INTERVIEW. Mort d'Agathe : que révèle l'autopsie du corps ?

Après la découverte par un promeneur du corps de la jeune joggeuse de 28 ans Agathe Hilaire t dans un sous-bois  le dimanche 4 mai, non du village de Vivonne dans la Vienne, le procureur de la République de Poitiers a réagi avec prudence. Le décès de la jeune femme, disparue justement depuis le 10 avril sans laisser trace après être partie faire son jogging habituel (environ 20 km à chaque sortie), depuis le domicile même de ses parents à Vivonne même, n'a été annoncé que le lundi.

Une autopsie rapide mais qui n'a rien donné

Le magistrat a même attendu les résultats d'une première autopsie pour communiquer. Malheureusement pour la famille, celle-ci "n'a pas permis de déterminer, à ce stade, les causes du décès" a déclaré Cyril Lacombe. Seule certitude, Agathe a été retrouvée assez loin semble-t-il du trajet qu'elle avait l'habitude d'emprunter. Nous avons demandé au docteur Éric Baccino, chef du service de médecine légale du CHU de Montpellier, de nous éclairer sur les quelques éléments en notre possession.

Planet.fr :  De nombreux interlocuteurs (médecins légistes, gendarmes scientifiques ou gradés) semblent avoir des opinions différentes concernant les possibles causes de la mort. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Docteur Baccino : Le seul qui pourrait avoir la bonne version est celui qui a fait la levée de corps et l'autopsie. J'apprends les faits au fur et à mesure.

Planet.fr : Sur BFM TV, Jean-Charles Fombonne, ancien commandant de la section de recherches d'Orléans a déclaré que "La seule piste qui pouvait être écartée était celle d'une mort par arme à feu", avant de nuancer ses propos : "compte tenu de la corpulence de la victime, la balle aurait pu traverser le corps, sans une trace".

Docteur Baccino : Cela dépend beaucoup de l'état de conservation du corps. La taphonomie post mortem, c'est-à-dire la dégradation, la putréfaction, varie considérablement d'un individu à l'autre. Mais surtout en fonction de l'environnement.  J'ai vu des corps se putréfier en 48 heures avec de l'humidité et des prédateurs "partout" et des corps retrouvés sur les hauts plateaux du centre de la France parfaitement conservés car congelés immédiatement.

Planet.fr : On ne peut donc rien affirmer à ce sujet ?

Docteur Baccino : Non c'est impossible d'affirmer ça, c'est trop radical.  Trois semaines après il est possible que certaines parties du corps soient très détériorées, que d'autres soient bien conservées et que l'on puisse voir dans certains cas des orifices de balles ou de coups de couteau. Encore une fois c'est très variable en fonction de l'environnement et du corps lui-même.

Planet.fr : Un orifice d'entrée de balle ça peut se "louper" ou ça paraît difficile ?

Docteur Baccino : Oui oui ça peut se louper si la peau autour a été grignotée : les mouches viennent pondre, les asticots se développent et détruisent l'orifice. Il y a des cas d'autopsie où l'on fait un scanner pour voir s'il y a une fracture sous-jacente.

Une mort naturelle d'Agathe est-elle possible ?

Planet.fr : Parmi les hypothèses, il y a celle de la crise cardiaque, puisqu'on l'a retrouvée loin de son parcours habituel. C'est envisageable alors que c'était une sportive accomplie ?

Docteur Baccino : C'est tout à fait envisageable. J'ai commencé ma carrière à Los Angeles et j'ai participé à l'autopsie d'un basketteur NBA victime d'une mort subite à 50 ans car il n'avait qu'une seule coronaire. Il avait fait toute sa carrière de sportif de haut niveau avec cette malformation cardiaque. Que vous soyez capable de faire du sport intensivement ne veut pas dire que vous ne pouvez pas mourir demain d'une malformation. Et vu la morphologie d'Agathe, 1,65 m pour 35 kilos, soit elle a vraiment une conformation très fine, soit un problème d'alimentation.

Planet.fr : Elle souffrait effectivement d'anorexie.

Docteur Baccino :  Cela ne favorise pas l'effort musculaire. Elle aurait pu avoir des problèmes métaboliques. Comme une hypoglycémie qui l'aurait privée de réserves. Si vous n'avez pas de réserves de gras, que votre foie n'a aucun gras pour libérer du sucre, à l'effort vous êtes plus exposé que les autres. Pour moi, s'il s'agit d'une mort naturelle par mort subite, la cause la plus probable est la crise cardiaque et en second une hypoglycémie avec manque de potassium. Ca entraîne des troubles du rythme et ça peut tuer.

Et l'hypothèse du suicide ?

Planet.fr :  L'hypothèse du suicide est-elle prématurée ?

Docteur Baccino :  C'est difficile d'en parler mais l'anorexie mentale est la maladie mentale la plus mortelle avec un taux de 14-15 %, soit plus que la dépression. C'est une hypothèse à considérer avec attention.

Planet.fr : Il semble que les résultats des prélèvements effectués lors de l'autopsie vont demander beaucoup de temps. Les enquêteurs sont très prudents.

Docteur Baccino : Ils ont raison. Si après tout ce qu'ils ont fait et qu'ils ne concluent pas à un homicide c'est que soit le corps est en trop mauvais état soit qu'il n'y en a aucun signe. Ils vont attendre les autres résultats pour déterminer des causes de décès autres : naturel ou suicide.

Planet.fr :  Les analyses sanguines prennent combien de temps avant de parler ?

Docteur Baccino : Il m'étonnerait qu'elles donnent quoi que ce soit. D'abord parce que du sang, il n'y en avait sans doute plus. Ils vont sans doute prendre de la rate s'il en reste, et encore. Sur un corps qui a passé trois semaines dehors on ne peut plus faire de dosage sanguin, mais éventuellement des dosages musculaires ou de la moelle osseuse. Si cela met en avant des produits, on ne pourra pas en connaître la quantité, c'est-à-dire s'il y a eu une dose mortelle.

Planet.fr : Concernant l'entomologie (étude des insectes) qui avait permis de démontrer que le corps du petit Émile avait été déplacé deux fois, dans deux environnements, va-t-elle demander du temps ?

Docteur Baccino : Oui. Pour montrer qu'il y a eu plusieurs "escouades" d'insectes et déplacement du corps ça peut être utile. Mais c'est très long : il faut aller sur place, prélever les pupes qui sont dessous, se renseigner sur la température qu'il a fait depuis la disparition. Il faut aussi prendre un morceau de chair de la victime pour voir comment les mouches vont s'y reproduire. C'est vraiment très long. Plusieurs semaines. Mais attention, ça vaut si c'est le cadavre qui a été déplacé. Si c'est le corps tout de suite après les faits, les mouches ne nous apprendront rien.