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Lorsqu'il coche sa grille de pronostics, le parieur ignore sûrement qu'une équipe de trente personnes s'est affairée pour lui en donner la possibilité. Ni pourquoi la cote de Monaco n'est qu'à 2,10 pendant que celle de Bordeaux a été fixée à 2,30. Cyril Journo est responsable des coteurs à la FDJ et explique l'envers du décor.  
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Comment définiriez-vous le métier de coteur ?

Le métier de coteur ou de ‘trader de paris sportifs’ ne s’arrête pas au simple fait d’établir des cotes. Nous avons la responsabilité de toute la chaine : nous produisons l’offre, créons les paris au jour le jour en cohérence avec nos deux clients actuels que sont Parions Web et Parions Sport. Ils définissent les sports en question de façon globale, mais sur certains matchs de football, on propose plus de 50 paris… Et il faut produire des cotes pour chacun de ces paris, donc vous imaginez bien que ce ne sont pas les chefs de produits de ces clients qui s’en chargent... Nous sommes les seuls à produire nous même nos cotes en France. Nos concurrents sur le marché Internet, Betclic ou Bwin ont des coteurs internationaux. PMU travaille en marque blanche avec Paddy Power, un bookmaker irlandais…

Comment êtes-vous organisés ?

On travaille 365 jours par an et en moyenne 20 heures sur 24. Il faut donc pas mal de personnes pour couvrir tout ça, d’autant qu’on est à la FDJ et qu’on respecte le droit du travail… Nous avons une équipe de trente personnes qui ne sont pas complètement interchangeables. Elles le sont éventuellement sur les principaux sports, mais nous fonctionnons par spécialisations. L’équipe est organisée entre quatre sport units, quatre entités ou familles de sports.

Quelles sont les qualités nécessaires à la profession de coteur ?

Au delà d’être un vrai passionné de sport, il faut être très rigoureux et concentré. C’est un métier en temps réel. Quand un coteur est en live, puisqu’en ligne nous proposons des paris qui évoluent au fil des matchs, il est devant cinq écrans et doit surveiller plusieurs choses à la fois : mettre les scores à jour, changer les cotes, évaluer le risque financier, surveiller ce que font les autres opérateurs en termes de benchmarking, tout en regardant en même temps le déroulé du match, sur des flux de streaming qui heureusement sont un peu en avance sur la télévision. Tout cela demande une vraie concentration. Une autre qualité primordiale, c’est d’avoir une mémoire d’éléphant. Car c’est vraiment le cerveau du coteur et son expérience qui permettent de tailler les cotes correctement par rapport aux parieurs auxquels il a affaire. Sans reprendre le sketch des Inconnus, un bon coteur, c’est quelqu’un connaît les pseudos et les habitudes de jeu des parieurs en ligne, donc qui est capable d’anticiper le comportement de ces derniers.

Il y a t-il un profil type ? On imagine qu’il faut être matheux…

Il n’y a pas de formation universitaire type, même si ça commence : des UV de paris sportifs voient le jour dans certaines formations au management du sport. On me demande de faire quelques interventions dans des Masters… Il faut être très à l’aise avec les chiffres, en effet, mais ça ne veut pas dire que je veux obligatoirement dans mon équipe des bac+ 5 ou 6 en mathématiques ou en statistiques. Mais j’ai besoin de gens à l’aise en calcul mental. Donc c’est sûr que ceux qui se revendiquent de ne pas être à l’aise avec les chiffres auraient du mal. On jongle avec les chiffres, donc en live, il faut être très réactif. Parce qu’en football ça va, mais en tennis, c’est à chaque point qu’on change les cotes : qui va gagner le jeu etc. Il faut être dynamique. Notre job consiste à faire pas mal de tableaux Excel… Nos coteurs ont entre 25 et 40 ans. Il y a une forte pénibilité dans les plannings, mais l’avantage, c’est de pouvoir exercer un travail en lien avec la passion sportive. On aimerait avoir des femmes, mais je n’ai reçu que trois candidatures féminines en treize ans.

Créer des cotes pour un Bordeaux-Saint-Etienne, ok, mais comment on s’y prend pour créer des cotes cohérentes sur du basket-ball grec par exemple ?

Il existe un marché de cotes. Les cotes sont guidées par pas mal de choses : les mouvements financiers, mais aussi les infos sportives. Comme on a la vertu d’être une loterie d’état, on a des contacts à l’étranger avec nos équivalents locaux. Ces contacts nous informent par exemple que le meilleur joueur du Panathinaïkos ne pourra pas jouer tel soir, ou que le match se joue sur terrain neutre sans spectateurs etc. Après, effectivement, je n’ai pas un spécialiste du basket turc en particulier dans mon équipe. Il faudrait être 300… Maintenant, vous savez que l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne) définit la liste des supports de compétition et les types de paris qu’on a le droit de proposer. Il y a pas mal de compétitions auxquelles on n’a pas le droit. Par exemple le football australien, qui pourtant pourrait être utile puisqu’avec le décalage horaire, ça fait du foot le matin. De même, nous ne sommes pas autorisés à proposer des paris où le vainqueur n’est pas déterminé par un temps ou un score, comme au patinage artistique. Le cadre est fait pour ne pas proposer sur le marché français des paris dits exotiques. Et nous appliquons également cette règle sur les paris en point de vente.

Qu’est-ce qui fait qu’une cote est fixée à 2,40 plutôt que à 2,50 ?

Ce n’est pas forcément basé sur des pures probabilités sportives. Derrière chaque cote établie, il y a évidemment des probabilités, mais aussi la gestion du risque financier, et le positionnement par rapport au marché, puisqu’il y a évidemment une guerre des prix comme dans la grande distribution. Sauf que les produits que vous vendez sont des paris. Sur une cote à 2,40, il faut que l’on ait à peu près 30 % des enjeux dessus pour être à l’équilibre. Si on a 90% des enjeux sur une cote à 2,40 et que le pronostic affilié à cette cote se réalise, on est mal financièrement. Donc elle peut baisser au fil du temps. Notre activité se pilote au jour le jour, mais doit être jugée sur du long terme pour les aspects financiers.

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