
Le profil d’Owen L., principal suspect dans le meurtre de Louise, 11 ans, se précise. Décrit comme un jeune homme violent et difficile à vivre, il évoluait pourtant dans une famille perçue comme "sans...
En 1997, Xavier Dupont de Ligonnès et Bruno de Stabenrath se rencontrent sur les bancs du lycée Saint-Thomas d’Aquin, à Versailles. Très vite, la complicité s’installe entre ces deux fans de rock et de motos, qui parlent de filles et rêvent de voyages sur la route 66. C’est le « Ligo » et le « Stab », Starsky et Hutch, deux adolescents qui tentent alors de grandir à leur façon comme ils le peuvent dans le milieu traditionnel et catholique de la cité du Roi Soleil. Leur amitié va ensuite traverser les âges. Après le bac, Bruno poursuit sa carrière d’acteur. Xavier, lui, choisit une voie plus traditionnelle : il rencontre sa femme, Agnès, avec qui il fonde une famille et déménage, plus tard, à Nantes.
Les contacts se font alors plus rares entre les deux amis, que trop de choses séparent. Mais leur complicité demeure intacte. En 1996, Bruno de Stabenrath est victime d’un terrible accident de voiture, qui le rend paraplégique ; Xavier se montre très présent pour lui. Bruno, lui, assiste pendant des années en témoin aux grands évènements de la vie de son acolyte du lycée ; il rencontre sa femme, l’entend parler de ses enfants… Et ne voit rien de sa lente descente aux enfers.
Un matin d’avril 2011, Bruno de Stabenrath, sans nouvelles de son ami depuis plusieurs jours, apprend que c’est toute la famille qui manque à l’appel. Il découvre l’existence du fameux courrier « Coucou tout le monde », envoyé par Xavier à quelques proches, prétextant une délocalisation express en Australie dans le cadre d’un programme de protection de témoins.
Quelques jours plus tard, les enquêteurs découvrent les corps d’Agnès Dupont de Ligonnès et des quatre enfants du couple sous la terrasse du 55, boulevard Schuman, à Nantes.
Xavier, lui, est introuvable. Peu de temps après le crime, il a pris la fuite, direction le Var, où sa trace se perd définitivement le 15 avril 2011, à la sortie du parking de l’hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens.
Depuis, Bruno de Stabenrath est hanté par le geste de son ami, et torturé par cette question : où se cache-t-il ? Car l’ami est convaincu d’une chose : Xavier Dupont De Ligonnès est bien vivant. Pendant 10 ans, il va fouiller, chercher, tenter de comprendre.
En 2020, il compile ses recherches et raconte son amitié hors du commun avec « l’homme le plus recherché de France », dans un livre, à la fois enquête et lettre ouverte à son camarade perdu, L’ami impossible (Gallimard). Entretien.
Bruno de Stabenrath : Dès le début de l’affaire, j’ai commencé à mener mes recherches. La plupart des amis étaient un peu effrayés par l’affaire. Moi, j’avais besoin de savoir, tout de suite, de comprendre, de retrouver des gens qui le connaissent, des gens de sa famille. Sauf qu’il m’a fallu pas mal d’années pour retrouver ces gens dont beaucoup se cachaient… En dehors de l’affaire, je me suis toujours passionné pour les affaires criminelles. Donc il fallait que je fasse tout cela sérieusement, que j’arrive à me procurer les dossiers de police… Cela a pris évidemment beaucoup de temps.
Bruno de Stabenrath : C’était un garçon très sympathique, chaleureux, qui avait beaucoup d’humour. Il n’a jamais vraiment changé. A la fin, on se voyait une deux fois par an, et il était toujours ravi de me voir, on était des vieux copains, on retrouvait nos paradis perdus. Il avait été très touché par mon accident de voiture. Il était plutôt bienveillant, et quand bien même, il ne m’aurait jamais raconté ses soucis, j’étais en fauteuil, il n’allait pas me parler de ces problèmes existentiels.
C’était un type charmant, pas un mec violent, psychopathe ou psychotique. C’était vraiment quelqu’un de normal.
Bruno de Stabenrath : Pas du tout. On se voyait peu, car on n’avait pas le temps, et on n’était pas dans la même vie. Il m’invitait beaucoup à Nantes, mais sa maison n’était pas adaptée. Pour autant, je ne l’ai pas vu changer.
