"Un certain libéralisme entendrait faire passer le partage de la précarité pour de la justice sociale"Istock
TRIBUNE. Les retraités sont-ils privilégiés ? Ils sont parmi celles et ceux à avoir le moins subi le volet financier de la crise sanitaire. Pourtant, d'après l'économiste Frédéric Farah, il ne faut pas perdre de vue le véritable adversaire : une certaine forme de libéralisme qui monte les Français les uns contre les autres.
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Les retraités sont-ils privilégiés au regard de ce que gagnent les actifs ?

La réforme des retraites s'invite à nouveau dans le débat. Le gouvernement prétend voir dans ce projet, un vecteur de justice sociale. La réalité est sans doute autre. L'austérité budgétaire se prépare à peine à mots couverts pour répondre à la croissance de la dette publique. La protection sociale va donc assumer la charge de la désastreuse gestion de la crise de la Covid.

Les dépenses maladie et retraite représentent les engagements budgétaires les plus importants dans le budget de la sécurité sociale. Ce sont elles qui seront les variables d'ajustement des projets du gouvernement.

Doit-on souscrire à la petite musique qui circule parfois dans l'espace social, de voir les retraités comme des privilégiés ?

La retraite moyenne en France s'élève à 1422 euros en 2019, mais il faut préciser que le moyen de pension direct de droit pour les femmes est de 1096 euros, et 1777 euros pour les hommes.

Les retraités perdent du pouvoir d'achat et cela va continuer

Il est intéressant de voir qu'en termes de pouvoir d'achat, c'est une dégradation qui s'observe et le décrochage entre retraités et actif va se poursuivre. Depuis 1993, les différentes réformes de retraites dites paramétriques ont eu pour effet d'allonger la durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein, et ont rendu le calcul des pensions moins favorables.

Un rapide portrait de la situation s'impose. 

Les règles d'indexation des pensions diffèrent selon les régimes (fonction publique, régimes complémentaires AGIRC-ARRCO…). Entre 2003 et 2013, le pouvoir d'achat des pensions brutes a diminué de 0,4 point à l'ARRCO et de 2,4 points à l'AGIRC.

Dans le même temps , les taux des prélèvements sociaux sur les pensions de retraite ont augmenté, notamment dans les années 1990, d'où une évolution des pensions nettes moins favorables que celles des pensions brutes.

Plus encore dans son dernier rapport de novembre 2020, le Conseil d'orientation des retraites a indiqué que le niveau de vie des retraités devrait passer en dessous de celui des actifs. En 2018, il restait encore au dessus de celui des actifs. Gardons bien à l'esprit que le taux de remplacement des nouveaux retraités est moins intéressant que celui de leurs aînés.

La baisse du pouvoir d'achat a été liée à l'augmentation de la CSG, de la non revalorisation des pensions de base et de la complémentaire du privé.

Le niveau de vie moyen des retraités rapporté à celui de l'ensemble de la population s'établirait entre 88 et 92% en 2040 et entre 75 et 83% en 2070, alors qu'il est proche de 103% aujourd'hui. "Cet indicateur retrouverait alors des valeurs comparables à celles qu'il prenait dans les années 1980", rappelle le Cor.

Si l'on suit le dernier rapport du COR de novembre 2020, "au niveau individuel, pour les retraités présents/présents, les pensions ont connu au cours des 25 dernières années une érosion de leur pouvoir d'achat différente selon la génération, d'autant plus importante que leur pension est élevée. Ainsi, étudié sur cas type, le pouvoir d'achat d'un retraité non-cadre du secteur privé a diminué entre environ 3 % et 4 % selon les générations, entre l'année de leur départ à la retraite et 2019 ; celui d'un retraité cadre né en 1932 a enregistré une baisse de près de 14 %. Ces érosions s'expliquent principalement par les mécanismes d'indexation des pensions et par la hausse des prélèvements sociaux sur les retraités (notamment celle de la CSG depuis sa création au début des années 1990)".

Il est à craindre que la réforme systémique en cours de préparation amplifie les tendances à l'œuvre. La contraction durable de l'activité économique en raison de la présente crise, donnera des raisons supplémentaires au gouvernement pour réduire l'enveloppe des retraites. Sans compter que la progression du chômage et son installation dans la durée vont rendre les carrières de plus en plus heurtées.

Le gouvernement va insister le caractère privilégié des retraités

Le gouvernement n'hésitera pas à insister sur le caractère privilégié des retraités. Il ne s'agit pas de nier qu'il existe des catégories de retraites aux revenus plus conséquents qui ont bénéficié des modifications de la fiscalité, très largement en faveur du capital, comme le prélèvement forfaitaire unique.

Notre système de retraites n'a pas démérité, mais aujourd'hui il subit des réformes qui deviennent de moins en moins favorables aux salariés, et laissent subsister des inégalités qui deviennent de plus en plus importantes au moment même ou l'espérance de vie en bonne santé se réduit.

Réintroduire de la justice sociale ne peut se faire en laissant entendre que les retraités sont des privilégiés. Un certain libéralisme a une conception déroutante de la justice sociale, faire partager au plus grand nombre , la précarité.