Olivier Bleysabacapress
Planet inaugure un cycle d'entretiens avec des aventuriers. Nous commençons avec Olivier Bleys, connu pour ses nombreux voyages partout dans le monde. Il a décidé d'accomplir un tour du monde à pied, mais pas que...
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Olivier Bleys : "dénicher une source en forêt au bout d'une heure de soif ce n'est pas comme ouvrir son robinet"

Planet : Vous réalisez actuellement un tour du monde à pied par étapes, vous revenez d'un mois de marche, où en êtes-vous ?

Olivier Bleys : Cette année je suis parti de Kiev, en Ukraine, et j'ai marché jusqu'à la frontière russe que j'ai atteinte en une petite semaine de marche. L'année prochaine, je repartirai de cette frontière pour aller jusqu'à Moscou, qui est à 600 km. J'ai bien avancé sur cette étape car j'avais un compagnon de marche assez sportif. On a eu une moyenne de 30 km par jour, ce qui nous a permis de faire 275 km.

Planet : Comment se passe cette marche en matière de logistique ? Elle est organisée ou portée par le vent ?

Olivier Bleys : Ce n'est pas du tout organisé. Lors de ma toute première étape d'Albi à Lyon, j'avais pris des gîtes et des campings et en fait cela n'a pas marché. Tantôt j'arrivais trop tôt ou trop tard. Résultat : j'étais désynchronisé par rapport à la progression que j'avais envisagée. De plus, cela réduit l'aspect aventureux car parfois vous pouvez être invité à dîner, déjeuner ou dormir chez des gens et je devais refuser car j'avais réservé un gîte ou un refuge à 10km. Pour cette raison je ne prépare plus rien. La seule chose que je fais, c'est de télécharger une carte numérique des lieux où je vais marcher. La veille je regarde par où je vais passer pour éviter les grands axes et privilégier les pistes agricoles. Quand on a besoin de prendre une douche ou qu'on a par miracle accès au wi-fi, on essaye de trouver un logement pour le soir même ou le lendemain. C'est une marche d'opportunité.

Planet : C'est une marche d'adaptation pour communiquer aussi ?

Olivier Bleys : Je n'ai jamais rencontré de situation d'incompréhension. Je pense que pour vivre cette aventure il faut de la confiance en soi et dans le cours des événements parce que si vous êtes angoissé, en retrait de ce qui peut advenir, cela n'ira pas. C'est mon seul critère pour recruter des participants, je leur demande de la souplesse, mais généralement ceux qui viennent vers moi ont la culture de la baroude. On arrive toujours à s'entendre avec les gens que l'on rencontre lors d'une marche. J'ai parcouru l'Ukraine, soit 1 200 km, en parlant 6 mots de Russe et un mot d'Ukrainien, mais on se débrouille toujours que ce soit par le dessin, avec les gestes, parfois avec un peu d'anglais. Il y a toujours moyen de s'entendre et au pire quand on trouve un restaurant, ce qui est assez rare, on pointe au hasard des plats et on découvre.

Planet : Votre démarche est lointaine de celle d'un touriste lambda...

Olivier Bleys : Oui, on n'est pas dans l'idée du touriste qui cherche à relier le maximum de sites mémorables en minimum de temps comme un nuage de points à relier. Le touriste qui se fait véhiculer d'un site à l'autre n'a pas conscience de la continuité du territoire. Je tiens beaucoup à ce qu'il n'y ait pas de blanc. Par exemple, en Ukraine, franchir la frontière terrestre russe était trop chaud. On s'est arrêté à 200 m de la frontière et je reprendrai l'année prochaine à 200 m de l'autre côté, mais si un jour le climat géopolitique change et les relations entre les deux pays sont pacifiés, je reviendrai à ce point précis et le petit bout qui manque je le ferai à pied.

Planet : Vos marches laissent place à l'imprévu en matière de logistique, mais vous avez tout de même un cadre précis...

Olivier Bleys : J'aime assez poser un cadre et ensuite évoluer à l'intérieur, car c'est à ce moment que l'on est confronté à soi-même et que l'on peut mesurer sa volonté, ses qualités morales et physiques. S'il n'y a pas de cadre et que l'on peut s'arrêter quand on veut, tout le monde va faire 3 km et s'arrêter au café. C'est quand on est amené à épouser les contraintes et à surmonter la fatigue que ça devient intéressant. Je pense à Lionel Daudet qui a fait le Tour de France exactement (il a suivi les frontières exactes du territoire français)... Sur les côtes c'est une balade mais en montagne il a suivi la frontière en gravissant plus de 1000 sommets. J'aime beaucoup.

Planet : La fibre aventurière, c'était inné chez vous ou vous l'avez éduquée ?

