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Le président de la République multiplie les chantiers depuis son arrivée au palais de l'Elysée. Un an après le début de son mandat, il est clair que certains bénéficient beaucoup plus de sa politique que d'autre.
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Qui sont les gagnants et les perdants de la politique d'Emmanuel Macron ?

En un an de mandat, Emmanuel Macron s’est attelé à un nombre impressionnants de chantiers. Il fait même de cette capacité à tout changer, et tout changer vite, un véritable argument politique. Après avoir réformé le code du travail à coup d’ordonnances, s’être attaqué à la réforme des retraites, le chef de l’Etat multiplie les mesures relatives à la fiscalité des individus : suppression de l’exit tax ou remplacement de l’ISF par l’IFI (impôt sur la fortune), par exemple. La politique économique qu’il mène fait l’objet de beaucoup de contestations et est majoritairement perçue comme injuste par les Français. Peut-être bien parce qu’elle l’est... ?

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Pour Frédéric Farah, économiste parfois classé à gauche, chercheur affilié au PHARE et enseignant à l’université Panthéon-Sorbonne cela fait assez peu de doute. "Il y a évidemment des gagnants et des perdants dans cette histoire. La philosophie de la réforme du code du travail, qui n’est appliquée que partiellement pour le moment, est profitable à l’employeur par exemple. Elle lui offre la sécurité, des facilités de licenciement, moins de charges à payer… En revanche, elle réserve au salarié la flexibilité. En matière de flexi-sécurité tous ne sont pas logés à la même enseigne", fait-il remarquer. A ses yeux, cette politique d’emploi découle d’une logique quantitative plus que qualitative. "Il s’agit de faire baisser le chômage sans se préoccuper de la qualité des postes proposés. Dans l’idée, un travail, même dégradé, est toujours préférable au chômage. Concrètement, on produit donc de plus en plus d’emplois courts, précaires, qui débouchent essentiellement sur de la précarité. Nous sommes en train de développer ce que Robert Castel appelait le précariat : une situation de précarité durable, auto-alimentée par un cercle vicieux", constate l’économiste. Ici, les perdants ne sont pas durs à identifier. "D’une façon globale, les salariés sont perdants. Dans le détail, les travailleurs les plus vulnérables et les moins qualifiés y perdent le plus. C’est eux qui subissent le plus l’ubérisation, pas des cadres ++ installés en métropole qui détiennent un portefeuille d’action et perçoivent la mondialisation comme des opportunités de carrière. Eux ne sont pas concernés par la réhabilitation du paiement à la tâche", insiste-t-il. Une thèse que Xavier Timbeau, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), tempère. Pour lui, sur la réforme du travail comme sur celle des retraites, il est difficile de dire précisément qui y perd ou y gagne le plus, faute de clarté. "Sur la réforme du travail, il est tout à fait possible que certains effets de transferts se jouent à la frontière entre les peu qualifiés précaires et les peu qualifiés moins précarisés. Les rôles vont peut-être s’inverser à ce niveau", estime-t-il.

Il n’y a pas qu’au travail que la politique d’Emmanuel Macron produit des laissés pour compte. "Sur le plan fiscal, les grands gagnants sont les contribuables qui payaient l’ISF et dont le capital est considérable. Le président de la République multiplie les mesures pour réduire la pression fiscale qu’ils supportent", analyse Xavier Timbeau, . Côtés perdants, on retrouve selon les lui les actifs et les retraités, du fait de la bascule de la CSG. "46% des baisses d’impôts profitent aux 10% les plus riches. Les gagnants sont clairement les déciles supérieurs", ajoute Frédéric Farah qui poursuit : "D’une façon générale, ceux qui perdaient par le passé continuent à perdre pendant que ceux qui gagnaient continuent à le faire", assure-t-il.

Emmanuel Macron est-il le président des riches ?

