L'ancien patron de l'Alliance Renault-Nissan estime avoir été piégé par le groupe nippon. Depuis son évasion du Japon, il met tout en oeuvre pour prouver cette théorie du complot.
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Il se défend coûte que coûte. Après plus d’un an de silence médiatique, Carlos Ghosn n’en finit plus de prendre la parole. L’ancien patron de l’Alliance Renault-Nissan est accusé de malversations financières par les autorités japonaises et devait être jugé en 2020. Après plus de 130 jours d’incarcération et une assignation à résidence, l’homme d’affaires a décidé de s’affranchir de la justice japonaise et de quitter l’archipel pour rejoindre le Liban. Lors d’une conférence de presse à Beyrouth, il a longuement cherché à prouver son innocence dans cette affaire, affirmant qu’il s’agissait en réalité d’un complot de Nissan contre lui.

Evasion de Carlos Ghosn : un complot de Nissan ?

Pour appuyer son propos, Carlos Ghosn a expliqué lors de cette conférence de presse que les performances de Nissan avaient décliné ces dernières années. Conséquence, "il y avait de la nervosité dans les rangs des dirigeants" de l’entreprise nippone. Deuxième raison selon l’ancien patron, la mise en place de la loi dite Florange en France, qui attribue aux actionnaires de long terme des droits de vote double. Alors ministre de l’Economie, Emmanuel Macron s’était battu pour que cette loi puisse être appliquée. Selon Carlos Ghosn, "cela a laissé beaucoup d’amertume chez nos amis japonais (…) non seulement au niveau de la direction de Nissan mais aussi au sein du gouvernement japonais". D’après lui, les Japonais trouvaient que c’était "injuste" : "On a essayé d’expliquer la situation mais ça n’a pas été couronné de succès et les problèmes ont commencé". "Le fait que l’on ait voté la loi Florange et que l’on ait refusé, par la pression de l’Etat, de donner le droit de vote à Nissan, c’est cela qui a provoqué la méfiance de nos amis japonais", a-t-il ajouté dans un entretien sur BFM Business.

Dans un entretien accordé à Reuters, et relayé par Le Figaro, Carlos Ghosn développe de nouveaux arguments pour justifier cette théorie du complot. Tout de suite après son arrestation, il aurait demandé que "Nissan soit au courant, pour qu’ils puissent [lui] envoyer un avocat" : "Le deuxième jour, 24h plus tard, j’ai reçu une visite de l’ambassadeur de France, qui m’a dit : ‘Nissan se retourne contre vous’. C’est à ce moment que j’ai compris que tout ceci n’était qu’un complot". "Quand [l’ambassadeur de France] m’a dit que deux ou trois heures après mon arrestation, Hiroto Saikawa est allé en conférence de presse et a fait sa fameuse déclaration, où il dit : ‘Je suis horrifié, mais ce que j’apprends…’, je me suis dit : ‘Oh mon dieu, c’est un complot’".

Comme le rappelle Le Figaro, Carlos Ghosn a reçu la visite de l'ambassadeur français Laurent Pic le 20 novembre, au lendemain de son arrestation. A l’époque, elle était justifiée par les autorités comme s’inscrivant dans le cadre de la protection consulaire des Français à l’étranger. La France est restée discrète sur le sujet depuis l’arrestation de Carlos Ghosn. La théorie du complot qu’il développe dans les médias depuis plusieurs jours pourrait ne pas plaire aux autorités françaises, mises dans une position délicate.

Evasion de Carlos Ghosn : un dossier délicat pour la France

C’est une position délicate pour l’Etat français. Carlos Ghosn est un ressortissant de l’Hexagone et bénéficie donc de la protection consulaire. Il a été pendant de nombreuses années un des patrons les plus importants du Cac40 et bénéficie d’une aura médiatique encore plus importante depuis son arrestation en novembre 2018. Lors de sa conférence de presse, l’ancien PDG a expliqué qu’il n’attendait "rien du tout" du gouvernement et d’Emmanuel Macron, même si ce dernier a plusieurs fois souligné qu'il bénéficiait de la présomption d’innocence.

Si l’exécutif se garde bien de commenter l’affaire depuis l’incarcération de Carlos Ghosn, il s’est officiellement désolidarisé de l’ancien patron en janvier 2019, en demandant la nomination rapide d’un successeur pour le remplacer à la tête de Renault. Comme le rappelle Le Figaro, Bruno Le Maire justifiait alors sa décision en expliquant : "J’ai toujours indiqué (…) que s’il devait être durablement empêché, nous devrions passer à une nouvelle étape. Nous y sommes".

Le gouvernement est dans une situation d’autant plus délicate avec la fuite de l’ancien PDG. Si l’exécutif le soutient en tant que ressortissant français, il a tout de même souligné qu’il se soustrayait aux lois japonaises par son action. Un numéro d’équilibriste, d’autant plus que le gouvernement ne veut pas froisser les autorités nippones. Ces dernières ont vivement critiqué l’évasion de Carlos Ghosn, qui entend bien se défendre de tout soupçon, contre les autorités japonaises mais aussi contre Renault. Il souhaite poursuivre le constructeur français en justice.

Evasion de Carlos Ghosn : quelles suites pour l’ancien patron ?

Carlos Ghosn conteste sa démission du groupe. Le 24 janvier 2019, Renault actait pourtant de cette décision, après la signature d’une lettre par l’ancien patron lui-même. Adressée au conseil d’administration de la firme, elle évoquait sa "décision de mettre un terme à [ses] mandats". Mais, un an plus tard, Carlos Ghosn a expliqué au Figaro qu'il entendait bien mener la bataille : "Je réclame mes droits à la retraite ainsi qu’à tous les droits qui me sont acquis". Lors de sa conférence de presse, il avait déjà expliqué aux journalistes présents : "Je me suis retiré pour permettre à Renault de fonctionner normalement, alors que j’étais en prison. Dire que c’est une démission, c’est un travestissement de la réalité". Carlos Ghosn entend bien récupérer sa "retraite chapeau", d'un montant brut de 774 774 euros par an, ainsi que ses 380 000 actions de performances. Selon Capital, ses droits à la retraite représenteraient plus de 20 millions d'euros.