Je connaissais sa femme, bien sûr, mais je n’ai jamais beaucoup vu Agnès, qui était dans la construction de sa famille. Et puis, Xavier lui-même était tout le temps sur les routes. Il passait très peu de temps avec sa famille.
Je pense qu’il avait assumé très tôt d’adopter le fils d’Agnès, d’avoir trois autres enfants, de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille… Mais ça n’était pas la vie qu’il voulait, quand on était ados. Il voulait être riche, voyager. Il aurait adoré être un père avec beaucoup d’argent, s’installer aux Etats-Unis, au Texas… Je pense que si on est arrivé au drame, ce parce que justement rien ne s’est passé comme il l’avait prévu.
Bruno de Stabenrath : Celui qui m’apprend la disparition, d’abord, de toute la famille, c’est Barthélémy, le fils d’un ami qui habitait à Nantes. Je lui avais dit un jour d’aller chez les de Ligonnès, se présenter. Il m’appelle un soir, et me dit : « tu sais cette famille, les De Ligonnès, ils ont disparu ». On était dans la semaine du 3 au 6 avril. Un moment, je pense à deux choses : soit la famille a disparu en bateau, mais finalement, ça serait bizarre car Xavier était pas du tout marin, et, deuxième hypothèse, je pense à l’Ordre du temple solaire, par rapport à Philadelphia (ndlr : la secte de Christine Dupont de Ligonnès) peut-être.
Ensuite, la lettre arrive, et là tu te dis : c’est n’importe quoi. Cette lettre, ça ne tenait pas la route du tout, c’était même inquiétant. A quoi il pense ? Je commence à m’inquiéter, les frères d’Agnès aussi, on sentait que quelque chose n’allait pas. Et puis la médiatisation arrive, et tout va très vite. Le matin où le procureur doit faire sa conférence, le jeudi 21 avril, on trouve les corps. Là, c’est terrible. Mais tout de suite, j’ai su que c’était lui. Qui ça pouvait être d’autre ?
Bruno de Stabenrath : Oui. Il n’y a aucun doute. L’ADN, des familles Hodanger (Agnès) et de Ligonnès a bien été retrouvé sur les dépouilles. Ce qui est horrible, c’est que la mère et la sœur de Xavier qui n’y croient pas accréditent par-là la thèse qu’il n’était sain d’esprit.
Ça l’accuse encore plus, car pour être dans un déni pareil, il faut vraiment avoir des soucis psy. Il y avait peut-être chez lui quelque chose je n’ai pas vu, une forme de schizophrénie qui s’est installée dans sa psychologie, avec une tendance à aller vers ce que prêchait sa mère, qui faisait partie d’une église apocalyptique très très négative, ou le message, en gros, c’était « tout le monde va mourir ». Je pense que cette construction aussi a joué un rôle dans son passage à l’acte. Le fait d’enterre les corps avec des trucs religieux, c’est dire la vie, la mort, ça n’a pas d’importance, on se retrouvera tous là-haut. En fait, c’est un crime « altruiste ».
Bruno de Stabenrath : C’est dans l’inconscient populaire depuis toujours : l’histoire du petit Poucet par exemple, c’est un crime altruiste. Xavier savait qu’ils allaient être virés de leur maison, qu’ils n’avaient plus d’argent. Même s’ils étaient capables de se relever, il ne pouvait pas faire face. C’est ça le drame de cette histoire. Il était tellement empreint d’orgueil, de vanité, d’une forme de folie mystique. Il n’a pas décidé de son crime la veille. La décision, il l’a prise presque un an avant. Il savait ce qu’il allait faire, il était organisé. Il attendait seulement la carabine de son père.
Bruno de Stabenrath : Je suis persuadé qu’il est encore vivant. Dans un crime altruiste, tu enlèves le déshonneur dans regard de ceux que tu aimes. Si tu les supprimes, il n’y a plus de déshonneur. Xavier a fait une forme de « reset » : en supprimant sa famille, il a supprimé ses problèmes. Il s’est alors retrouvé comme un ado 18 ans, libéré, prêt à vivre ses rêves, à vivre sa vie. Ça a sûrement été ça la grande surprise, de se libérer… Il souffrait beaucoup de devoir de l’argent, à Catherine, sa dernière maitresse, sa seule maitresse d’ailleurs, car ça n’était pas du tout un homme à femmes contrairement à ce qu’on peut entendre.