"En pratique, la politique fiscale du chef de l’Etat consiste en partie à revenir sur des mesures voulues par François Hollande. Le précédent président de la République avait souhaité alourdir la fiscalité des plus aisés, pour éviter un accroissement des inégalités en France", précise le directeur de l’OFCE. Des inégalités masquées par des voyants au vert, comme c’est le cas de la croissance. "C’est un cache-misère", assène Frédéric Farah. "Bien sûr, on continue de redistribuer environ 30% de la production de richesse annuelle, mais à côté de cela on favorise la concentration du capital. Et donc mécaniquement celle des inégalités. Au mieux, il y aura stagnation", juge le chercheur affilié au PHARE. "On peut légitimement penser qu’Emmanuel Macron a fait sauter la digue qui bloquait la montée des inégalités en France", acquiesce Xavier Timbeau. Toutefois, les deux économistes divergent sur la suite.

"Le chef de l’Etat est convaincu que les inégalités génèrent du dynamisme économique, qu’à terme tout le monde en tirera profit. C’est faux. Patrick Artus, économiste chez Natixis, qui ne peut pas vraiment être taxé de ‘gauchisme’, l’a prouvé : à terme les inégalités économiques nuisent à la consommation sur laquelle se basent nos économies", explique Frédéric Farah, qui fait le parallèle avec les récentes crises économiques. "Une croissance basée sur les inégalités est instable. Elle n’est pas durable. Des crises comme celles des subprimes sont avant tout issues de problèmes de redistribution. Elles sont ensuite brandies en paravent pour masquer des réalités plus fines : tout le monde n’accuse pas le coup de la même façon. Les plus précaires voient leurs revenus fondre tandis que les plus riches continuent à s’enrichir."

"Emmanuel Macron argumenterait que la digue ne servait à rien, voire qu’elle limitait la stabilité économique du pays et que les inégalités allaient de toute façon augmenter", explique Xavier Timbeau. Selon lui, il est "un peu illusoirede défendre notre modèle" dans un contexte mondialisé comme c’est le cas aujourd’hui. "L’argument, pragmatique, qu’avance le président n’est pas dénué de justesse. Toutefois, cela reste un renoncement dont les conséquences politiques et économiques pourraient être graves", déplore-t-il. "Lutter contre les inégalités seuls, en France, c’est quelque chose qui est complexe, je le conçois. Mais il est désolant de voir qu’Emmanuel Macron ne propose rien sur ce sujet sur le plan européen. Le sujet n’a jamais été abordé."

Emmanuel Macron : comment rééquilibrer la situation

Pour rééquilibrer sa politique économique et se défaire de l’image de président des riches qui lui colle à la peau, plusieurs réponses sont envisageables. Xavier Timbeau en voit au moins trois : une réponse d’ordre fiscale impliquant de "repenser la fiscalité du capital pour la rendre plus progressive". "Emmanuel Macron pourrait rouvrir le chantier de l’héritage qui joue un rôle dans la mobilité sociale. Mais c’est un sujet qui concerne beaucoup les gens, quand bien même peu d’entre eux paient vraiment l’impôt sur les droits de successions", estime-t-il. Il y voit la possibilité de "rétablir un sentiment de justice". Autre chantier hautement symbolique : la fiscalité des personnes. "Assurer une meilleure coordination des règles en matière de fiscalité à échelle européenne est symbolique mais essentiel. En outre, cela contribuerait à donner un rôle plus positif à l’Union Européenne." Enfin, il faudrait selon lui revoir l’éducation nationale, pour qu’elle "offre autant de chances à tout un chacun". "La justice dans le système éducatif est un élément nécessaire pour donner une réalité à la notion de mobilité sociale", insiste-t-il.

De son côté Frédéric Farah souligne aussi l’importance de refondre la fiscalité. "Il faut faire de l’impôt sur le revenu un outil progressiste de redistribution et de justice sociale. Cela passe également par revenir sur les cadeaux qu’ont reçus les ménages les plus aisés du pays. Mais fondamentalement, ce n’est pas son logiciel de pensée", juge-t-il avant de conclure : "Il ne le fera pas."