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Mener la guerre au foie gras est devenu le cheval de bataille des activistes anti-gavage, dont les rangs grossissent un peu plus chaque année. Pour autant, les industriels du secteur n'ont pas l'intention de changer leur fusil d'épaule. Pour le moment.

Nom de code : L214. Derrière cette appellation aux faux airs de modèle automobile se cache une association dont l’influence gagne, doucement mais sûrement, du terrain. "Il s’agit tout simplement d’une référence à l’article du code rural, qui reconnaît la sensibilité des animaux", justifie Sébastien Arsac, porte-parole de ladite structure, fondée en 2008, à partir du collectif Stop Gavage.

"La tradition n’est pas un argument"

Si elle dit œuvrer pour la protection animale dans son ensemble, elle est surtout connue pour sa lutte contre la production de foie gras, qu’elle mène à grands coups de reportages vidéos dénonçant les conditions d’élevages des canards et le peu de considération des éleveurs pour les bêtes. Mais pas seulement. Le 26 novembre dernier, elle s’est fait le relais de la deuxième “Journée Mondiale Contre le Foie Gras”. Le concept ? Mener des actions devant les ambassades françaises de divers pays pour "dénoncer l’exception culturelle française, qui cause le gavage de 40 millions de canards chaque année", selon Sébastien Arsac. A Paris, des membres de l’association (qui dit compter entre 4000 et 5000 adhérents) se sont regroupés devant le Centre Pompidou pour afficher leur protestation contre ce fleuron de la gastronomie française.

Selon ces militants, la réputation mondiale de ce met d’exception et son poids économique – la France représente 75% de la production mondiale et 95% de la transformation de foie gras- ne peut justifier les conditions de production en amont. "La tradition n’est pas un argument. Ce qui se passe sur le terrain, dans les élevages, va à l’encontre de la réglementation et de l’éthique. Quarante millions de canards sont gavés chaque année en France. La mortalité des bêtes durant la phase de gavage est multipliée entre dix et vingt. Quant au foie de la bête en lui-même, pour qu’il soit propre à la consommation, "il doit résulter d’une pathologie, que l’on déclenche artificiellement", argumente Sébastien Arsac.

"Notre filière applique des règles de conduite stricte"

Des propos qui font évidemment bondir le camp d’en face. Déléguée du Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras (CIFOG), Marie-Pierre Pé contre-attaque: "Un élevage qui ne prend pas soin des animaux n’est pas viable et offre des performances médiocres. Notre filière applique des règles de conduite stricte. Il faut savoir que les canards ont une anatomie différente de la nôtre. Ils n’ont pas de glotte et possèdent un œsophage très élastique. De même, cet argument sur la dégénérescence du foie n’a pas lieu d’être : chez les oiseaux, la synthèse des acides gras se fait dans le foie. Il est juste gonflé par la graisse mais pas cirrhotique pour autant. Les canards non abattus après gavage retrouvent un foie normal en quelques semaines". En outre, elle réfute l’idée reçue qui veut que les canards femelles soient envoyés au broyeur dès la naissance. "Les femelles tout simplement destinées à l’export", précise t-elle.

Selon Marie-Pierre Pié, l’industrie du foie gras servirait de prétexte aux associations pour faire du sensationnel via des clips et montages larmoyants. "L’entourloupe réside dans le fait de pousser ceux qui les voient à s’imaginer des humains avec un entonnoir dans la gorge. Tout ceci a pour but de faire l’apologie du veganisme et de l’anthropomorphisme : une doctrine qui veut faire de l’animal l’exact égal de l’humain." Difficile de donner tort à la porte-parole du CIFOG sur ce point : derrière la dénonciation des conditions d’élevages des canards, c’est effectivement toute la filière viande qui est visée. Ce que reconnaît volontiers Sébastien Arsac : "On essaye de se spécialiser pour la visibilité, mais nous souhaitons élargir la réflexion de la société sur la consommation de viande dans son ensemble. Un régime 100% végétal permet tout à fait de rester en vie".

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Un autre foie gras est-il possible ?

L214, aussi connue sous le nom Ethique et Animaux, a beau s’attaquer à un poids lourd "pour ne pas dire un lobby" selon son porte-parole, son combat n’est pas totalement vain. "Notre page Facebook compte 134 000 followers, contre seulement 17 000 il y a un an".  Suite à une enquête de novembre 2013, les supermarchés danois ont ainsi suspendu les ventes de foie gras. L’Inde a quant à elle mis fin aux importations sur tout le territoire, alors que la Californie en a carrément interdit la commercialisation et la consommation. Si ces décisions ont "une incidence économique proche de zéro, compte-tenu qu’il s’agit de destinations où la France n’exportait pas, ou très peu", d’après Marie-Pierre Pé, la filière a malgré tout enregistré une baisse de la consommation pour la troisième année de suite. "Selon un sondage que l’on a mené, 44% des personnes interrogées étaient favorables à l’interdiction du gavage, signe que la pratique gêne les gens", estime Sébastien Arsac.

Du côté des producteurs, on préfère mettre en avant le fait que 85% des Français envisagent toujours d’en consommer à Noël. Reste néanmoins une question : un autre foie gras est-il possible ? Difficile de répondre par l’affirmative, même si un producteur espagnol s’est mis en tête de produire du foie gras sans passer par la case gavage. Figues et châtaignes sont au menu de ses bêtes. Pas de quoi enthousiasmer Sébastien Arsac : "Pour trouver une alternative, il faut plus regarder du côté des recettes que des pratiques d’élevage".

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