Bruno de Stabenrath : Je pense qu’il est parti, la question c’est : est-ce qu’il a été aidé ? Par sa mère, par des relais… Je suis persuadé que cette dernière ne l’aurait jamais laissé tomber, quoi qu’il ait fait.Le grand problème de cette histoire, c’est aussi que ça se passe dans un milieu qui ne parle pas. De près ou de loin, beaucoup de gens ne veulent rien dire. Xavier avait aussi le poste numéro 3 dans la secte de sa mère. Il est donc très probable qu’on l’ait aidé dans ce cadre-là.
Et puis il avait de l’avance, même s’il n’avait pas prévu que l’on trouve les corps. D’ailleurs, s’il ne s’était pas planté dans sa formule de ciment, on ne les aurait probablement jamais retrouvés. Les flics auraient trouvé un truc super dur. Je pense que sa grande erreur, surtout, c’est d’avoir écrit cette lettre, un tissu de mensonges beaucoup trop gros.
Je pense qu’il est parti aux Etats-Unis, avec un peu d’argent. Il est capable de se débrouiller, de séduire une femme, une famille. Il peut travailler, se faire passer pour un migrant, un italien ou un latin, et il parlait très bien espagnol.
Il a dû séduire une famille, refaire sa vie, travailler. Et il a pu le faire car personne le recherche, il n’est même pas sur les listes Interpol ou Europol, il y a juste 3 personnes à Nanterre qui s’occupent de l’affaire. On s’en fout. Demain, il est identifié en Australie, on ne peut rien faire.
Bruno de Stabenrath : Je me demande simplement comment il fait pour oublier, pour se regarder dans la glace tous les jours. Ça doit le hanter. Soit il est devenu alcoolique, soit il est dans un déni psychologique hallucinant. Ça doit être très compliqué.
Bruno de Stabenrath :Je pense, et j’irai bien le chercher moi-même là où je pense qu’il est. J’ai une idée précise mais je ne peux pas vraiment en parler. Je mène mon enquête, je dois croiser plusieurs infirmations. Il y a en tout cas une piste sérieuse qui se dégage, mais aucun moyen n’étant alloué à l’enquête, on est obligés de faire avec les moyens du bord.
Il faudrait que j’y aille, sur place, mais avant, il y a du travail, il faut être méthodique, faire plusieurs portraits robots... Car Xavier a dû changer.
Je le verrais bien en biker, aux Etats-Unis. Pour moi, il a dû se faire une gueule comme les mecs qui roulent en Harley, avec barbe, perfecto, et tatouages. Mais je pense aussi qu’il ne sera vraiment retrouvé que si je me déplace dans cet endroit où il a été identifié. Aucun des enquêteurs ne connait Xavier vivant, ils ne l’ont jamais vu, ils pensent qu’il fait 2 mètres ! Des anonymes m’envoient même des photos, de gens qui pensent l’avoir croisé, mais ça n’a rien à voir. Moi, je le reconnaitrai entre mille, même s’il change de visage.
En tout cas, je pense qu’on a fini l’acte I, et on va bientôt assister à l’acte II : son arrestation.
Bruno de Stabenrath : Oui mais c’est impossible, pour moi, de ne pas savoir. J’ai besoin de comprendre ce qu’il a fait, pourquoi il a agi, et peut-être qu’à moi il me parlera...
Ma hantise serait que, s’il est arrêté, il vienne à dire que ce n’est pas lui, à l’instar de sa mère et de sa sœur. Si je le retrouve, c’est ce que je lui dirai : « assume ce que tu as fait ».
Bruno de Stabenrath : Je pense que c'est possible, il est malin, il n’a pas envie d’être démasqué. Il échappe aux forces de l’ordre depuis des années, ce n’est pas pour se faire prendre bêtement. Donc il doit se renseigner, sur internet notamment… Ce livre, c’est la plus longue lettre que je lui ai jamais écrite. J’ai cherché aussi à travers ce livre à l’énerver, à le titiller… pour le faire réagir, peut-être.
Bruno de Stabenrath : Non je ne me lasserai jamais, par respect pour Agnès et les quatre enfants. Il ne faut pas oublier que c’est une famille qui a été décimée. Une femme, des gamins formidables, on leur a volé leur vie…
Ce que j’aimerai dire à Xavier, si je le revois, c’est simplement : « qu’a tu fais ? Comment toi qui aimait tant ta famille, qui était bien élevé, comment as-tu pu dériver à ce point ? Comment as-tu pu te ranger du côté des monstres ?».
Bruno de Stabenrath, L’ami impossible (Gallimard), 22 €
Disponible en format poche (Folio) le 2 juin 2022