Déteste-t-on vraiment les "vieux" en France ?Istock
Certains, en France, craignent l'émergence d'une rupture générationnelle. D'autres, parfois même d'anciens ministres, parlent d'une "haine des vieux"... Qu'en est-il en vérité ?
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Julien Bayou, Greta Thunberg… Nombreux sont les écologistes à avoir été accusés de ne pas beaucoup aimer leurs aînés. Pour Luc Ferry - ancien ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche -, c’est précisément ce que montrait il y a peu la campagne électorale décidée par Europe-Ecologie Les Verts en vue du scrutin régional d’Île-de-France. EELV, ainsi que l’a déjà souligné Planet, avait alors choisi d’antagoniser les "boomers", ces Françaises et ces Français nés à l’époque du Baby Boom et qui auraient bénéficier d’une époque dorée avant de laisser à leurs enfants un monde ruiné par la pollution et le dérèglement climatique. Du moins… du point de vue de leurs contradicteurs. 

Déteste-t-on réellement les "vieux" en France ? 

Le philosophe, qui faisait récemment l’objet d’un procès en indécence d’après certains après avoir déclaré ne pas réussir à vivre avec 4 000 euros de retraite par mois, s’est donc attaqué à l’affiche de campagne publiée en fin du mois d’avril 2021, dans les colonnes du Figaro. Et lui de dénoncer, sans hésiter, la "haine des vieux" qui animerait tout ou partie de l’Hexagone et se ferait plus prégnante depuis le début de la crise sanitaire ; mais aussi une certaine forme d'"âgisme". De quoi parle-t-on au juste ? L'âgisme, décrit Santé Magazine, est le préjudice porté aux personnes âgées. Il est, estiment nos confrères, comparable au racisme ou au sexisme. Dès lors, faut-il le craindre ?

"L’âgisme existe bel et bien en France, peut-être même sous une forme nouvelle. Pour autant, il n’est pas politique par essence et surtout, il n’appartient pas véritablement au débat que pose Luc Ferry", juge pour sa part Raul Magni-Berton, enseignant-chercheur en sciences-politiques; spécialisé notamment dans l’étude de la démocratie, de la citoyenneté, des élections. Il donne cours à l’Institut d’Etudes Politique (IEP, Sciences-Po) de Grenoble. Et selon lui, il n’y a pas nécessairement matière à s’inquiéter de ce phénomène. Ou en tout cas, pas de la façon dont le fait l’ancien ministre de la jeunesse. Explications.

Non, on ne déteste pas les "vieux" en France

La question posée par l’affiche d’Europe-Ecologie Les Verts, estime Raul Magni-Berton, est ailleurs. "Il est clair qu’il y a aujourd’hui une génération, celle que l’on appelle parfois les boomers, qui a vécu pendant une période faste et profité de ce que cela pouvait impliquer en termes de perspectives de croissance et de modèle économique. Aujourd’hui, c’est cette génération qui fait office de groupe majoritaire et qui, parfois, défend ses intérêts au détriment des autres catégories de population ; ce qui peut poser un problème sur le plan démocratique", note le chercheur, pour qui il serait malhonnête de parler de "haine".

"Bien sûr, il est tout à fait logique qu’une telle affiche fasse réagir la cible qui est visée - ici, les boomers. D’autant plus qu’à l’époque de ceux-ci, le respect des anciens était très ancré culturellement, ce qui est moins le cas de nos jours. Cependant, c’est une affiche qui reste pertinente, en cela qu’elle s’adresse à un électorat jeune, lequel est par essence désavantagé par le système électoral français, parce que statistiquement plus mobile que son aïeul", rappelle encore l’enseignant, qui souligne que les gens mobiles doivent faire l’effort de se réinscrire pour pouvoir voter, ce qui creuse encore le rapport de force, selon lui. "Le problème vient donc du fait qu’une partie de l’électorat est en mesure de verrouiller le sort d’élections entières", insiste-t-il.

Mais peut-on vraiment nier la virulence des propos de certains à l’encontre de ces fameux Boomers, parfois accusés de tous les maux ? Pas exactement, assure le politologue, spécialisé en étude de la démocratie. Explications.

Que penser des jeunes qui s’en prennent aux boomers ? Ne détestent-ils pas, eux, les "vieux" ?

"Il est difficile, à mon sens, de parler honnêtement de haine à l’encontre des personnes âgées en France. Pour autant, cela ne signifie pas que certains ne nourrissent pas des griefs à leurs encontre, lesquels sont souvent légitimes", juge d’entrée de jeu l’enseignant-chercheur en sciences-politiques. "Ce que je constate, c’est qu’il est très facile de reprocher à quelqu’un de défavorisé une attitude haineuse dès lors qu’il réclame un rééquilibrage des situations", tranche-t-il. Et lui de poursuivre encore, détaillant la logique derrière ce type d’affiche de campagne : "Il est facile de comprendre, dans notre contexte politique, que les boomers soient visés par EELV. C’est le fruit de priorités électorales déjà évoquées mais aussi la résultante des privilèges dont ils ont bénéficié".

Mais de telles considérations valent-elle vraiment la rupture générationnelle que certains nous promettent ? Le politologue balaye la question, qui ne lui apparaît pas bien posée. "Le risque, en France, c’est ne pas la guerre des générations, c'est la condamnation au mutisme de certains conflits politiques. Dans un système normal, les conflits politiques s’expriment, ils ne sont pas mis sous le tapis ; sans quoi cela engendre frustrations, griefs et finalement violence. Il est très sain que la fracture d’âge puisse s’exprimer : c’est la seule façon de discuter d’une solution apaisée", explique-t-il, non sans s’interdire un petit tacle à l’ancien ministre : "A mon sens, c’est précisément ce genre de tribunes qui pose problème. Son seul objectif est de faire taire le conflit ; et c’est là que se trouve le danger".