TÉMOIGNAGE. J’ai 24 ans et je vis dans un EhpadIstock
Meda, comme beaucoup d'étudiants, vit dans une colocation. Mais son logement n'est pas tout à fait commun : elle habite dans un Ehpad, au cœur de Montpellier. Le Centre communal d'action sociale de la ville développe ce concept depuis 2018, et il rencontre un franc succès, tant chez les jeunes, que chez les aînés qui résident dans ces établissements. Meda nous raconte à quoi ressemble son quotidien.
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Habiteriez-vous dans un Ehpad si vous n’y étiez pas obligés ? Meda, 24 ans, n’a pas hésité une seule seconde. Cette jeune étudiante en communication originaire de la République démocratique du Congo est arrivée à Montpellier pour ses études il y a trois ans.

Au début, elle se heurte à quelques galères côté logement. “J’avais réservé un logement depuis le Congo, et en arrivant, je me suis rendue compte qu’il s’agissait d’une colocation, alors que je voulais un studio. Et puis, c’était assez cher. Je payais 400 euros de loyer pour une chambre de 13m2”, confie la jeune femme.

Au moment du premier confinement, elle trouve un job en tant qu’agent social remplaçant à l’Ehpad Simone Gillet Demangel, à Montpellier. Problème : les transports sont à l’arrêt, et Meda habite à 5 kilomètres de l’établissement. Matin et soir, elle marche pour se rendre au travail et rentrer chez elle. 

“Et puis, un jour, mes collègues m’ont parlé de ce système de colocation étudiante au sein de l’Ehpad” se souvient-elle. 

Colocations étudiantes en Ehpad : favoriser le lien et lutter contre la précarité étudiante

En effet, le Centre communal d’action sociale de la ville de Montpellier (CCAS) a mis en place un curieux projet, il y a trois ans. “Le concept de la colocation a démarré en 2018, car on s’est rendus compte qu’il y avait beaucoup d’appartements vacants dans les Ehpads, qui correspondaient aux anciens appartements de fonction de la direction, à l’époque où, sans les moyens modernes de communication, ils avaient la nécessité de rester sur les lieux”, nous explique Françoise Bretton, directrice générale adjointe des politiques publiques au CCAS de Montpellier. “L’idée est alors née d'y installer des étudiants, pour  favoriser le lien intergénérationnel, en même temps lutter contre la précarité étudiante”. 

Les jeunes ne sont donc pas hébergés dans des chambres de l’Ehpad, comme les résidents. Ils ont leur propre appartement, des logements qui peuvent accueillir jusqu’à 3 étudiants. “Cela leur permet de conserver une indépendance, et une certaine forme de vie étudiante”, précise Françoise Bretton. 

L’un des avantages de ce projet, c’est le prix des loyers : de 180 à 290 par mois pour une chambre. Avec l’APL, “certains ont des loyers à 40 euros tout compris”, rapporte la directrice. 

En contrepartie, les locataires étudiants doivent offrir 3 heures de leur temps chaque semaine aux résidents. “Cela peut être en jouant de la musique pour eux, en leur proposant des ateliers, et même simplement en discutant”, précise t-elle.

Meda, étudiante vivant dans un Ehpad : “Pour moi, c’est plus qu’une famille”

Pour Méda, donc, l’occasion est à saisir. A la rentrée 2020, elle emménage donc dans cet Ehpad, qu’elle connaît déjà bien pour y avoir travaillé.  

Et c’est un grand succès. “Ma chambre, déjà, était beaucoup plus grande que dans mon ancien logement, et je ne payais que 200 euros de loyer. Mais surtout, au niveau relationnel, cela me plaît énormément”, raconte l’étudiante. 

Matin, midi et soir, elle croise les résidents dans les couloirs de l’établissement, et passe au moins 3 heures par semaine à leur tenir compagnie. “On fait des jeux de société, des ateliers coloriages, du dessin ou de l’écriture, de la peinture, du tricot… On met des films aussi, et parfois, on a des ateliers “discussion”, on essaie de leur faire parler de leur vie, à leur époque…”

Méda se complait dans ces relations intergénérationnelles, elle se sent utile et arrive très vite à se rapprocher des résidents. “J’ai la facilité de communiquer avec eux, et même les résidents un peu difficiles qui ne veulent pas quitter leur chambre, j’arrive à les faire sortir. C’est assez motivant, ça me fait plaisir de voir que je suis cette personne qui arrive à les aider, à leur faire faire des choses.”

Au fil du temps, le lien qu’elle a créé avec ses colocataires du troisième âge est devenu précieux pour Meda. 

“J’ai appris à les connaître, je connais leurs habitudes, leurs pathologies, leurs problèmes, et je suis attachée à presque tous les résidents. On s’entend hyper bien, certains m’appellent “ma copine” et me présentent à leur famille quand elle leur rend visite…”, détaille-t-elle. 

Pour l’étudiante, qui vit loin de ses proches, partager avec les résidents est un moyen de retrouver une forme de chaleur familière. “Ce qui me fait plaisir, c’est quand les résidents ont des comportements un peu maternels avec moi, par exemple ils me font des remarques quand j’ai perdu du poids… Pour moi, c’est plus qu’une famille”, assure la jeune femme.

Meda, étudiante vivant dans un Ehpad : “Ils ont tellement besoin de nous”

L’expérience lui a tellement plu qu’elle lui a même soufflé une vocation : elle veut devenir agent social. “Je me suis inscrite en master dans ce domaine pour l’année prochaine, j’espère que je serai acceptée. En vivant avec les résidents, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas mieux que de rendre le sourire aux gens, d’aider ces personnes qui ont tellement besoin de nous pour s’en sortir, car certains sont seuls et n’ont pas de famille…"

Du reste, dans sa colocation, l’ambiance est tout ce qu’il y a de plus classique entre étudiants. “On se fait des soirées crêpes, on reçoit nos amis… C’est vraiment chez nous”, rapporte Meda. 

Mais malheureusement, l’étudiante ne pourra pas rester éternellement dans cette résidence. “On limite la durée de séjour à 3 ans, pour que d’autres puissent aussi en profiter”, explique Françoise Bretton. LE CCAS a reçu près de 30 dossiers pour la rentrée 2022. Il faudra faire une sélection, car dans les 5 Ehpad montpelliérains qui participent au projet, il n’y a que 25 chambres pour les étudiants, et certains locataires ne comptent pas les libérer de sitôt. 

Pour Meda, qui vit à Simone Gillet Demangel depuis presque deux ans, il faudra donc quitter ses amis dans un peu plus d’un an. “Mais c’est sûr que je reviendrai, promets la jeune femme. Toutes ses personnes m’ont fait grandir, je ne vois pas la vie du même angle désormais”. 

“C’est une belle histoire de solidarité, il y a des amitiés, des échanges incroyables”, assure également Françoise Bretton, qui pilote le projet au CCAS. “On veut montrer que l’Ehpad est un lieu de vie, et ouvrir l’Ehpad sur l’extérieur, le rendre visible aux yeux du public et en faire un véritable lieu de vie, à des lieues de ce que l’on a pu voir pendant les scandales Orpea et Korian”. 

Elle précise toutefois que les étudiants qui participent aux colocations en Ehpad reçoivent en amont une formation avec un cadre de santé et un psychologue, pour être armés face aux situations parfois difficiles qui peuvent s’y produire.