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La baisse des impôts fait partie de ces nombreuses mesures qui ont été annoncées ces derniers mois par le gouvernement. Le président a promis que les Français seraient gagnant, mais cela est-il vrai ?
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La taxe d’habitation disparaîtra pour l’ensemble de la population d’ici 2022. Voici la dernière annonce formulée en avril dernier par Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics. Un engagement qu’avait pris Emmanuel Macron fin 2017.

80% des contribuables voient actuellement cet impôt disparaître petit à petit. Deux baisses successives d'environ 30% ont déjà été entreprises. Les 20% restants, eux, devront faire preuve d’un peu plus de patience, comme l’a annoncé Edouard Philippe sur le plateau de Franceinfo,  le 17 mai dernier.

"L'objectif est de faire en sorte que les classes moyennes, ceux qui travaillent, puissent ressentir plus fortement, voire très fortement, la baisse de l'impôt sur le revenu", déclarait le Premier ministre sur ce même plateau. Ce n'est pas la seule mesure annoncée par le président. 

Baisse des impôts : une valse des mesures ? 

Face à la crise des "gilets jaunes", le président a annoncé plusieurs mesures pour redonner aux français les plus modestes, du pouvoir d’achat. En effet, le nombre de bénéficiaires a été revu à la hausse pour la prime d’activité ainsi que la prime exceptionnelle. L’une redonne trois milliards d’euros de pouvoir d’achat aux actifs modestes sur l’année. L'autre représente en moyenne 400 euros pour 5,5 millions de salariés.  

A cela vient s’ajouter la défiscalisation des heures supplémentaires et l'annulation de la hausse de la CSG pour cinq millions de retraités. Ce qui représente un gain annuel de 450 euros en moyenne par foyer sur l’année. Par ailleurs, le chef de l'Etat a annoncé le 25 avril dernier une baisse des impôts sur le revenu d'environ cinq milliards d'euros.  

Cependant, une différence est présente entre les statistiques et la réalité. Selon les contribuables, la situation pourraient être totalement différente ... 

Pouvoir d'achat, de quoi s'agit-t-il ? 

L’Insee définit le pouvoir d’achat, comme étant le volume de biens et de services qu’il est possible d’acheter avec un revenu. L’institut précise que son augmentation dépend de l’inflation des prix et de l’évolution des salaires. Il est donc simple de comprendre que si les prix augmentent, alors que les salaires eux restent constants, le pouvoir d’achat va diminuer. A l’inverse, celui-ci augmente si les prix baissent et que les revenus eux augmentent.

Depuis plusieurs mois, au travers de la crise des "gilets jaunes", les français déplorent la hausse des "dépenses contraintes". Il s'agit de la part réservée au logement, aux factures comme l’électricité, l’eau, le gaz et à l’alimentation. Celle-ci vient diminuer leur possibilité de consommation.

Un ressenti qui entre pourtant en contradiction avec les chiffres donnés par l’Insee, mais aussi ceux estimés par le gouvernement. En effet, l'Etat prévoit une hausse de plus de 2% du pouvoir d’achat moyen par habitant en 2019, ce qui représente 850 euros par ménage, sur l’année. 

Selon le Premier ministre, il s’agit de la plus forte hausse depuis une douzaine d’années. Il précise par ailleurs que parmi ces 850 euros, 390 d’entre eux proviendront des mesures annoncées par Emmanuel Macron, rapporte Franceinfo. Des chiffres que vient corroborer l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui lui évoque 2,5% en 2019.

Pouvoir d'achat : le grave problème des statistiques 

"La hausse du pouvoir d’achat est ressentie de façon différente suivant la catégorie sociale, mais aussi les revenus et le lieu de résidence. Cette perception sera différente entre ceux qui vivent en Ile-de-France et ceux qui se trouvent à la campagne par exemple", explique l'économiste Frédéric Farah, chercheur affilié au laboratoire PHARE de la Sorbonne et professeur de sciences économiques et sociales et marqué à gauche. 

Un avis partagé par l'économiste Philippe Herlin, docteur en économie du CNAM, d'orientation libérale et auteur du livre Pouvoir d'achat, le grand mensonge. "Le français moyen n’existe pas dans la réalité. Chaque ménage à son panier de consommation et de ce fait sa propre inflation".

Pourquoi l'Etat ne parvient pas à endiguer la baisse de votre pouvoir d'achat ? 

Différents gouvernements se sont attelés à endiguer la baisse du pouvoir d’achat, en vain. L’Etat, comme seul responsable de la baisse du pouvoir d’achat, est d'ailleurs l’une des critiques qui revient souvent. Pour l'économiste libérale, il y a une part de vrai. "Réduire les impôts est une chose. Cela soulève tout de même une question : par qui et comment est financée cette diminution ? L’Etat continue de creuser encore un peu plus dans la dette publique. Résultat, cela pèse sur l’économie et les personnes qui ont vu leur part de dépenses contraintes diminuer, vont à nouveau devoir faire un effort".

Des propos que le professeur de sciences économiques et sociales à la Sorbonne rejoint en partie. "N'isolons pas une mesure de ses conséquences. Supprimer la taxe d’habitation, pour repartir sur cet exemple, n'est pas nécessairement une mauvaise idée, mais cela signifie que les collectivités locales vont perdre une partie de leurs recettes. Or, leurs missions ne cessent d’augmenter. Elles se voient donc contraintes de revoir à la hausse différents impôts locaux, comme la taxe foncière. Au final, cela pèse donc sur le contribuable."

"Cette masse d’impôts perçue par l'Etat permet au gouvernement de noyer le poisson pour ne pas entreprendre les mesures nécessaires", s’agace Philippe Herlin. "Les annonces d’Emmanuel Macron ne lui servent juste qu’à acheter du temps pour essayer d’en finir avec la grogne", poursuit-il. Frédéric Farah, pour sa part n'hésite pas à parler de "bidouillage de la fiscalité", au détriment du portefeuille des Français.

Augmenter le pouvoir d’achat n'est-il pas un éternel casse-tête ? 

"La baisse des impôts c’est une solution à court terme. Sur le long terme, il faut d'abord augmenter la productivité, dont la hausse engendrera de nouvelles embauches. Ensuite cela requiert également un effort de la part de l’Etat qui devrait par exemple, diminuer le nombre de fonctionnaire", détaille Philippe Herlin.

A l’inverse, le chercheur affilié au PHARE espère "un changement de cadre, de manière de penser et de gouverner" pour faire évoluer la situation. "La faute ne vient pas forcément l’Etat, qui s’est dépossédé au fur et à mesure des années de ses moyens d’actions, mais plutôt des décisions prises par certains de ces gouvernants. Il faut sortir de cette logique européenne et de mondialisation dans laquelle nous nous sommes enfermés."

"Le réel problème, c’est la financiarisation de l’économie, cette politique de libre-échange et de concurrence, qui est inefficace. Il faut la repenser. Il faut renverser le cadre, sous peine de continuer à vivre des agitations sociales et à recevoir des miettes", conclut le chercheur de la Sorbonne. 

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