Olivier Bleys : Pour certains individus c'est un héritage familial, je pense à Bertrand Picard, issu d'une lignée de risques tout. Moi ce n'est pas du tout le cas puisque mes parents sont très casaniers, très peu voyageurs. Ma mère n'a jamais pris l'avion et ils ne voient pas l'intérêt de quitter la France donc, il faut chercher ailleurs. Ma fibre aventurière est liée à l'esprit de découverte et de curiosité. Je ne me contente pas de la routine et je ne veux pas rêver par procuration les voyages des autres. Il faut posséder cet esprit pour lequel j'étais et je reste animé. Plus largement, c'est une certaine conception de la vie : la sécurité n'est pas la priorité. La quête de sensation et d'expériences nouvelles prime chez moi.

Planet : Est-ce que vous avez vécu une expérience initiatique qui a révélé en vous cette envie d'aller toujours plus loin ?

Olivier Bleys : Il y a une expérience fondatrice à l'âge de 13 ans. Je me suis présenté à un concours de dessin, mais qui était pluridisciplinaire et destiné à de jeunes reporters. Dans chaque catégorie, le gagnant participait à un tour d'Europe du Nord ou du Sud avec comme thématique "les jouets traditionnels". À l'origine, c'était un couple de journalistes qui avait entrepris un tour du monde des jouets traditionnels et ils avaient lancé un concours national pour terminer par un Tour d'Europe avec un jeune reporter. Il se trouve que j'ai été lauréat et que j'ai pu partir avec eux faire ce tour de d'Europe. Dans ce voyage-là, il y avait toutes les dimensions que je développerais dans ma vie plus tard : le voyage, la création ambulante (dessin, photo..) et la dimension de voyage en équipe qui m'importait beaucoup. J'ai poursuivi par d'autres voyages avec une association toujours sur la thématique du jouet. Quand l'aventure s'est terminé j'ai créé une association, "Jeunes artistes du monde", j'avais 20 ans. Cela m'a permis d'organiser d'autres voyages ouvertement artistiques avec des équipes de plusieurs nationalités et disciplines différentes. On a monté des projets au Maroc, Ouganda et en Egypte, le long du Nil. C'était en 1992 et cela m'a laissé de grands souvenirs car il a fallu trouver des sponsors pour obtenir un véhicule et le carburant, ce qui nous a permis de vivre une belle aventure.

Olivier Bleys : "J'ai besoin d'un chez moi

Planet : Depuis, on peut dire que votre leitmotiv ce serait "l'aventure amène l'aventure", un voyage sans fin finalement ?

Olivier Bleys : Oui, mais pas de manière permanente. Je ne suis pas non plus un nomade complet au sens où j'ai besoin d'avoir un chez moi. J'ai besoin d'y revenir. J'ai besoin d'avoir un port d'attache. En revanche, une année dans laquelle je n'ai pas voyagé, ou je n'ai pas médité des aventures avec cette dimension d'engagement physique, ce n'est pas une année intéressante. Il y a ce rendez-vous rituel du tour du monde à pied, mais selon les compagnons de marche que je vais trouver, il y aura autre chose. En Ukraine par exemple, on a rencontré des cyclistes couchés, en raid à vélo à assistance solaire jusqu'en Chine. Cela nous a donné envie de participer au même genre d'aventure. Ce n'est pas forcément la rencontre qui génère ces idées-là. Lorsqu'on est avec son sac à dos, on est dans un espace-temps différent. L'aventure devient centrale et c'est là que des tas d'idées nous viennent. Ensuite, il faut entretenir au quotidien ces aventures quand on revient.

Planet : Ce qui nous amène à votre dernier livre, Les aventures de poche (Hugo Doc), dans lequel vous racontez les aventures miniatures que vous avez vécues ou que des amis à vous ont vécu et qui peuvent donner à chacun d'entre nous la possibilité de partir à l'aventure au quotidien sans être un grand explorateur... C'est l'idée ?

Olivier Bleys : Les aventures de poche, c'est le moyen d'entretenir au quotidien et sur la durée cet esprit d'aventure. Il y a un esprit qui naît de la prise de risque et nous confronte à des questions que le confort de la vie moderne a émoussées telles que : où vais-je dormir ce soir ? Quel chemin prendre ? Où vais-je manger ? Puis-je faire confiance à cette personne ? C'est aujourd'hui plus simple pour la plupart d'entre nous, mais on a été dévitalisé par ce confort. Ce n'est pas la même chose de dénicher une source en forêt au bout d'une heure de soif que de simplement faire couler son robinet. Et cela, même au sein d'une aventure de poche qui se déroule sur deux jours on peut sentir s'éveiller ces questions-là. Par exemple, quand on marche 109 km comme l'une des aventures que je décris, la question du sommeil devient prégnante, puisqu'on marche un jour et une nuit complète. On lutte contre ça. On guette l'ouverture des cafés à la fin de la nuit pour boire cet expresso que l'on attend depuis longtemps. Ces aventures font davantage la part belle à l'imagination et à la créativité car il s'agit de transformer un environnement quotidien en un espace d'aventure, et cela demande un peu de réflexion. Marcher, ne serait-ce que 10 km de nuit dans Nantes, c'est déjà le début de quelque chose.

