Devrait-on supprimer la Vème République ?IllustrationAFP
Autoritaire, dévoyée et difficile à réguler… La Vème République a toujours fait l'objet de critiques très politiques. La "démocratie à la Française", unique en Occident, est-elle vraiment le meilleur des régimes ? Une chose est sûre : dans sa forme actuelle, elle cumule d'importants défauts. Explications.
Sommaire

"La Vème, une constitution sur mesure", taillée pour le général de Gaulle ? C'est là la question que posait La Chaîne Parlementaire (LCP), en mai 2018, pour les 60 ans du régime. Ils sont d'ailleurs loin d'être les seuls à souligner ce qui, pour certains, est un véritable état de fait. C'est en tout cas ce qu'avancent Myriam Encaoua et Pauline Théveniaud, du Parisien, dès 2017. L'idée d'un outil façonné par et pour le général est très ancrée.

Dès lors, un demi-siècle après le décès du père fondateur de la Vème République, comment expliquer qu'un costume pensé pour ce seul homme ait pu lui survivre ? Particulièrement quand on sait les critiques dont souffre ce régime. Déjà en 2013, le Front de Gauche militait pour une VIème République, prétextant que la précédente était déjà devenue obsolète dans une tribune au Monde

Plus récemment, en 2018, La Croix (article abonné) donnait la parole au professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau, pour qui "le grand absent de la Vème République, c'est le citoyen".

Déjà lors de sa fondation, en octobre 1958, le régime fait l'objet de fortes critiques. François Mitterrand, par exemple, était un fervent opposant à la Vème République avant son arrivée au pouvoir, ainsi que le montrent certaines de ses interventions à l'Assemblée nationale dont l'INA a gardé la trace.

La Vème République, un cas unique en Europe ?

"La Vème République est un modèle très particulier, qui ne connaît aucun équivalent au sein des démocraties occidentales ou même en Europe. C'est un régime présidentiel et force est de constater qu'il n'y a qu'en France que le chef de l'Etat continue d'accumuler les pouvoirs au fur et à mesure qu'avancent les années", souligne d'entrée de jeu le politologue Christophe Bouillaud, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'IEP de Grenoble.

"Au Portugal aussi, le président était institutionnellement très fort, mais il n'a eu de cesse de perdre ses pouvoirs depuis. Quelques nations ont un rapport au pouvoir similaire à celui de la France : c'est le cas des démocraties africaines, souvent issues de la colonisation et qui ont donc hérité d'une partie de notre culture politique, ainsi que des pays latino-américains", insiste-t-il. Et lui de préciser : "Partout ailleurs, notre modèle fait figure d'étrange exception et tout particulièrement auprès de nos partenaires de l'Union Européenne".

Vème République : un cas unique qui en dit long sur la qualité intrinsèque du système ?

Pourquoi avoir opté pour un modèle que tant de nos estimés voisins ont, eux, choisi d'éviter ? A en croire Le Figaro, il s'agit de faire la synthèse de la monarchie et de la République. L'INA met aussi en avant la critique du "régime des partis" que faisait le général Charles de Gaulle : il pointait du doigt l'instabilité ministérielle, le besoin d'un "état juste et fort". Selon lui, la IVème République incarnait un "théâtre d'impuissance", susceptible de conduire le pays au drame.

"La critique de la Vème République est ancienne. Elle remonte aux racines même de ce régime, comme en témoigne par exemple les interventions de François Mitterrand. Déjà à l'époque, le président est jugé trop puissant. Cette situation s'est d'ailleurs amplifiée avec le passage au quinquennat, qui a permis l'inversion du calendrier électoral", explique pour sa part Christophe Bouillaud.

Preuve en est, souligne le chercheur, le chef de l'Etat dispose même d'outils qui lui permettent de passer outre le pouvoir législatif. Comme sous la précédente mandature, il peut décider d'utiliser le 49.3 ou, à l'image de ce qu'a fait Emmanuel Macron, il lui est possible de procéder par ordonnances. Pour autant, ainsi que l'avait déjà précisé Planet, ces processus impliquent systématiquement une validation par l'Assemblée nationale.

