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Abbé Pierre : de nouveaux témoignages accablantsabacapress
Dans un documentaire diffusé le 12 janvier sur BFMTV, des victimes présumées d'agression sexuelle de la part du fondateur d'Emmaüs. Plus de 30 récits du même ordre ont été recueillis depuis juillet 2024.
Sommaire

Il aura fallu dix-sept ans. Dix-sept ans après la disparition de l’abbé Pierre pour que ce scandale, pourtant évoqué par des proches et des spécialistes du mouvement Emmaüs comme un “secret de polichinelle” éclate au grand jour. En juillet 2024, paraît un premier rapport commandé à l’agence Egae, dirigée par Caroline de Haas, par Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre. Il y est fait mention de plusieurs témoignages de femmes accusant l’homme d’église de violences sexuelles. Après la mise en place d’un dispositif d’écoute des victimes, d’autres témoignages ont été recueillis et un deuxième rapport publié en septembre 2024.

Ce 13 janvier, le cabinet spécialisé a publié un nouveau document dénombrant 9 nouveaux récits portant sur des faits s’étalant des années 1960 aux années 2000. Au total, ce sont donc 33 personnes, dont plusieurs mineures au moment des faits, qui accusent l’abbé Pierre d’agressions sexuelles. 

Des témoignages glaçants

A cela s’ajoutent, dans les semaines qui suivent les premières révélations en juillet 2024, d’autres enquêtes qui ont mis à jour des détails souvent scabreux sur les agissements présumés d’Henry Grouès. Dimanche 12 janvier, BFMTV a diffusé un documentaire (également disponible sur YouTube) réalisé par Michaëlle Gagnet et intitulé “Abbé Pierre : 50 ans d’impunité”. 

Pour ce film d’une cinquantaine de minutes, trois femmes ont accepté de témoigner face caméra, et à visage découvert. Parmi elles, “Pascale” (son nom de famille n’est pas indiqué), raconte avoir été hébergée dans un centre d’Emmaüs en Normandie en 1993 alors qu’elle se trouvait en difficulté. L’abbé Pierre y a une résidence secondaire. Elle raconte avoir été contrainte de le rencontrer régulièrement dans son bureau:  

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“A la fin du troisième rendez-vous, on se faisait une accolade (...) et là d’un coup (...) il m’a attrapée, il s’est collé à moi, il m’a embrassée avec sa langue dans ma bouche, il m’a tripoté les seins, il passait son bras entre mes deux jambes pour se frotter, et moi j’étais coincée contre le mur, il ne me lâchait pas. (...) Moi j’étais sidérée.”

Pascale, qui était alors âgée de 22 ans et ayant souffert après sa naissance de brûlures au visage, dit ne pas avoir osé porter plainte tant elle était “p ersuadée que personne ne [la] croirait”. 

Un état de sidération

Plus tard dans le même documentaire, une autre femme, Esther Romero, ancienne journaliste d’origine péruvienne, témoigne, elle aussi. En 1988, alors qu’elle travaille à Genève, elle est chargée d’interviewer l’homme d’église. Elle a 52 ans, lui 76.

“Je le voyais comme un petit vieillard frêle, très gentil”, confie-t-elle. Mais, lors de cet entretien qui se déroule dans la chambre de l’abbé, il lui aurait “frotté les seins” et “mis la langue dans [sa] bouche” avant de lui demander “est-ce que c’était aussi bien pour vous que pour moi ma fille ?” Encore une fois la sidération aurait empêché la journaliste de se défendre. Elle aurait même subi de nouveaux assauts le lendemain. 

Après son retour au Pérou, Esther Romero aurait discuté de cette histoire avec une consoeur qui lui aurait à son tour parlé d’agressions et de sollicitations à l’encontre de salariés et de bénévoles du mouvement.

Des femmes vulnérables

A cela s’ajoute la lecture d’une lettre retrouvée par une jeune femme prénommée “Eva” qui aurait retrouvé ce document dans les affaires de sa mère. Cette dernière, quand elle avait 33 ans et alors qu’elle était mère célibataire, avait bénéficié du soutien de l’association après avoir fui un conjoint violent. “Il m’emmenait dans un appartement parisien dont il avait la clé (...) il se masturbait devant mois (...) il me demandait de lui faire des fellations (...) il me fouettait avec sa ceinture et m’a proposé d’avoir des relations avec une autre jeune femme qu’il connaissait car il était excité par le spectacle des lesbiennes qui avaient des ébats sexuels devant lui”, aurait écrit la victime. Cette dernière, dans la lettre lue, évoque d’autres victimes présummées dont des “des étrangères sans papier”. 

“On croyait qu’il s’était calmé” 

Une troisième femme témoigne à visage découvert. Il s’agit d’une ancienne collaboratrice de l’abbé qui aurait, elle aussi, subi des attouchements aux seins, et ce à deux reprises, dans les années 1970 puis en 1992. Elle déclare en avoir parlé à sa hiérarchie et s’être vu répondre “elles le disent toutes, mais on croyait qu’il s’était calmé”.

Or le degré de connaissance des faits de la hiérarchie en question - et son inaction - sont mis en cause. Plusieurs membres de l’église, d’après les preuves avancées, avaient eu vent du comportement de l’abbé Pierre dès les années 1950.  Henry Grouès avait même dû écourter un voyage en Amérique du Nord après plusieurs plaintes de femmes qui avaient scandalisé le clergé local. Le théologien Jacques Maritain, qui l’avait accueilli sur les terres de l’Oncle Sam, aurait écrit dans son journal à son propos : “je crois de plus en plus qu’il est un grand malade”.  A son retour en Europe, il est ensuite écarté quelque temps en Suisse dans une clinique où il est “chaperonné”. 

"Des faiblesses, des incidents passagers"

D’autres proches, en particulier la soeur d’Henry Grouès, alertée par son comportement, aurait à plusieurs reprises morigéné son frère, selon le témoignage oral d’un neveu, Guy Tuscher, livré en octobre 2024 à France Bleu

Quant à l’abbé Pierre, il avait reconnu publiquement avoir eu des relations sexuelles dans sa vie, lors d’une interview avec Marc-Olivier Fogiel en 2005. Cela “a été des faiblesses, des incidents passagers”, déclarait alors le religieux. 

Depuis, la Fondation Abbé-Pierre a fait connaître son intention de changer de nom.