Eglises, châteaux... Quel est l'état du patrimoine en France ? L'église Saint-Sulpice, à Paris. (Blondet Eliot/ABACA)abacapress
Chute de pierres, appel aux dons... Le patrimoine historique français a fait parler de lui récemment. Et les signaux sont alarmants. Entretien sur l'état de nos monuments avec Roger Bataille, vice-président des Petites cités de caractère.
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C'était le 30 juillet dernier : en plein après-midi, une pierre s'est détachée de la corniche l'église Saint-Sulpice, située dans le VIème arrondissement parisien, blessant dans sa chute une touriste étrangère qui passait par là. Si l'incident n'a laissé aucune séquelle grave à la victime, il aurait pu en être autrement. C'est en tout cas ce que soutient le maire de l'arrondissement : "Pour éviter des drames, je réitère les mises en garde que j'ai adressées à plusieurs reprises à la mairie de Paris pour qu'elle entretienne le patrimoine dont elle a la charge", a interpellé sur Twitter Jean-Pierre Lecoq.

"2 500 à 5 000 églises" menacées

L'occasion de se pencher sur cette question sensible du patrimoine français, et plus précisement sur l'état du patrimoine bâti, dont l'état est régulièrement interrogé par l'actualité. Pas plus tard qu'en février, 131 parlementaires de droite et du centre s'alarmaient ainsi dans une lettre ouverte à l'exécutif de l'état des églises françaises, dont 90% sont à la charge des communes. "D’ici à 2030, en l’absence de plan de sauvetage, entre 2 500 et 5 000 églises pourraient disparaître", expliquent-ils, se basant sur une mission d'information sénatoriale sur l'état du patrimoine religieux. Dans un autre registre, le site d'Oradour-sur-Glane, village martyr et lieu de mémoire de la barbarie nazie, fait l'objet d'un appel aux dons lancé par le Fondation du patrimoine, les ressources investies par l'Etat ne suffisant pas à enrayer les dégâts du temps sur les ruines. Les alarmes se multiplient. 

39% des monuments historiques en danger en 2018

Une partie de ce patrimoine, jugé le plus représentatif et important pour la culture en France, est considérée comme classée ou inscrite dans les Monuments historiques. Dans la plupart des cas, les monuments appartiennent à la collectivité, à l'instar de l'église de Saint-Sulpice, et leur entretien et restauration incombent donc aux mairies, avec des co-financement assurés par l'Etat, la DRAC, les régions et les départements. Selon vie-publique, la France comptait en 2017 45 285 monuments historiques protégés.  44% d’entre eux sont des propriétés privées, 41% appartiennent à des communes et 4% à l’État. C’est la région Nouvelle-Aquitaine qui compte le plus de monuments historiques (6 205, soit 14% du total). Elle est suivie par l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes (11% chacune), le Grand Est (10%) puis l’Île-de-France (9% avec 3 870 édifices).

Leur restauration et entretien représentent chaque année un coût considérable : d ans lebudget 2020 du ministère de la culture, les crédits alloués à la préservation des monuments historiques ont atteint 338 millions, dont deux millions d’euros destinés à financer un plan de mise en sécurité des cathédrales, une opération subséquente à l'incendie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Pourtant, "le niveau d’entretien des monuments est insuffisant pour éviter leur dégradation", estimait un rapport parlementaire de juin 2019. Le dernier bilan sanitaire du patrimoine réalisé par le ministère de la culture en 2018, fait état de 23% des monuments historiques considérés comme en mauvais état ou en péril. La situation est particulièrement complexe pour ceux qui appartiennent à la fois à des personnes publiques et privées : 39% d’entre eux sont en péril ou en mauvais état. En France, les monuments en état de péril sont détenus à 34% par les communes et à 43% par des personnes privées. 

Le patrimoine privé laissé à l'abandon

Et le patrimoine bâti s'étend bien au-delà des monuments historiques, rappelle Roger Bataille vice-président de l'association des Petites cités de caractères et maire d'Ervy-le-Chatel (Grand-Est). Plus modeste, le patrimoine non classé ou inscrit aux monuments historiques bénéficie parallèlement de soutiens financiers moins nombreux, et sa charge incombe donc parfois "à 100% aux collectivités", explique l'édile. "S i on est sur du patrimoine qui fait partie du patrimoine historique de la cité mais qui n’a pas un intérêt général confirmé, c’est la commune qui doit trouver des moyens par elle-même pour financer une restauration ou une réparation". Un casse-tête conséquent pour de nombreuses communes désireuses de conserver ce patrimoine délaissé.

Roger Bataille alerte sur la situation particulière du patrimoine privé : "dans nos communes qui ont un passé parfois très ancien, médiéval, nous avons du patrimoine privé qui est souvent inhabité, et parfois pas très loin de la ruine". En cause, le désintérêt des propriétaires qui n'y voient pas un investissement rentable, au vue des travaux. Or, alerte le maire, "on peut avoir une très belle cathédrale ou une très belle abbatiale : si autour vous avez des batiments en ruines, l’écrin n’est pas là !" Un dilemne pour "les Petites cités de caractères", label qui s'étend à plus de 200 communes sur le territoire.

"L'âme de nos villes" en péril

Selon Roger Bataille, le problème du patrimoine privé laissé à l'abandon est notamment lié au normes qui s'imposent aux bâtiments pour qu'ils soient habitables, trop couteuses pour les proprétaires, et peu adaptées à l'architecture historique. "On ne peut pas isoler par l’extérieur un batiment ancien en pierre et pans de bois, ça ne fonctionne pas", explique l'édile. "La norme qui s’impose est adaptée aux batiments d’après-guerre, mais pas aux bâtiments qui datent, par exemple, de l'époque médiévales." Selon le maire, il faut ouvrir le débat sur le sujet, et trouver des solutions architecturales au risque de se retrouver "dans les 10 années qui viennent avec un nombre de abtiments inoccupés dans nos bourgs historiques qui sera catastrophique" or, rappelle-t-il "l’âme de nos villes n’existe qu’à travers ce patrimoine, ces images. Elles sont représentatives d'une culture."