Grèves, impôts, violences… A quoi faudra-t-il s’attendre, après le covid ?AFP
INTERVIEW. Pour l'heure, le coronavirus Covid-19 occupe toute l'attention. A bien des égards, il pourrait apparaître comme l'arbre qui cache la forêt. Climat social français, problèmes économiques de l'Hexagone… Le monde d'après nous réserve probablement quelques surprises.
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Le coronavirus n'aura pas su arrêter les grévistes. Aux débuts de l'épidémie, ils militaient alors contre la mère des réformes ; la transformation du modèle de retraite français. Depuis, le gouvernement a reculé - au moins le temps de l'épidémie - et d'autres combats sont peu à peu montés. Désormais, c'est contre le projet Hercules et la scission d'EDF que les agents du service public font grève, rapporte l'antenne Île-de-France du portail Actu.fr. Et c'est loin d'être le seul mouvement à trouver écho dans la presse ! La grève des avocats à Caen est relayée par Ouest-France, celle que prévoient les professeurs est évoquée par La Dépêche. Sans oublier celle de la RATP, qui a droit à son article sur le pure-player. Autant d'expressions d'un mécontentement global, qui en disent long sur le climat social du pays. 

Une fois l'épidémie laissée derrière, que sera devenue la France ? Faut-il s'attendre à retrouver une nation apaisée ou, au contraire, à bout de souffle ?

Violences, grèves… Ce que vous réserve (peut-être) l'avenir

Pour le politologue Christophe Bouillaud, qui enseigne les sciences politiques à l'IEP de Grenoble, il n'est pas improbable que l'après-covid soit marqué par un retour au conflit social et aux violences policières. "Il est difficile de ne pas voir la grande exaspération qui frappe aujourd'hui toute une série de secteurs professionnels en France. Une fois l'épidémie de coronavirus passée, nombreux seront ceux qui auront donc à cœur de revenir devant le gouvernement pour faire valoir leurs demandes. Parce qu'ils auront tenu le pays tout le long de la crise sanitaire, elles apparaîtront probablement légitimes aux yeux des Françaises et des Français", analyse d'entrée de jeu le chercheur, qui pense notamment aux hôteliers, aux transports et, évidemment, au personnel soignant.

"Depuis le début du quinquennat, toutes les mobilisations sociales ont été étouffées. La politique de répression des manifestations du président Macron est inédite depuis des décennies. Dès lors, quand il s'agit de savoir dans quel état on retrouvera la France à l'issue de la pandémie, l'une des questions à se poser est la suivante : le gouvernement va-t-il s'enchaîner dans une stratégie policière de l'affrontement avec les manifestants ou va-t-il amorcer un retour à une situation normale ?", questionne ensuite l'expert, pour qui la doctrine de l'exécutif semble n'avoir - hélas - pas bougé. C'est pourquoi l'on va probablement au devants de violences, juge-t-il. 

"En étouffant les manifestations dans l'œuf ainsi qu'il le fait, c'est-à-dire en rendant dangereux le simple fait d'aller manifester, le gouvernement décourage toutes celles et ceux qui ne sont pas parmi les plus exaspérés. Ne restent donc que les individus aux positions les plus radicales", souligne-t-il encore. Il pourrait donc être illusoire d'espérer retrouver une nation sereine et calme… 

Guerre sociale, baisse du niveau des retraites : les risques post-covid

Pire encore, peut-être ! Si le gouvernement décide de mettre le feu aux poudres en relançant la réforme des retraites, ainsi que le souhaiterait un certain Bruno Le Maire, cela constituerait l'assurance d'un retour à un conflit social dur. 

"C'est d'autant plus vrai que l'exécutif a fini par cracher le morceau, notamment à travers la voix de son ministre de l'Economie. Les Françaises et les Français savent désormais que la transformation du modèle des retraites est une réforme exclusivement financière, visant à faire des économies sur le dos des futurs retraités", rappelle encore Christophe Bouillaud.

La réforme des retraites, que l'exécutif assure ne pas avoir oubliée, constitue encore un dossier explosif dont il faudrait se méfier, estime-t-il. "Il y a de fortes chances qu'un pan du discours autrefois utilisé pour justifier cette évolution de notre système de solidarités inter-générations ne soit plus très audible aujourd'hui. La baisse de l'espérance de vie vient, notamment, contredire l'idée qu'il soit prioritaire de travailler plus longtemps parce que l'on vit plus longtemps. Ce qui ne fait que s'ajouter à tous les reproches déjà formulés par le passé", poursuit le politologue.

