L’inévitable taxation des (très) richesIstock
TRIBUNE - Après la crise sanitaire, la France apparaît à sec, financièrement. Le pays pourrait même risquer l'insolvabilité. Dès lors, quelle autre solution que de taxer les (très) riches ? Explications par Christophe Bouillaud, politologue et enseignant à l'Institut d'Etudes Politique de Grenoble.
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La plupart des Etats de l’OCDE ont dû dépenser énormément pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie de COVID-19, et ils s’apprêtent à dépenser encore pour relancer leurs économies. Les divers plans de l’Administration Biden aux États-Unis, faisant suite aux dépenses engagées pendant la présidence Trump, constituent le symbole de cette dynamique nouvelle de la dépense publique.

En conséquence, beaucoup d’analystes s’inquiètent de la solvabilité chancelante des États développés, et d’une dette publique qui deviendrait impossible à financer, surtout en cas de remontée des taux d’intérêt. La première réponse face à cette inquiétude est de faire remarquer que l’actuel recours massif au financement monétaire des États par leurs banques centrales respectives semble n’avoir guère de limites, et qu’il n’est pas sûr qu’une spirale inflationniste soit véritablement à attendre pour les prochaines années, tant les ressources en heures de travail inutilisées (jeunes, femmes, personnes de plus de 50 ans) semblent énormes dans tous les pays développés.

Si toutefois l’on ne se fie pas à cette heureuse possibilité (quoi que le Japon exemplifie la situation depuis vingt ans), il ne reste qu’à envisager une augmentation des ressources fiscales des États développés. Celle-ci peut être simplement induite par le retour à un niveau d’activité normale par rapport aux années de pandémie 2020 et 2021. Il n’y aurait donc pas lieu d’augmenter les taxes et impôts, puisque les rentrées fiscales de l’État sont fortement corrélées au déroulement de la pandémie, tout comme d’ailleurs les dépenses de ce dernier. Toutefois, l’on pourra considérer que les taux d’endettement des États sont devenus à la faveur de la pandémie bien trop importants pour ne pas faire courir un risque d’insolvabilité de ces derniers, et qu’il faut aller plus loin qu’un simple retour à meilleur fortune. Il faut donc augmenter le solde budgétaire primaire des États en augmentant les recettes et en diminuant les dépenses. Cette dernière tâche parait ardue face à une population vieillissante en demande de soins et face à une montée des périls géopolitiques, qu’ils soient traditionnels (montée en puissance de la Chine, menace russe) ou nouveaux (changement climatique).

Les États ne pourront pas taxer les petits gens pour se refaire une santé financière... qui reste-t-il alors ?

Si l’on s’intéresse donc uniquement aux recettes, il est certain que les décideurs publics vont se heurter rapidement à des formes de résistance à toute hausse de la fiscalité. Rappelons que le mouvement des Gilets jaunes commence en 2018 par le refus d’une nouvelle hausse du diesel pour les utilisateurs particuliers. Les niveaux de vie de l’immense majorité de la population des pays de l’OCDE, et tout particulièrement des Français, sont bien trop stagnants pour autoriser une hausse indolore de la taxation. Electoralement, il est donc déraisonnable de prétendre être élu, ou rester populaire, si l’on annonce ou l’on met en œuvre des hausses d’impôts ou de taxes qui concernant la population en général.

Concentrer les hausses d'impôts sur les riches et les entreprises pour pallier les problèmes d'insolvabilité des États

Par contre, il n’aura échappé à personne que deux séries d’acteurs économiques ont vécu la pandémie sans trop subir de dommages : d’une part, toutes les entreprises dont le marché n’a pas été altéré, ou même a été amélioré, par la pandémie, et, d’autre part, toute la part de la population la plus riche (les 1% ou les 0,1%) qui ont bénéficié à plein des taux d’intérêt bas et du rebond associé des marchés des actifs (actions, immobilier, œuvres d’art, etc. ). Il y a là des acteurs qui peuvent largement supporter des hausses importantes d’imposition, sans avoir trop de difficulté à boucler leurs fins de mois.

Pour les entreprises, on observe dès avant la pandémie une volonté commune des États de l’OCDE de mettre fin aux situations de distorsion fiscale les plus choquantes et à l’utilisation excessive des facilités données par les divers paradis fiscaux. Sur ce point, les opinions publiques, tout au moins dans les pays en manque de recettes fiscales liées à ces entourloupes légales de la part des entreprises, restent partantes, et nul ne va descendre dans les rues de Paris, de Rome ou de Berlin, pour défendre le droit de telle ou telle grande entreprise d’avoir ses activités économiques réelles dans le pays A, son siège dans le pays B et ses résultats économiques au sens fiscal dans le pays C. Bien sûr, des armées de lobbyistes sont à pied d’œuvre pour défendre ces divers passe-droits, les diplomaties des États vivant de l’érosion des bases fiscales des autres États sont prêtes à faire barrage à toute initiative en ce sens, etc. En pratique, cela ne peut avancer que par des compromis entre États et grandes entreprises, mais c’est là un moyen pour les dirigeants politiques des États concernés de satisfaire leurs populations.

Peut-on vraiment taxer les riches sans risquer un soulèvement politique ?

Pour les particuliers, la volonté des État parait moins forte, et les perceptions de l’opinion publique beaucoup plus malléables. Après tout, un riche, même un très riche, n’est-ce pas au fond quelqu’un qui mérite son argent ? Un innovateur ? Un investisseur ? Et d’ailleurs, où situer la frontière entre très riches, riches, et classes moyennes ? Ceux qui proposent des hausses d’impôts se laissent en général piéger politiquement en annonçant un montant de richesse ou de revenu bien trop bas, qui inquiète nécessairement une bonne part des personnes les plus influentes de la société. Toute hausse annoncée et mise en œuvre doit pour être politiquement viable viser vraiment haut. C’est ce que fait l’Administration Biden, en revenant sur les baisses d’impôts de la période Trump, elles-mêmes très favorables aux plus riches parmi les plus riches. Pour l’instant, ce genre d’option n’a pas retenu l’attention en France en dehors des partis de gauche, dont on sait par ailleurs le peu d’attrait auprès de l’électorat en général. Cette solution de viser très haut est pourtant devenue par ailleurs d’autant plus rentable fiscalement que ce sont à la fois les revenus de ceux qui gagnent vraiment le mieux leur vie et les très hauts patrimoines qui ont vraiment beaucoup augmentés ces dernières années.

L’on dira sans doute qu’un pays ne peut taxer fortement les patrimoines et les revenus au risque de faire fuir les personnes en cause vers un horizon fiscalement plus accueillant. En pratique, cette mobilité est surestimée. Mais un pays comme la France pourrait copier les États-Unis et aller vers une fiscalité qui s’appliquerait à chaque citoyen français où que l’on réside dans le monde – sauf à abandonner cette nationalité française et ses avantages en matière de protection diplomatique.

Pour finir, ajoutons que les très riches, détenteurs par ailleurs d’un patrimoine financier constitué en partie de titres de dette publique, auraient en fait tout intérêt à se laisser taxer un peu plus afin d’assurer la solvabilité des États dont ils détiennent les titres. Dans l’histoire de France, les pauvres ne sont pas souvent ruinés par la banqueroute de l’État, les riches quelquefois.