions pas, cependant, que le gros de la classe politique française cherche à s'attirer la sympathie et les voix de l'électorat le plus âgé qui est aussi celui qui participe le plus. Généralement, il s'agit d'un noyau de matrice catholique, particulièrement sensible à ce type de discours. Du Rassemblement national à La République en Marche, tout le monde se concentre sur ce segment de l'électorat. D'un point de vue purement mathématique, c'est un choix assez rationnel, puisque c'est celui qui vote", nuance cependant le spécialiste qui est formel : tout cela n'est pas nécessairement représentatif d'un vrai glissement des mentalités à l'échelle nationale.

Faut-il craindre cette course à l'extrême-droite ?

"Passée la radicalisation des discours sur les plateaux des chaînes d'information en continu, qui s'adressent elle aussi à ce même public, la situation est beaucoup plus contrastée", note le chercheur, qui base son raisonnement sur les différentes études sociétales publiées ces derniers années. "Il y a un véritable écart entre la médiatisation de ces propos qui se durcissent depuis des années et les autres discours qui n'ont de cesse de s'affirmer plus tolérants avec les années", poursuit Christophe Bouillaud qui juge cependant que ce type de surenchère aura nécessairement un impact politique violent.

"La République en Marche arrive à la fin d'un long processus au cours duquel se sont enchaînées plusieurs lois sécuritaires. Désormais, on se heurte au mur des engagements internationaux de la France ainsi qu'à celui de sa constitution", alerte le scientifique qui estime que, "à droite une petite musique se fait de plus en plus forte : celle qui consiste à dire que, somme toute, l'Etat de droit ça commence à bien faire". 

Et lui d'asséner ensuite, sans ambages : "Aujourd'hui, sans sortir de l'Etat de droit et sans violer certains accords internationaux comme les droits de l'Homme et du citoyen, il devient difficile d'augmenter le niveau de répression en application. C'est pourtant la tentation que partagent La République en Marche, Les Républicains et le Rassemblement national".

Le Rassemblement national va-t-il vraiment perdre ce qui fait sa spécificité ?

De prime abord, la reprise de la rhétorique du Rassemblement national par tout ou partie de la droite et du centre peut sembler positive pour le mouvement initialement fondé par Jean-Marie Le Pen. Dans l'immédiat, pourtant, les élus RN semblent avoir pris une claque, note Christophe Bouillaud. Et pourraient, assure Le Figaro, perdre ce qui faisait leur "transgression" ; leur attrait.

"Bien sûr, ce genre d'attitude vient banaliser leurs idées autant qu'elle ne les dédiabolise. Ce n'est pas étonnant que le Rassemblement national n'ai pas su comment réagir, initialement. Mais sur le long terme, je suis persuadé que cela leur sera positif", analyse l'enseignant à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble. "Emmanuel Macron aura forcément du mal à les affronter sur un terrain très droitier. Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer sont deux hommes issus des rangs de la droite qui n'ont pas beaucoup à pousser le naturel pour tenir de tels discours. Le président, lui, vient du centre. Il lui sera donc difficile de rester cohérent s'il transitionne maintenant", pointe le chercheur qui estime qu'il ne serait pas complexe de le renvoyer à ses contradictions, sur l'Europe comme sur le libéralisme.

"Comment faire valoir une politique nationaliste sans entrer en conflit avec la vision de l'Europe qu'il n'a eu de cesse de revendiquer ? De même, il importe de rappeler que derrière la discrimination des musulmans de France, il y a aussi la question des intérêts économiques de l'Hexagone. Si Emmanuel Macron veut demeurer le champion des libéraux du pays, il lui faudra les comprendre", conclut l'enseignant-chercheur.