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Gros-bras, agents "secrets", garde-du-corps... La République a trouvé plusieurs missions pour les barbouzes depuis la seconde Guerre mondiale. Au prix de compromissions parfois inquiétantes.
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Les barbouzes de la République : une espèce en voie de disparition ?

Faire lumière sur "l’intervention des barbouzes du nouveau monde". Elianne Assassi, membre du groupe communiste du Sénat, ne saurait tolérée les actions dont Alexandre Benalla est accusé. Soupçonné d’avoir violemment tabassé un manifestant le 1er mai, il serait même selon elle un "barbouze", rapporte L’Humanité. En pratique, c’est loin d’être la première fois que la République fait appel à des gros bras…

Depuis ses débuts, la Vème République a fait appel à des "barbouzes". Il s’agit de criminels auxquels s’associent certains politiques et, parfois, des policiers. Ils sont embauchés pour exécuter les basses-besognes, mais pas que, indique Frédéric Ploquin, journaliste d’investigation et auteur du documentaire Les Gangsters et la République, diffusé en 2016 sur France 5.

Selon lui, l’histoire des relations entre la République et la voyoucratie serait une "histoire de compromission". Et les premiers accords entre brigands et politiques remontent à loin : ils surviennent pendant la seconde Guerre mondiale. "D’un côté, les nazis avaient besoin des gangsters pour mener des razzias et, paradoxalement, pour faire la police", explique-t-il dans une interview accordée à Atlantico. Les anzis auraient donc "installé les voyous au sommet du pavé". "La Résistance a fait appel aux bandits pour leur savoir-faire, dont elle ne disposait pas nécessaire. Le voyou a plus d’un avantage : tuer ne l’effaie pas, voler ne lui fait pas peur non plus", analyse le spécialiste.

Pour autant, les barbouzes n’ont pas disparu après la guerre. "Cette matrice ressert à plus d’une occasion, à la Libération et ensuite", rappelle Frédéric Ploquin. Ne serait-ce que parce que la Résistance, désormais au pouvoir, a noué des relations avec ses anciens hommes de mains. Pour le journaliste, c’est une classe politique entière qui est "issue de cette culture" du compromis avec les bandits. "L’un des exemples les plus parlant est bien Gaston Defferre", estime-t-il. Les barbouzes continuent donc sous le pouvoir gaulliste, pendant la guerre d’Algérie… Mais aussi ensuite. Frédéric Ploquin parle même de "50 années de services réciproques" dans son livre, dont est tiré le documentaire.

Les barbouzes de la République : le SAC

Créé en 1960, le service d’action civique (SAC) est une police parallèle utilisée par le général de Gaulle et ses successeurs gaullistes jusqu’en 1982, année où elle a été démantelée par François Mitterrand. Constitué par Charles Pasqua, entre autres, les premiers objectifs du SAC étaient simples, souligne Frédéric Ploquin : "contrecarrer les gros bras du Parti Communiste Français qui, à ce moment-là, conservait encore une puissance et une aura remarquable", décrit-il. D’une façon générale, rappelle-t-il, la vie politique était plus violente. "Même pour coller des affiches, le besoin en gros bras était réel".

Les barbouzes qui avaient rejoint le SAC bénéficiaient d’une protection particulière. "Les voyous circulaient avec une carte tricolore dans la poche, laquelle permettait une quasi impunité", raconte le journaliste au micro d’Atlantico.

En 1981, un règlement de compte interne au SAC donne lieu à un fait divers connu sous le nom de tuerie d’Auriol, qui offrira à François Mitterrand le prétexte nécessaire pour dissoudre l’organisation. Il développera par la suite son propre "cabinet noir", estime Frédéric Ploquin. "C’est le seul modèle qu’il connaissait et le fait est que ce modèle continue à se perpétuer aujourd’hui. La République ‘locale’ n’hésite pas aujourd’hui, pour pacifier des quartiers et des territoires, à passer des deals avec les fortes têtes et les caïds", juge-t-il.

Les barbouzes de la République : les barbouzes les plus célèbres

"L’intervention des barbouzes du nouveau monde dans les mouvements sociaux" ne saurait être tolérée, a estimé la sénatrice communiste Eliane Assassi. Elle pointe du doigt Alexandre Benalla, proche collaborateur d’Emmanuel Macron, qui est accusé d’avoir lynché un manifestant en marge des cortèges. Comme l’a déjà écrit Planet, il a notamment travaillé à la sécurité du candidat, puis du président, Emmanuel Macron. Egalement mis en cause : Vincent Crase, ancien réserviste de gendarmerie. Tous deux ont été identifiés par Le Monde à partir de vidéos violentes tournées pendant l’intervention.

Ils sont toutefois loin d’être les seuls exemples de barbouzes célèbres. Jo Attia, entre autres, illustre très bien les "relations incestueuses" entretenues par les politiques et les brigands. Truand parisien, membre du Gang des Tractions Avant, il se lie d’amitié avec Edmont Michelet, figure de proue de la Résistance, qui deviendra Garde des Sceaux après la guerre. "Les deux hommes se sont croisés dans un camps de concentration. A chaque fois qu’Attia semble inquiété par une affaire judiciaire, Edmont Michelet se portera témoin de sa moralité, le rendant proprement intouchable", explique Frédéric Ploquin.

Bob Denard, mercenaire Français, est également considéré par L’Humanité comme un barbouze. L’homme, décédé en 2007, aurait été en contact avec les services français pendant l’une de ses missions durant le génocide rwandais. "Les projecteurs de l’actualité sont braqués sur le Rwanda. Les services français avec qui je suis en contact s’inquiètent eux aussi de la situation. Je suis prêt à aller plus loin au service du Rwanda", écrivait-il en 1998 dans son autobiographie, Corsaire de la République. D’autres barbouzes ont également opéré en Afrique. C’est le cas de "Monsieur Charles", l’un des premiers à apparaître sur le théâtre congolais, indique l’Opinion.