Succession : "Il est légitime de demander un nouvel allègement des frais"Istock
Plusieurs candidats proposent l'allègement des frais de transmission. Une mesure qui semble convaincre l'ensemble des Français, rappelle l'économiste Philippe Crevel. A raison ?
Sommaire

Philippe Crevel est économiste. Il dirige le Cercle de l’Epargne ainsi que la société d’études et de conseils en stratégies économiques Lorello Ecodata.

Planet : De nombreux candidats se sont prononcés en faveur d'une réforme de la succession en France. Cette dernière vous paraît-elle nécessaire, notamment à l'aune du récent rapport réalisé par le Conseil d'analyse économique ? Dans quel sens doit-elle théoriquement pencher ?

Philippe Crevel :La thématique de la succession est un sujet très passionnel en France, ce qui signifie qu’il n’est que rarement abordé de façon rationnelle. La majorité du temps, ce n’est pas le cas et les prises de positions - quelles qu’elles soient - engendrent toujours beaucoup de réactions ; dont l’essentiel sont souvent peu raisonnées. Ceci étant dit, il faut reconnaître que le Conseil d’analyse économique a soulevé des questions intéressantes ; relatives notamment à l’accroissement de la concentration du patrimoine que l’on observe entre autres du fait du vieillissement de la population hexagonale. 

Il n’est pas faux d’indiquer qu’il est en France de fortes inégalités patrimoniales. Pour autant, il faut savoir raison garder : le problème apparaît relativement modéré dans notre pays par rapport à d’autres nations du monde. Pour y remédier, le Conseil d’analyse économique évoque d’ailleurs la nécessité d’un impôt sur les successions plus fort et le besoin de revenir en arrière sur plusieurs mécanismes d’allègements des droits de succession comme l’assurance-vie ou le dispositif Dutreil.

Succession : pourquoi les Français ne veulent pas payer plus

Le fait est, pourtant, que la population française dans son ensemble appelle à de plus en plus d’abattements. Nombre de nos concitoyens craignent en effet le jour où il leur faudra à leur tour être soumis à l’impôt. C’est une crainte assez exagérée, dans la mesure où une majorité d’entre eux sont aujourd’hui exonérés de droits mais elle témoigne de la très forte sensibilité populaire sur cette question ; ce qui n’a rien d’étonnant : l’essentiel du patrimoine légué en France est immobilier. Or, les biens immobiliers ont vu leur valeur considérablement augmenter ces dernières années. Les gens ne vivent pas nécessairement mieux, mais au regard de la loi en matière de succession, ils touchent du doigt des situations où il n’est plus possible d’hériter sans vendre l’ancienne maison familiale.

Succession : non, l’allègement des frais ne profite pas à tous

Planet : Pour l’essentiel, les candidats proposent une réévaluation des plafonds d'abattement. A qui profiterait ce genre de transformation, très directement ? Quels sont les bénéfices indirects ?

Philippe Crevel : Cela va sans dire : sur le plan direct, de telles évolutions profitent évidemment aux catégories socio-professionnelles les plus avantagées. On parle donc des cadres supérieurs, des professions libérales ou des indépendants ; par exemple. Les ouvriers et les employés profitent très rarement de successions dont le montant approche les 100 000 euros et sont donc quasi-systématiquement exonérés d’impôts. Cela signifie qu’ils ont peu de raison de s'intéresser à de tels allégements supplémentaires.

Et pourtant, les différentes enquêtes dont nous disposons aujourd’hui permettent d’affirmer qu’une majorité d’entre eux s’avère aussi favorable à l’augmentation des plafonds d’abattement : ils espèrent un jour bénéficier d’un héritage plus importants que prévus sans avoir à craindre de ne pas pouvoir payer les droits de succession. C’est à cela que l’on doit le large consensus qui existe aujourd’hui sur la question de l’héritage.

Ceci étant, force est de constater que l’héritage tel qu’il existe aujourd’hui en France peut être critiqué ; ce que fait d’ailleurs le Conseil d’analyse économique. Plus on hérite tard, plus on a un rapport conservateur au patrimoine reçu, ce qui pousse généralement à ne pas l’utiliser de façon très productive.

Succession : faut-il supprimer l’héritage ?

Planet : Certains candidats, comme Jean-Luc Mélenchon, militent en revanche pour une révision parfois plus stricte des droits de succession. Existe-t-il, en France, une mouvance anti-héritage particulièrement prononcée ?

Philippe Crevel : Rappelons d’abord que l’idée d’actualiser les plafonds d’abattement se défend aisément, compte-tenu de l’appréciation de la valeur des biens immobiliers. La valeur du patrimoine a considérablement augmenté, ce que n’a pas fait le plafond de l’abattement. Forcément, cela signifie qu’il est proportionnellement moins important qu’il n’a pu l’être par le passé. En valeur relative, son montant a donc diminué.

Du reste, je ne crois pas qu’il existe en France une mouvance anti-héritage majoritaire. Les militants politiques qui tiennent de tels discours sont assez marginaux, puisque la très grande majorité des Françaises et des Français - en témoignent diverses études - se prononce pour davantage d’abattement sinon tout simplement la suppression des droits à payer sur la succession ; ce qui ne saurait être bon en matière de lutte contre les inégalités.

Les Françaises et les Français, cependant, brossent un autre portrait dans le cadre de très grosses fortunes, comparables à celles de personnalités comme Bernard Arnault. Dans ce cas-là, il devient raisonnable de les taxer très fortement, semble-t-il…