Maltraitances en Ehpad : les confidences glaçantes d'une employée de Korian Istock
Odeurs insupportables, échanges de médicaments, malnutrition... Nous avons recueilli le témoignage de Danielle, une ancienne auxiliaire de vie au sein du groupe de maisons de retraites Korian. Elle dénonce des traitements inhumains.
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Négligence, maltraitances, course au profit au détriment de la santé des résidents : depuis la publication du livre-enquête “Les Fossoyeurs”, les révélations et les témoignages s’enchaînent sur le secteur, jusqu’ici opaque, des maisons de retraite. 

 Le scandale éclabousse désormais les deux principaux groupes français : Orpea, l’entreprise au cœur du livre de Victor Castanet, et Korian, qui gère 298 établissements sur l’ensemble du territoire. 

Danielle, la cinquantaine, a travaillé pendant une quinzaine d’années pour Korian. Au sein du premier groupe français de maisons de retraite, cette auxiliaire de vie oeuvre de nuit dans une unité spéciale Alzheimer. Pendant des années, elle va être le témoin impuissant de nombreuses maltraitances.

Une douche par mois

“Il n’y a pas d’éthique, il n’y a que la recherche du profit depuis quelques années dans ces maisons", raconte t-elle.

“Les résidents sont sédatés à longueur de journée, ils sont bourrés de médicaments”, explique encore Danielle. “On les laisse dans leurs selles, parfois ils ne sont pas changés pendant plusieurs jours”. Elle poursuit : “Il n’y pas assez de personnel qualifié, et pas assez de matériel, alors il arrive souvent que des résidents, surtout s’ils sont en surpoids, ne soient pas douchés pendant un mois. Parfois, je lavais des patients en pleine nuit, à 5 heures du matin, parce que je savais qu’ils ne seraient pas douchés sinon”.

Danielle évoque “une odeur insupportable”, surtout quand surviennent les premières chaleurs d’été.

Des restes mixés à diner 

Pour elle, les résidents sont également mal nourris : elle les voit maigrir à vue d'œil.

“Ils rationnent tout, et produisent les repas à moindre coût, ce qui donne des choses à peine mangeables. Ils gardent les restes du repas de midi et ils mixent tout ça pour faire de la soupe, à laquelle ils rajoutent des protéines en poudre pour gonfler, pour faire épais”, témoigne l’auxiliaire de vie.  

La nuit, il lui arrive alors de donner des gâteaux aux résidents qui peuvent en manger. “Ils se jettaient dessus comme s’ils n’avaient pas mangé depuis des jours”, raconte Danielle. 

Un personnel "écoeuré” du système qui finit par partir

Danielle garde de lourdes séquelles de son ancien travail, qu’elle a quitté il y a peu de temps. Physiques, d’abord : l’auxiliaire de vie a été blessée par un résident, qui était en proie à une crise de violence. Mais ce sont les séquelles psychologiques qui sont les plus douloureuses pour cette auxiliaire de vie. “Voir la maltraitance, ne rien pouvoir faire à mon échelle car je suis seule, et se mettre à la place de ces résidents, parce que ça pourrait très bien être moi un jour… C’est terrible”, confie Danielle. 

Elle raconte que la plupart du personnel est à bout, comme elle. “Il y avait de très bonnes aides soignantes dans l’établissement, mais elles sont toutes parties, elles n’en pouvaient plus, elles étaient écoeurées du système”, poursuit l’auxiliaire de vie. 

A cause du sous-effectif, Danielle a dû gérer, seule, plus de deux étages de résidents, au plus fort de l’épidémie de COVID. “Je fais ce que je peux, mais je ne peux pas être derrière chaque résident. Pourtant ce sont des gens qui sont malades, ils ont Alzheimer et la nuit pour eux c’est très compliqué, ils ne dorment pas, s’agitent, certains hommes se baladent nus et rentrent dans les chambres des autres”, souffle l'auxiliaire. 

Inversion de médicaments

Danielle raconte aussi qu’à cause du manque de personnel formé, les erreurs, parfois graves, sont monnaie courante.

Il arriverait notamment que les soignants échangent par mégarde les médicaments des résidents. “Une fois, ils ont donné du Tercian qui était pour un autre monsieur à une dame hémiplégique… Elle a dormi pendant trois jours, et a fait plusieurs AVC par la suite”, se souvient Danielle. 

Ce type d'incident n'est jamais rapporté aux familles, selon l’auxiliaire de vie. 

“C’est l’omerta, tout le monde se couvre”, explique t-elle. “Les familles sont laissées dans l'ignorance, ils ne leur disent rien, et quand le résident finit à l’hôpital ou se retrouve couvert d’ecchymoses, ils disent qu'ils n'ont rien vu". 

La recherche de profit au moindre coût

Danielle dénonce un système “pompe à fric”, qui traite mal ses employés, et ses résidents. “C’est de la maltraitance institutionnelle”, confie l’auxiliaire, qui a “peur” pour les résidents. 

Aujourd’hui, elle ne souhaite plus travailler pour ces grands groupes “inhumains”.

“De l’extérieur ça a l’air joli, mais quand vous grattez à l’intérieur, ça ne vaut certainement pas les 5000 euros mensuels”, soupire Danielle. Pour elle, le problème vient de la direction du groupe, des actionnaires et de leur course effrénée après le profit. “Leur priorité c’est de faire de l’argent alors que ça devrait être de soigner”, s’indigne l'auxiliaire de vie, qui ajoute : “nos fiches de paie ne font que rétrécir depuis plusieurs années”.  

“C’est une réalité cette maltraitance, je l’ai vu. Tout le système est pourri, et il faut que cela change”, conclut la quinquagénaire. Aujourd’hui, Danielle veut soutenir les familles qui portent plainte contre les géants du secteur.