Le nourrisson de 18 jours né prématuré de deux mois avait disparu de la maternité du centre hospitalier Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois (93) le 21 octobre dernier. Alors que ses parents sont accusés...
- 1 - Affaire Françoise Pernin : le mystère de la mobylette rouge
- 2 - Affaire Françoise Pernin : « ça a été la consternation »
- 3 - Affaire Françoise Pernin : un témoignage troublant, 55 ans plus tard
- 4 - Affaire Françoise Pernin : enlevée le vendredi, séquestrée le samedi, étranglée le dimanche ?
- 5 - Affaire Françoise Pernin : l’enquête peut-elle être réouverte ?
Alexandra Pernin, une trentenaire originaire de la région parisienne, a grandi dans l’ombre d’un drame familial indicible. La sœur de son père, Françoise Pernin, a été victime d’un crime atroce, qui n'a jamais été élucidé.
Nous sommes en janvier 1967, à Villejuif, non-loin de Rungis et de l’aéroport d’Orly, dans le Val-de-Marne. C’est ici qu’habitent, à l’époque, le couple Pernin et trois de leurs jeunes enfants. Les deux petits derniers, Françoise, 15 ans, et Thierry, 13 ans, sont très proches. Françoise est une jolie jeune fille, mais elle souffre d’un léger handicap mental. « Il fallait l’aider à faire sa toilette à s’habiller », confiait à l’époque son papa, au Détective.
Du reste, l’adolescente, que ses proches surnomment affectueusement « Bibiche », est une enfant serviable, et elle a l’habitude d’aller faire quelques commissions pour ses parents en ville.
Le 13 janvier, elle doit justement se rendre chez le charcutier. Mais Françoise ne rentrera jamais. Au bout d’une heure, sa mère s’inquiète : elle envoie son frère faire un tour sur place. La vendeuse lui indique que l'adolescente vient tout juste de partir.
Pourtant, dans les rues alentour, malgré les battues organisées par le voisinage, aucune trace de l’adolescente. La famille alerte sans tarder le commissariat de Choisy-le-Roi, la ville voisine.
Affaire Françoise Pernin : le mystère de la mobylette rouge
Le lendemain, un avis de recherche est diffusé. Et très vite, les enquêteurs recueillent un témoignage troublant. Un homme résidant près des jardins ouvriers de la cité raconte avoir aperçu la disparue vers 19h30 le soir du 13 janvier, sur une mobylette rouge, en compagnie de deux jeunes garçons. L’un d’eux aurait même lâché, en direction de son camarade : « Eteins tes phares, tu vas nous faire repérer », rapporte le Détective.
Mais la piste est difficilement exploitable, à l’époque. Alors, les nuits passent, et l’angoisse grandit. Jusqu’au matin du lundi, le 16 janvier. Sur le chantier des Halles de Rungis, un ouvrier qui embauche à l’aube découvre avec effroi, dans un fossé creusé à la hâte, le corps retourné d’une jeune femme. « Elle avait les cuisses violettes, comme truffées de coups », confiera le témoin au Détective.
Affaire Françoise Pernin : « ça a été la consternation »
Le corps est autopsié. Il s’agit bien de Françoise. Elle a été étranglée, violée, et elle a subi de nombreux sévices corporels. Pour la famille, le choc est incommensurable. « C’est mon grand-père qui l’a su en premier. Et au départ, il ne voulait même pas dire ce qu’il s’était vraiment passé à ma grand-mère, c’était trop dur », raconte Alexandra.
Elle poursuit : « Mon père avait 11 ou 12 ans à l’époque, il était en vacances au ski au moment de la disparition de Françoise, et quand il est revenu, mes grands-parents n’ont pas osé lui avouer tout de suite ce qu’il s’était passé… Il avait un lien très fusionnel avec Françoise. Ils ont fini par lui dire la vérité, et là, ça a été la consternation ».
Et ce qui s’en suit ne viendra pas vraiment panser les plaies de la fratrie. Car malgré des centaines d’auditions, le crime demeure, pendant des années, non élucidé. « La police avait ciblé à l’époque un type de profil précis, qui aurait pu s’en prendre à ma tante : des jeunes hommes habitant les environs, âgés de 15 et 25 ans. Il y a eu énormément d’auditions. Mais sans ADN, sans toutes les techniques scientifiques que l’on connait aujourd’hui, il n’y a jamais eu de piste sérieuse », poursuit la jeune femme.
Affaire Françoise Pernin : un témoignage troublant, 55 ans plus tard
En 1991, le meurtre de Françoise est finalement prescrit, conformément aux délais en vigueur à l’époque. L’action en justice s’arrête. La famille ne saura jamais…
Sauf, si, par miracle, quelque chose permettait, 55 ans plus tard, d’élucider le drame. C’est le souhait d’Alexandra Pernin, la fille de Thierry, le petit frère de Françoise.