Planet : Comment donner l'impulsion à des aventuriers en devenir ?

Olivier Bleys : Le charme naît de l'improvisation. Ce sont des aventures où on apprend sur le tas. La première fois, on oublie un élément essentiel tel que des lunettes de soleil, un chapeau ou un imperméable, et puis une fois qu'on a pris la pluie, qu'on a été ébloui toute la journée, etc., lors du départ suivant on saura mieux faire son sac. J'aime bien cette façon d'apprendre et de faire. Il faut se lancer sans écouter trop de conseils extérieurs et construire sa propre aventure, avec la pratique qui vous plaît.

Planet : Il y a dans vos aventures une recherche de connaissance de soi aussi ?

Olivier Bleys : Quand on se met de nouveau à se perdre, à connaître la soif, la faim, la peur de l'inconnu, l'approche de l'orage, toutes sensations primitives, le corps et l'esprit, ainsi que tous les étages de la personne vont se mobiliser pour y répondre. Le corps comprend au bout de quelques jours que vous marchez plus que d'habitude et qu'il doit s'adapter à ces nouveaux enjeux, ce nouveau défi. Par exemple, vous allez observer que les signaux de faim, de soif, de besoins naturels ne se passent plus de la même façon car il n'y a pas le confort domestique d'y répondre aussitôt. Le corps met tout cela en veilleuse et vous alerte que lorsque vous êtes en mesure de le satisfaire. Les changements physiques se manifestent sur plusieurs jours. Au niveau mental, on a l'impression qu'il y a une logique de loi interne du voyage qui fait qu'on développe naturellement une confiance en soi, une confiance dans les événements qui se développent, et qui fait que tout se passe bien. Quand on vit plusieurs semaines sur ce modèle et bien le mental se renforce.

Planet : Avez-vous pensé aux personnes à mobilité réduite ? Elles aussi peuvent vivre ces micro-aventures ?

Olivier Bleys : Il y a tout à fait la possibilité de vivre une micro-aventure lorsque l'on est, par exemple, en fauteuil roulant. Cela suppose un peu plus de réflexion sur l'itinéraire, la durée, les conditions logistiques, et je pense que les personnes qui se trouvent dans ces situations ont une connaissance de leur endurance et de leurs limites qui leur permet de gérer ça. Mais en soi, je ne vois pas de différence entre un tour de ville ou village effectué en fauteuil roulant et le même réalisé à pied. Bien sûr, il y aura des obstacles qui seront infranchissables, il y aura des défis qui pourront pas être relevés, mais on peut tout à fait le faire. Ce n'est pas une dimension que j'ai abordée dans mon texte, mais cela dépendait de mes rencontres. Si j'avais rencontré quelqu'un en fauteuil roulant, je l'aurais relaté. En revanche, j'ai vu passer assez régulièrement des livres relatant des grands voyages accomplis par des personnes en fauteuil roulant. Et d'ailleurs, je parlais de ce périple à vélo à assistance solaire dont j'ai rencontré l'une des équipes participantes. Ils m'ont parlé d'un autre binôme, dont une personne était handicapée. Le vélo était adapté pour permettre à l'un des concurrents de pédaler et l'autre agissait avec ses bras.

Planet : Pour terminer, qu'est-ce que ces aventures, ces histoires, que vous vivez au quotidien vous apportent à votre vie d'être humain ?

Olivier Bleys : Pour moi ce n'est pas un bénéfice, c'est un mode de vie. Cela structure ma vie entière. Désormais, la notion de mouvement, de voyage, d'aventure est centrale dans mon existence. C'est une polarité qui a mis du temps à s'établir. Quand j'avais 20 ans de moins j'avais une manière de vivre conventionnelle, mais aujourd'hui c'est au centre et naturellement cela irrigue mes écrits. J'insiste souvent sur cette idée : marcher beaucoup comme je le fais, ce n'est pas pratiquer un sport de façon intense, c'est rejoindre une condition naturelle. Tout le monde devrait marcher beaucoup. Il est anormal de ne pas marcher au minimum 5 ou 10 km par jour, parce qu'on l'a fait pendant des milliers d'années et notre corps s'est développé pour répondre à cette pratique. J'ai l'impression, pour donner une image un peu étrange des marcheurs, qu'on a une super voiture qu'on laisse au garage. De temps en temps, on la sort du garage, on fait un demi-tour dans la rue et on la remet au garage. On habite nos corps de cette façon. Alors que notre corps a le potentiel et la nécessité de marcher beaucoup. Quand je reviens d'une phase où j'ai beaucoup marché, j'ai l'impression de rejoindre ma condition naturelle.