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Lorsque des membres de l'Eglise sont impliqués dans des affaires de pédophilie, la loi du silence s'impose parfois. Face à cette omerta, l'Eglise peut-elle engager sa responsabilité devant la justice ?
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Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : le débat relancé ?

L’Eglise catholique n’est malheureusement pas à son premier scandale de pédophilie. Il y a une dizaine de jours, une gigantesque affaire d’abus et d’agressions sexuels a éclaté aux Etats-Unis. Avec plus de 300 prêtres impliqués et au moins 1000 enfants victimes, le Pape a dû publier, lundi 20 août, une lettre adressée au "peuple de Dieu". Dans sa missive, le pontife a dénoncé les violences sexuelles et a appelé tous les catholiques à s’impliquer dans cette lutte.

En France, la dernière affaire en date est celle du cardinal Barbarin, à qui il est reproché d’avoir couvert des faits d’agressions sexuelles commis dans les années 1970 et 1980. Il est vrai qu’il est parfois reproché à l’Eglise catholique de faire preuve d’une trop grande loi du silence. A travers ces deux affaires, il s’agit de mettre en lumière ce que risque l’Eglise catholique française s’il lui était reproché un scandale de cette ampleur.

Au-delà des sanctions pénales prévues contre les auteurs des faits, tout l'enjeu consiste à comprendre ce qui est concrètement reproché aux complices de l’omerta. L’Eglise en tant qu’institution peut-elle voir sa responsabilité engagée ? Guillaume Jeanson, avocat au barreau de Paris et porte-parole de l’Institut pour la Justice, répond à nos questions.

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Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : l'institution intouchable ?

Planet : Dans le cas où, une affaire de pédophilie, telle que celle qui vient d'éclater aux Etats Unis, se produisait en France, l’Eglise catholique en tant qu’institution pourrait-elle voir sa responsabilité pénale engagée ?

Guillaume Jeanson : Par principe, la responsabilité pénale est personnelle. Engager la responsabilité de l’Eglise dans son ensemble oblitérerait le fait qu’il y a des personnes qui ne commettent rien de répréhensible en son sein. Il n’est pas possible de généraliser à tous ses membres ces comportements individuels.

Si de manière générale, il est légalement possible d’engager la responsabilité pénale d’une personne morale pour certains faits, il ne faut pas oublier que cette personne morale n’est alors responsable que par l’intermédiaire de ses organes ou représentants et seulement pour les infractions commises pour son compte. Ce qui évidemment, même en raisonnant par analogie, semblerait ici absurde.

Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : le délit de non-dénonciation

Planet : Pour les victimes d’agressions ou d'abus sexuelles, quelles sont les poursuites possibles en cas d’omerta au sein d’une institution (à l’échelle d’une église, d’une paroisse, d’un diocèse) ?

Guillaume Jeanson : L’arsenal juridique français dispose de moyens pour lutter contre une institution ou une organisation qui refuserait de communiquer des infractions. Il s’agit du délit de non dénonciation prévu à l’article 434-3 du code pénal. Ce texte puni notamment "le fait, pour quiconque ayant connaissance (…) d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur (…) de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n'ont pas cessé".

Une loi du 3 août 2018 est venue aggraver la sanction selon la qualité de la victime. Désormais, pour les mineurs de moins de 15 ans la peine passe de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

En ce qui concerne les membres de l’Eglise, la question du secret se posera néanmoins d’une manière toute particulière.

Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : le secret professionnel

Planet : Les membres de l’Eglise sont donc couverts par le secret professionnel ?

Guillaume Jeanson : La question tourne autour de la valeur juridique à accorder, pour les lois de la république et non celles du droit canonique, au secret de la confession. Si l’article 226-13 du code pénal sanctionne : "La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire" d’une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, l’article suivant y déroge dans certains cas.

C’est notamment le cas de "celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique".

En pratique, l’autorité religieuse pourra donc toujours violer ce secret pour fournir aux autorités ses révélations. Elle ne sera pas inquiété par les lois de la république. Elle le sera en revanche peut être par celles du droit canonique. Mais la vraie question sera surtout de savoir si elle pourra toujours ou pas être poursuivie pour absence de révélation aux autorités.

Or, sur ce point précis, il existe notamment une circulaire émanant du ministère de la justice en date du 11 août 2004 qui invite les enquêteurs à s’intéresser aux circonstances dans lesquelles le membre de l’Eglise a été rendu dépositaire de ces informations sensibles. L’a-t-il été lors d’une confession ou en dehors de cette mission très spécifique ?

Les rares affaires portées devant la justice laissent en effet penser que c’est seulement le silence gardé au sujet d’informations reçus en dehors du cadre de la confession qui pourrait entrainer une responsabilité pénale sur le fondement de l’infraction de non-dénonciation.

Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : l'omerta dans la hiérarchie

Planet : Ce délit de non-dénonciation permet-il de poursuivre toutes les personnes qui ont été informées des faits répréhensibles ?

Guillaume Jeanson : En ce qui concerne les différentes responsabilités à travers la hiérarchie, l’affaire Barbarin est sans doute une illustration intéressante. Le procès devait initialement se tenir en avril 2018 mais il a été reporté en janvier 2019.

D’après les informations révélées par la presse, la raison en serait un problème procédural lié à la citation à comparaître d’une personne extrêmement haut placée dans l’Eglise : le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, l'Espagnol Luis Francisco Ladaria Ferrer. Le retentissement semble donc pouvoir être important et la chaine des responsabilités conséquente.

Le précédent le plus connu à ma connaissance avait cependant semblé circonscrire plus vite le champ des personnes inquiétées. Dans cette affaire, jugée par le tribunal correctionnel de Caen le 4 septembre 2001, l’évêque du diocèse de Bayeux-Lisieux, avait été condamné pour non-dénonciation de mauvais traitement ou d’atteintes sexuelles, infligés à des mineurs de quinze ans (c’est-à-dire de moins de quinze ans) qui avaient été portés à sa connaissance. Il avait alors été condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis.

Responsabilité de l'Eglise face aux scandales : coupable ou complice ?

Planet : Dans le cas où plusieurs personnes sont concernées par la non-dénonciation, se rendent-elles complices ? Ou bien, seront-ils tous poursuivis à titre individuel ?

Guillaume Jeanson : La notion de complicité juridique revêt une signification précise qu’on retrouve définie à l’article 121-7 du code pénal. Il s’agit par exemple de cas ou une personne fournirait à l’auteur principal des faits son aide ou son assistance. Toutefois, la complicité peut aussi correspondre à des comportements assez différents.

Ce peut être par exemple le cas de celui qui donnerait un ordre à l’auteur de l’infraction. On pourrait donc imaginer le cas de celui qui intimerait l’ordre de garder le silence. Mais on pourrait tout aussi bien se demander alors si ce ne serait pas justement à celui placé dans cette situation d’être poursuivi comme auteur, et non plus comme complice, de l’infraction pénale de non dénonciation.

Ces questions peuvent se révéler assez subtiles. Cependant, l’enjeu demeure limité dans la mesure où, juridiquement, comme le dit la formule, "le complice est puni comme auteur de l’infraction". 

En réalité tout ceci doit surtout faire l’objet d’une appréciation des enquêteurs et des magistrats qui, suivant le principe de l’individualisation des peines, veilleront ensuite à prononcer une peine dont la gravité sera adaptée à l’implication réelle de chacune des personnes qui aura été reconnu coupable.