Interview de Jack Lang : 'je ne suis pas un déçu du sarkozysme, je suis déçu pour l'Ecole'abacapress
L'ancien ministre Jack Lang a accepté de répondre à vos questions à l'occasion de la sortie de son nouveau livre "Pourquoi ce vandalisme d'Etat contre l'Ecole?". Il revient sur la polémique lancée par François Hollande sur l'embauche de milliers de fonctionnaires, la morale à l'école ou la campagne des primaires
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"La morale doit s'enseigner différemment aujourd'hui"

© abacapress

A l'approche de 2012, les propositions se multiplient pour la réforme de l'école. Formation des professeurs, développement du soutien scolaire... Quelle est la priorité ?

C’est à l’intérieur de la classe que le travail doit se faire. Tout le reste, notamment le soutien, sont des remèdes plus ou moins efficaces. Mais comme aujourd’hui beaucoup d’enfants perdent pied, les officines privées se multiplient, et elles ne sont accessibles qu’à certains.

Je dirais qu’il faut s’attaquer à l’architecture d’ensemble du système: les programmes, le nombre d’élèves par classe, l’esprit de l’enseignement. Le soutien dans la classe aux élèves, en s’appuyant sur leurs points forts, et non pas en les enfonçant, en les décourageant. Il faut d’abord redonner à l’école un encadrement, des programmes, un autre esprit, qui redonne leur confiance aux élèves. 

Le premier  reproche que je ferais à ce gouvernement c’est d’avoir détruit l’année rémunérée de préparation au métier. Cette rentrée-ci les nouveaux professeurs font leurs premiers pas sans avoir reçu aucune formation préalable, rien ! La première loi de la République sur l'école en 1879 portait pourtant sur la formation des maîtres, et la fondation des Ecoles normales. 

Nos internautes ont été plusieurs à exprimer leur regret quant à la disparition des cours de morale et d’instruction civique de leur époque. Qu’en dites-vous ?

L’instruction civique a, au contraire, gagné en ampleur et en nombre d’heures – de l’école au lycée. Le reproche que l’on peut faire c’est que l’instruction civique porte souvent sur des sujets trop difficiles ou inaccessibles à des enfants. Les institutions, les relations internationales, etc… Quant au principe de morale, j’ai le sentiment qu’il est présent dans nos écoles, sans que ça prenne nécessairement la forme d’un cours. Après tout, peut-être est-ce mieux que la morale imprègne l’ensemble de l’enseignement . Il ne faut pas une case close. 

Comment améliorer cela ?

Peut-être qu’il faut regarder de plus près. Mais il y a aussi beaucoup de clichés véhiculés dans les fausses officines politiques, notamment de droite - mais de gauche aussi -, selon lesquelles la morale aurait déserté l’école. Non, ce n’est pas vrai. Mais peut-être y a-t-il des améliorations à apporter. La morale doit s’enseigner différemment aujourd’hui, à travers des exemples concrets et l’attitude des professeurs et des élèves.

J’avais par exemple moi-même lancé une action sur le respect à l’école. Mais ce n’était pas seulement une directive ministérielle. Nous proposions aux élèves et aux professeurs d’imaginer des initiatives concrètes pour que le respect devienne une réalité, par exemple la mise au point du règlement intérieur. Ce qu’on appelle la morale est quelque chose qui doit se vivre, et pas forcément s’enseigner abstraitement.

Photo : Benjamin Quesnel pour Planet.fr

"La création de 16 000 à 18 000 postes par an est un minimum"

© abacapressNicolas Sarkozy souhaite que les mineurs délinquants soient encadrés par des militaires. Or, en mai 1992 vous aviez mis en place une coopération éducation-police pour lutter contre les violences. Est-ce comparable à l’idée de M. Sarkozy ?

Ça n’a rien à voir ! En effet, j’ai été le premier des ministres de l’Education nationale à prendre des mesures contre la violence à l’école où elle sévissait. Ça a d’ailleurs beaucoup étonné à l’époque, un nouveau ministre de gauche qui s’attaquait à ce sujet. Je considère que l’école doit être un sanctuaire, un oasis de paix et de respect. On avait organisé une coopération entre les ministères de l’Education nationale, de la Défense et de l’Intérieur, et j’avais donc fait appel à 10 000 ou 12 000 jeunes du contingent, à des stagiaires de la police. 

 

Cela a-t-il été efficace?

Ce fut très efficace, mais l’idée était plutôt préventive, et je crois que si j’étais resté j’aurais maintenu ces mesures. J’ai repris en 2000 une série d’autres mesures. Ce n’étaient plus les jeunes du contingent qui avaient disparu, mais des aides éducateurs, et il y avait eu des mesures de liaison entre les ministères, la campagne sur le respect, la création d’un baromètre national afin de dresser un état de la situation par établissement. En deux ans, les actes de violence ont reflué.

Dans une interview au Parisien parue mardi 13 septembre, vous défendez le projet de François Hollande pour l’Education, une « priorité absolue » selon vous. L’ancien Premier secrétaire a dit dimanche sur Canal+ « je n'embaucherai pas de fonctionnaires dans d'autres administrations. » N’est-ce pas excessif ?