"Aujourd'hui, et ce sera probablement encore plus le cas à l'issue des élections régionales, le gouvernement manque de crédit politique pour mener à bien ce type de réforme", estime-t-il. De quoi polluer plus encore un climat social potentiellement très dégradé.

La France post-covid : faillites, chômage, impôts et casse du service public ?

Difficile d'évoquer la France post-covid sans parler aussi des difficultés rencontrées par les entreprises ; des mesures engagées par l'exécutif pour sauver l'économie hexagonale. Le gouvernement, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, a dépensé des sommes considérables pour venir en aide aux Françaises et aux Français. Soutien au chômage partiel, report de charges, prêts garantis… Force est de constater le retour en force de l'Etat providence, au moins le temps de la crise sanitaire.

Et pourtant, d'aucuns s'inquiètent de la "multiplication des entreprises ‘zombies' en France", rapporte notamment BFMTV. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) décrit ces dernières comme "des entreprises ayant au moins dix ans d'âge et dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir leur charge d'intérêts pendant trois années consécutives". D'autres - c'est le cas d'Emmanuel Combe, vice-président de l'Autorité de la concurrence - évoquent des "firmes qui ne font pas de profit", affichant "une valorisation boursière quasiment nulle". Et la chaîne d'information en continue de poursuivre : leur seule existence constitue un "frein à la reprise".

"Il faut, hélas, s'attendre à une vague de faillite. Pour l'essentiel, j'ai le sentiment que cette succession de fermetures concernera les petites et moyennes entreprises. Attendez-vous donc, peut-être, à changer de petit commerce ou de coiffeur", estime pour sa part Christophe Bouillaud, non sans rappeler que l'Etat dispose de leviers pour influencer la situation. 

"S'il décide que les sociétés n'auront pas à rembourser les prêts qu'il garantit, l'Etat leur donnera peut-être un peu d'espace pour respirer. Dans le cas contraire, il risque d'en couler certaines. Cependant, quoiqu'il fasse, il ne pourra pas effacer les conséquences de l'épidémie", ajoute l'enseignant-chercheur.

Selon lui, la pire des réponses à la crise serait un retour à l'austérité. "Le vrai danger aujourd'hui, c'est la grille de lecture traditionnelle du gouvernement. S'il reste arque-bouté sur son idéologie et décide qu'il faut faire des économies et tout faire pour pouvoir rembourser la dette dans les plus brefs délais, l'exécutif pourrait miner l'économie du pays. Il n'est pas l'heure d'augmenter les impôts ou de poursuivre la réduction du nombre de lits d'hôpitaux", insiste en effet le politologue… Avant de rappeler que c'est précisément ce que vient de voter la majorité. "La baisse du nombre de lits d'hôpitaux faisait partie du dernier PLF", assène-t-il. Sans doute faudra-t-il s'attendre à moins de service public et à une explosion du chômage.

Et Christophe Bouillaud de conclure : "Pour satisfaire des marchés financiers qui n'en demandent probablement pas tant, Emmanuel Macron risque de couler l'économie à l'insu de son plein gré…"

La France post-Covid : Emmanuel Macron aura-t-il le temps de faire quoi que ce soit ?

"Il n'est pas sûr qu'Emmanuel Macron puisse reprendre le cours de son quinquennat comme si de rien n'était", rappelle d'abord Christophe Bouillaud, pour qui toute sortie de crise semble s'éloigner de jour en jour, au moins tel que vu de janvier 2021. "La situation ne s'améliorera pas radicalement et subitement. Les effets de la crise se feront probablement sentir jusqu'en automne", indique-t-il. L'élection présidentielle de 2022 arrivant à grand pas, l'ambiance sera peut-être plus à la campagne électorale qu'à l'action politique à ce moment-là.

Pour autant, l'enseignant-chercheur à l'Institut d'Etudes Politique de Grenoble estime que le président de la République aurait tout à gagner à ne pas trop rebattre les cartes à l'issue de la pandémie. "Pour beaucoup de citoyens, l'idée même d'une réforme pourrait sembler malvenue, après le coronavirus. Ils seront nombreux à simplement vouloir un retour à la normale et, dès lors, toute idée de grand bouleversement serait choquante", déclare le politologue, qui sait pertinemment que ce ne sera pas la direction privilégiée par le gouvernement

"Le chef de l'Etat a déjà fait savoir qu'il n'entendait pas succomber à l'immobilisme et qu'il voulait encore entreprendre de grandes réformes institutionnelles. A mon sens, cela illustre une mauvaise compréhension des enjeux du moment", analyse encore l'enseignant.