"Peu importe", tranche pourtant le politologue. "Le système, tel qu'il a été conçu et amélioré, prévoit des pouvoirs si forts pour le président que celui-ci est en mesure de mater une majorité récalcitrante. Il est en mesure de dissoudre l'Assemblée. Au final il existe assez peu de mécanismes de protection, car c'est le chef de l'Etat qui peut, ou non, décider de les activer", détaille-t-il.

Et lui de rappeler "l'ultra-centralisation du pouvoir" autour des décisions du président. "La suppression de la taxe d'habitation en est un bon exemple. En faisant cela, Emmanuel Macron a étranglé les municipalités. Le pouvoir local ne peut rien contre celui de l'Etat : il dépend même de lui pour se financer", rappelle l'enseignant à Sciences-Po.

Vème République : un régime qui tend vers l'autoritaire ?

"Dans l'esprit de la Vème République, le président est le garant de la majorité des Français. Il est sensé représenter cette opinion prépondérante dans la société. C'est pour le vérifier qu'il peut faire appel au référendum, dont Charles de Gaulle, par exemple, a tiré les conséquences", explique Christophe Bouillaud, pour qui le régime actuellement à l'oeuvre est dévoyé dans son usage contemporain.

"Naturellement, la façon dont Emmanuel Macron exerce le pouvoir n'est pas illégale. Pour autant, il applique à la lettre, et de façon extrême, les pouvoirs que lui confèrent la constitution. Plus que ne le faisaient ses prédécesseurs", alerte-t-il, non sans préciser que tant que le chef de l'Etat ne se risquera pas à se soumettre à l'avis des Françaises et des Français, il ne risque rien. "S'il n'appelle pas de désaveu, lequel ne serait pas nécessairement synonyme de démission, il ne peut pas être contesté sur le plan institutionnel", résume le chercheur. C'est précisément ce rôle que jouent les sondages qui, selon lui, permettent de jauger l'opinion sans se mettre en danger.

"Aujourd'hui, et déjà lors des mandatures précédentes, l'attitude du président de la République consiste essentiellement à ne pas remettre en jeu son avantage. Or, parce qu'il incarne la continuité de l'Etat, il ne peut pas être renversé, quoiqu'il fasse et indépendamment de la politique qu'il mène. Tant que la loyauté des forces armées lui sera acquise, il n'y a – en théorie, au moins – rien qu'il ne puisse faire", analyse le spécialiste qui ne manque pas de rappeler que le seul moment durant lequel Charles de Gaulle fut inquiété constituait précisément l'un de ces épisodes de doute.

"La situation est d'autant plus grave que le pouvoir exécutif, fut-il celui d'Emmanuel Macron ou d'un autre avant lui, ne parvient plus à créer des majorités relatives représentatives. Aujourd'hui le président est élu par une minorité, qui l'emporte par le rejet", déplore le politologue. "Aucun régime n'est aussi disproportionnel dans les pouvoirs qu'il offre au président en dépit d'une faible adhésion, en Europe", poursuit-il.

La Vème République peut-elle vraiment être réformée ?

"Nos réformes ne se font jamais à froid. L'histoire de France l'a montré : jusqu'à présent, nos changements profonds de système ne se sont faits qu'à l'issue d'une crise majeure. La guerre d'Algérie ou la révolution en sont de bons exemples", estime l'enseignant-chercheur pour qui l'avènement d'un nouveau régime ne coule pas nécessairement de source.

"Pour autant, il est important que la France réforme la Vème République. Elle pourrait s'inspirer de ses partenaires européens en permettant une réelle décentralisation du pouvoir, avec la création de régions financièrement autonomes, l'entrée en vigueur d'élections avec une proportionnelle corrigée... Les pistes sont nombreuses", analyse Christophe Bouillaud.

Et lui de citer également la réduction des pouvoirs du président de la République, au profit du Premier ministre qui, dans la Vème République, demeure responsable devant l'Assemblée nationale. "Nous avons aussi besoin de plus de référendum, tels qu'ils sont gérés en Suisse. C'est à dire qu'ils n'ont pas nécessairement vocation à engager la responsabilité du gouvernement mais qu'ils doivent répondre à la volonté de participation des Françaises et des Français", propose le politologue.