Il y a une règle qui réunit l’accord de tous les socialistes, c’est l’abolition de la règle de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. A partir de là, il sera possible de recruter moins de fonctionnaires dans une administration que dans d’autres, notamment dans la Sécurité et l’Education, bien sûr. François Hollande s’est mal exprimé à mon avis, et a voulu dire qu’il ne créerait pas de postes nouveaux.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous convainc dans les propositions de François Hollande ?

Hollande reprend l’idée d’un plan pluriannuel de création d’emploi et de recrutement, tout simplement pour faire revenir les jeunes qui s’en détournent aujourd’hui ! Le gouvernement a tellement dégoûté les étudiants, qu’il y a des CAPES pour lesquels il n’y a quasiment plus de candidats ! Il faut faire éclore de nouveaux talents, et de nouvelles vocations, et un plan pluriannuel par lequel l’Etat s’engage clairement à faire une priorité absolue de l’école en cinq ans (ou moins) aura un effet un d’entraînement. Evidemment, ça ne résout pas la question de l’architecture de l’école, mais la création en moyenne de 16 000 à 18 000 postes par an est un minimum sans lequel on ne peut pas avancer.

Beaucoup ont rappelé que François Hollande parlait en avril dernier de "sanctuariser le nombre de fonctionnaires dans l'éducation » dès 2012. Pensez-vous que ce soit une volte-face ?

Il n’a pas changé d’avis ! « Sanctuariser » ça veut dire « protéger » dans mon esprit. C’est une dispute de technocrates, j’ai entendu ce débat ! Il s’agit d’épargner, de faire échapper ce ministère à la purge qui lui est infligée depuis cinq ans. Mais il y a différentes manières de sanctuariser. On peut le faire en n’infligeant aucune réduction ou suppression de poste, et on peut le faire aussi en améliorant l’encadrement. Donc à mes yeux, je ne le vois pas comme une contradiction.

 

"Je ne suis pas un déçu du sarkozysme, je suis déçu pour l'école"

 

En décembre 2010 sur LCI, vous déclariez soutenir Martine Aubry pour la primaire socialiste. Vous disiez : "elle a les capacités, la force de caractère" pour gagner en 2012. Est-ce toujours d’actualité ?

J’ai toujours pensé que Martine Aubry avait de très grandes qualités. C’est la raison pour laquelle je l’ai soutenue au moment du Congrès de Reims, et je me suis engagé auprès d’elle pour qu’elle devienne Premier secrétaire du Parti socialiste.

A présent, le débat est ouvert entre les différents candidats, disons que je souhaite me prononcer sur les questions de fond, plus que sur les questions de personnes. Quand Martine Aubry a annoncé à Avignon, en juillet dernier, qu’elle augmenterait le budget de la culture, j’ai dit : « bravo ». Et à l’époque certains candidats l’ont plus ou moins taclée. Et quand Hollande propose un plan pluriannuel de création d’emploi pour l’Education nationale, je dis aussi « bravo » ! Et malheureusement certains camarades n’appuient pas cette idée, ce que je déplore. S’il apparaît que tel ou tel candidat est plus proche des idées que j'approuve éventuellement je le soutiendrai.

En introduction de votre livre, vous expliquez que vous croyiez, au moment de l’investiture de Nicolas Sarkozy, qu’il pourrait devenir le « protecteur de l’école de la République ». Vous confessez même avoir « rêvé » d’un Président d’un nouveau style, inventant une nouvelle droite. Seriez-vous un déçu du sarkozysme ?

Déçu ce n’est pas le mot ! Comme je l’explique dans mon livre, je place l’école au-dessus de tout. S’il advient qu’un gouvernement qui n’est pas de ma sensibilité œuvre pour l’école, je n’aurais pas de raison de m’en plaindre. Et dans le passé, il y a eu quelques ministres de droite qui ont fait du bon travail ! Je pense que quand on s’intéresse à l’école, le premier des devoirs c’est un minimum de rigueur intellectuelle. J’ai donc en effet (quelques semaines, ça n’a pas duré longtemps !) espéré qu’à contre-courant de sa famille politique il allait faire quelque chose. Bon, je ne suis pas un déçu du sarkozysme, je suis déçu pour l’école

Dans votre titre, vous parlez de « vandalisme d’Etat ». Pensez-vous qu’il s’étende à toute l’action de Nicolas Sarkozy en tant que Président de la République ?

Si, mais mon livre portait sur l’école, mais malheureusement, cette même politique s’est attaquée aux hôpitaux, comme à d’autres services publics ! Mais pour l’école, le saccage a été beaucoup plus sauvage. Ce n’est pas que je m’intéresse pas autres sujets, mais l’école est un sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Accepteriez-vous un ministère si la gauche passait en 2012 ? Si oui, lequel ?

L’ancien président américain, Franklin Roosevelt, disait souvent : « je ne réponds pas aux ‘if questions’ ». Je ne suis pas dans cet état d’esprit : je souhaite réellement que la gauche gagne, et en particulier que ce soit une gauche de combat, d’imagination et d’action. Je ne voudrais pas que ce soit une gauche pépère. C’est moins mal qu’une droite brutale, mais quand même on peut espérer mieux ! En ce moment, globalement je trouve que les discours sont un peu trop sages et précautionneux. J’aimerais qu’on apporte dans le débat un peu plus d’élan et d’imagination. En écrivant ce livre, j’apporte ma contribution. Et quand le candidat sera choisi, j’apporterai mon concours s’il le souhaite, contre la majorité sortante. Le candidat sera un bon candidat !

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