Elle n’était qu’une jeune adolescente, elle-même, lorsqu’elle a pris connaissance du sort de sa tante.
« C’est un peu flou, mais lorsque j’étais toute petite, je ne comprenais pas forcément... Et puis, un jour, j’avais de la fièvre, j’étais chez mes grands-parents, et ma grand-mère m’a installée dans sa chambre. Là, j’ai vu une photo d’une jeune fille, je ne savais pas qui c’était, mais elle ressemblait à mon oncle traits pour traits, se rappelle Alexandra. Et puis, au fur et à mesure, j’entendais mes grands-parents en parler, mon père aussi… En 2003, j’ai commencé à le questionner et j’ai su qui était Françoise, j'ai su ce qui lui était arrivé ».
Depuis, l’affaire la hante. « En 2015 je me suis intéressée à ce que l’on pouvait faire, même si les faits étaient prescrits depuis 1991. Il y avait très peu d’articles sur internet, alors il a fallu que j’aille à la BNF pour retrouver des articles du Détective et mener ma propre enquête », soutient la jeune femme.
Il y a peu, un rebondissement inattendu a créée, chez la trentenaire, un véritable déclic. L’année dernière, le père d’Alexandra reçoit un coup de fil, d’un de ses amis d’enfance. Ce dernier lui rapporte ce qu’un autre de ses camarades lui aurait confié. A savoir qu’il y a des années, en effectuant un déménagement chez deux frères de Villejuif, il aurait aperçu, dans leur garage, u ne mobylette rouge… « Il n’y en avait pas beaucoup, des mobylettes rouges, dans les années 1960. Donc forcément, ça pose question. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, à creuser. Même si malheureusement, ces deux frères en question sont aujourd’hui décédés », soutient Alexandra.
Affaire Françoise Pernin : enlevée le vendredi, séquestrée le samedi, étranglée le dimanche ?
Aujourd’hui, Alexandra veut que le dossier sorte de l’oubli. La tâche n’est pas des plus aisées. « C ’est difficile : mon grand-père est décédé, mon père était jeune, et il y a surtout très peu d’informations dans les médias sur cette affaire. Je dois remonter le fil par mes propres moyens », murmure t-elle.
Cependant, au regard des informations qu’elle a pu glaner ces dernières années, Alexandra est convaincue de deux choses : le meurtre de sa tante est un crime collectif, et l’adolescente connaissait au moins l’un de ses agresseurs.
« Ma tante était fragilisée mentalement, assez sauvage : elle ne serait jamais montée avec quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, explique-t-elle. Elle a été massacrée. Je suis convaincue qu’ils étaient plusieurs, et on pense aussi qu’elle n’a pas été tuée tout de suite, mais plutôt séquestrée dans un cabanon, dans un endroit assez reculé, où un voisin avait raconté qu’il avait entendu des cris tout le week-end. Elle aurait donc été enlevée le vendredi soir, elle aurait vécu les pires sévices sexuels, séquestrée là-dedans, puis elle aurait été tuée le dimanche soir, avant d’être retrouvée lundi matin. »
Pour Alexandra, il est évident que certaines personnes, à l’époque, savaient, mais se sont tues. « Villejuif à l’époque, c’était un peu la ville du grand banditisme, et il y avait aussi dans le quartier beaucoup de logements de fonctionnaires, notamment des policiers. On peut se demander si les criminels n’ont pas pu bénéficier de certaines aides, certaines complicités… Mais c’est la loi du silence, et personne n’a jamais rien dit ».
Affaire Françoise Pernin : l’enquête peut-elle être réouverte ?
Elle souhaite désormais récupérer auprès du tribunal les documents judiciaires de l’époque. Dans l’espoir d’y trouver quelques informations précieuses pour la suite de son enquête « maison ».
« C’est très dur, mais j’ai envie de le faire parce que, déjà, ces sujets me passionnent, comme beaucoup, mais tout simplement, aussi, parce que c’est ma famille, déclare Alexandra. Ma grand-mère ne s’en est jamais remise, mon grand-père, lui, en parlait peu mais il souffrait beaucoup, et mon père, ça l’a terriblement meurtri : même encore aujourd’hui, le sujet est très sensible pour lui. Peut-être qu’on peut, au moins, avoir des éléments de réponse aujourd'hui. » 55 ans plus tard, le pari semble presque impossible.
Mais même si le crime de Françoise est prescrit, il reste une chance. Dans le droit français, lorsqu’un nouvel élément troublant refait surface, parfois même des dizaines d’années après un crime, il est possible que la justice ordonne la réouverture d’une enquête pour des faits pourtant prescrits.
Ce fut le cas pur plusieurs des victimes de Michel Fourniret, lorsque le tueur a été arrêté en 2002. Ou encore, plus récemment, pour l’affaire Françoise Hohmann, la première victime présumée de Jean-Marc Reiser, disparue en 1987.