Faut-il surtaxer les plus riches ?Istock
TRIBUNE - Pour faire face à la crise sanitaire et aux dépenses qu'elle engendre, il faudra passer par l'impôt. Mais qui des entreprises, des ménages ou des riches devront passer à la casserole ? La réponse de Jacques Bichot, économiste et membre honoraire du Conseil économique et social.
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La pandémie a conduit de nombreux États, dont la France, à dépenser beaucoup plus que ce que les impôts et les cotisations sociales font rentrer dans les caisses publiques, et donc à s’endetter massivement. La dette publique représentait une année de PIB avant l’entrée en scène de Covid 19 ; au 31 décembre 2020 elle avait déjà augmenté de 16 %, et cette augmentation continue au même rythme, si bien que les 130 % du PIB seront dépassés en juin. Il va falloir modérer ce recours à l’emprunt, et donc à la création ex nihilo de créances à vue des particuliers sur les banques et les caisses d’épargne, créances auxquelles ne correspond aucun supplément de richesse réelle.

Pour cela, les États et les organismes sociaux devront prélever davantage au lieu d’emprunter – ce qui a été possible à des taux proches de zéro grâce aux banques centrales. Mais qui taxer davantage ? La plupart des entreprises ont souffert ; elles ont reçu des aides, obtenus des crédits à des conditions exceptionnelles, mais cela ne suffit pas, il faudrait qu’elles puissent augmenter leurs fonds propres et regarnir leurs réserves : il est impossible de compter sur une augmentation conséquente des impôts et taxes dont elles doivent s’acquitter.

Plutôt que les entreprises, ce sont les ménages à qui il va falloir soutirer des milliards d'euros

En revanche, les "bas de laine" des ménages se sont arrondis. Certaines familles tirent le diable par la queue, mais globalement les ménages ont accumulé des richesses nominales auxquelles, hélas, ne correspondent pas des richesses réelles aussi importantes. Il s’est produit une forte augmentation de leurs créances sur les banques : Ce sont donc à eux que les percepteurs vont devoir soutirer des dizaines de milliards d’euros supplémentaires.

Taxer les riches ou taxer les pauvres : la République a choisi

Les ménages ont depuis plusieurs décennies tendance à augmenter leurs placements liquides plus vite que le PIB. L’agrégat M3 mesure ce "bas de laine", composé de billets, de comptes à vue et de comptes d’épargne. Or, en 2020 et pour la période connue de 2021, l’augmentation de ces avoirs a été bien plus forte que d’ordinaire : environ 15 % de croissance annuelle, sans hausse des prix. Ils ont atteint en mars 2 705 Md€. Nettement plus que le PIB, 2130 Md€ en 2020.

Cette épargne ne correspond que partiellement à une richesse réelle (des entreprises, des infrastructures, des biens immobiliers, des stocks). Pour une autre part, difficile à préciser, mais qui pourrait bien être environ la moitié, c’est du vent ! Il serait donc sain de dégonfler cette baudruche, ou à tout le moins d’arrêter son gonflement. Pour cela il faut que l’État arrête de dépenser de l’argent créé ex nihilo. Cela veut dire réduire les dépenses et augmenter les impôts. Mais faut-il augmenter la pression fiscale uniformément sur tous les contribuables, ou prélever proportionnellement davantage sur les plus aisés ?

Il paraît normal de demander un effort plus important aux riches qu’aux pauvres. C’est d’ailleurs un principe républicain : l’impôt sur le revenu (IR) est progressif, calculé par tranches, à des taux modiques pour les premières, puis de plus en plus élevés. Considérons deux ménages de même composition, l’un ayant pour revenu deux smics, et l’autre dix. La progressivité de l’impôt a pour conséquence de faire payer au second non pas le quintuple de ce que paie le premier, mais par exemple dix fois plus. L’instrument existe, il suffirait de "durcir" provisoirement le barème.

Impôt : pas besoin de mesures extraordinaires pour sortir de la crise

Nous n’avons aucun besoin de mesures extraordinaires : il s’agit simplement d’annoncer, de manière crédible, que cette modification du barème est instaurée pour une période limitée, par exemple 5 ans, avec une extension possible au cas où la pandémie durerait davantage que prévu.

Ce recours à une majoration provisoire des taux de l’IR éviterait de créer un instrument fiscal supplémentaire. Les Français ne savent que trop combien, dans notre pays, un nouvel impôt, initialement présenté comme exceptionnel, à durée limitée, risque de s’incruster, de prendre une place définitive dans notre panoplie fiscale.

Mieux vaudrait tout simplement durcir pour une période limitée, par exemple 3 à 5 ans, le barème applicable aux revenus confortables. La pandémie ne doit pas déboucher sur une taxation confiscatoire des ménages aisés et riches, qui aurait comme conséquence une émigration importante des Français les plus à même de faire "performer" notre pays. Demander un effort inédit, limité dans le temps, est normal du fait que le pays et le monde traversent une période exceptionnelle, un peu comme une guerre. En revanche, si les citoyens aisés constatent que la pandémie est instrumentalisée pour instaurer durablement une fiscalité confiscatoire, beaucoup d’entre eux émigreront et la France, privée d’une partie de ses élites économiques, s’appauvrira relativement au reste du monde.