Eau salée, saignées... Comment un exorcisme venu d'Arabie saoudite s'est développé en FranceIstock
Dans son livre "Louisa", Lou Syrah enquête sur le monde de l'exorcisme dans l'islam. Elle prend comme point de départ la mort d'une jeune fille exorcisée par un imam en 1994.
Sommaire

La croyance en l’existence du diable existe depuis des centaines d’années mais est encore bien présente de nos jours, peu importe la religion. La croyance dans les esprits et dans les démons est très présente dans l'islam, et très partagée. Le Coran est considéré comme la parole de Dieu directe, ce qui signifie, pour les pratiquants, que sa lecture peut soigner. C'est la roqya, c'est-à-dire la récitation de sourates du Coran, que les pratiquants font au quotidien. La roqya est donc un ensemble de méthodes spirituelles qui permettraient de guérir de maladies grâce à la récitation de versets coraniques et l’utilisation de certaines substances, notamment l’eau, le miel ou encore l’huile d’olive.

Exorcisme venu d'Arabie saoudite : des accidents, voire la mort

L'exorcisme n'est mentionné qu'une seule fois dans le Coran, pas sous cette forme et tous les musulmans n'y croient pas. Le Coran ne donne pas de marche à suivre pour pratiquer la roqya et, depuis quelques années, une forme d’exorcisme "à la saoudienne" se développe en Europe comme en France. Ses adeptes l'appellent "roqya charia". Importée d’Arabie saoudite il y a trente ans, elle a été introduite en France par des personnes qui sont parties étudier dans ce pays. Une journaliste, sous le pseudonyme de Lou Syrah, a enquêté sur ces pratiques dans son livre Louisa, publié aux éditions Goutte d’or. "J'avais, a priori, peu à voir avec le sujet, explique-t-elle à Planet. J'étais jeune journaliste dans un média réputé, loin de ma famille et de ma région que j'avais quittées". Née musulmane et baptisée catholique, Lou Syrah se définit comme athée : "J'avais bien quelques cauchemars effrayants et des crises de somnambulisme qui, soyons honnêtes, m'auraient emmenée à l'internement voire au bûcher en d'autres temps, mais je prenais mes troubles nocturnes pour un trouble anodin (...) les histoires de démons pour moi relevaient de la bigoterie".

Mais tout change le jour où sa mère lui apprend que son père a été exorcisé. C'est à ce moment-là qu'elle découvre l'histoire de Louisa Lardjoune, jeune fille de 19 ans morte en juillet 1994 après une séance d'exorcisme à Roubaix. Mohamed Kerzazi, un imam de la ville, a été poursuivi en 1997 devant la cour d’assises du Nord pour "tortures ou actes de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Il a été condamné à sept ans de prison, après plus de cinq heures de pratiques sur la jeune fille. "Roubaix, c'est là qu'a grandi mon père, avec sa famille. Quand l'enquête percute l'intime à ce point, on ne peut que s'y plonger corps et âme", explique Lou Syrah.

Exorcisme venu d'Arabie saoudite : l'affaire Louisa Lardjoune

Au début de l’été 1994, la famille de Louisa Lardjoune s’inquiète de son comportement. Dernière d’une famille de onze enfants, elle a changé d’attitude depuis plusieurs mois. En 1997, au moment du procès de Mohamed Kerzazi et de deux de ses complices, Libération raconte que la jeune fille "si douce et si docile, s’était mise à faire des choses étranges", comme cracher au visage de ses parents. Dans son livre Louisa, Lou Syrah écrit : "Louisa dont on entend la voix étranglée la nuit, Louisa qui hurle, qui tape contre les murs, qui pleure, Louisa qui se roule à terre, s’écarte les contours de la bouche avec les mains, Louisa dont les yeux, dit sa mère, brillent d’une terrible lueur le soir. Des crises de plus en plus fréquentes, tous les deux à trois jours, et toujours plus violentes".

Démunis face à la multiplication de ces crises, les proches de la jeune femme font appel à un guérisseur avant d’être mis en contact avec Mohamed Kerzazi, qui a alors "la réputation d’être un ‘exorciste réputé’", écrivait Libération. Pendant cinq heures, on a fait boire à Louisa plusieurs litres d’eau salée, on lui a flagellé les pieds et on l’a secouée. Un traitement qui aura eu raison de la jeune fille : à force d’absorber de l’eau, ses poumons se sont noyés, elle est tombée dans le coma et est décédée le lendemain, le 1er juillet 1994. La mort de la jeune fille n'est pas un cas isolé et, pour Lou Syrah, une sorte de thérapie divine, issue de certains courants de l'islam, s'est développée en France ces dernières années.

Exorcisme venu d'Arabie saoudite : quand est-il pratiqué ?

L’exorcisme existe encore, en France, dans toutes les religions. Lou Syrah s’est intéressée à celui qui a été importé d’Arabie saoudite par certains pratiquants de l’islam mais des cas d’exorcisme sont encore présents dans la religion catholique. Après l’enquête qu’elle a réalisée, la journaliste explique que cet exorcisme peut être pratiqué pour plusieurs raisons, donnant l'exemple d'une jeune Belge exorcisée car elle était homosexuelle. "Comme il n'y a pas de recette d'exorcisme dans le Coran, on trouve une diversité de rituels de dépossession selon les pays, qui vont de la récitation à la transe, l'intercession des saints à la création d'amulettes protectrices", explique Lou Syrah à Planet.

"Mais la Roqya dans son acceptation la plus élémentaire consiste en la récitation de sourates du Coran. On considère que la récitation coranique possède des vertus thérapeutiques", précise la journaliste. "Tous les pays imprégnés d'islam, notamment soufi, ont développé des formes de dépossession, différentes selon les cultures. La spécificité de la méthode saoudienne est qu'elle s'inspire d'un courant orthodoxe et littéraliste de l'islam qui s'appuie sur des savants du Moyen-âge qui ont fait la promotion des coups dans leurs recueils, qu'on trouve toujours dans le commerce aujourd'hui", explique Lou Syrah.

La pratique de cet exorcisme venu d'Arabie saoudite n'est pas encadrée, mais comment pourrait-elle l’être ? "Lors du jugement aux assises de l'exorciste de Louisa, on a pu croire qu'on assistait au dernier fait divers du genre, en vérité c'était tout le contraire, la pratique allait exploser sur le territoire et ailleurs dans le monde", explique Lou Syrah. Elle a accompagné "la promotion de l'autre forme de médecine de Dieu inspirée des évangiles musulmans, la médecine prophétique", ajoute-t-elle. On trouve aujourd'hui en France des cabinets qui "proposent les deux soins, pour guérir du mal occulte ou d'autres troubles". Selon Lou Syrah, "la pratique a fait des victimes", même très récemment. Au-delà des réponses qu'elle a obtenues sur cette forme d'exorcisme, la journaliste a également fait des découvertes sur son histoire personnelle et familiale. 

Exorcisme : "La quête était dure et ingrate"

L'enquête menée par Lou Syrah est intrinsèquement liée à son histoire personnelle, comme elle l'explique à Planet. "Sur le plan personnel, j'ai découvert ce que l'ombre du diable cachait dans ma propre famille, des secrets enfouis et toxiques liés à la guerre d'Algérie", assure-t-elle. Avant d'ajouter : "Ca fait trois générations que les fantômes de cette guerre nous gangrènent en silence les familles de l'intérieur". "On a cru que la guerre était finie en 1962 et qu'on pouvait tranquillement ranger les cadavres dans les placards, sans qu'ils viennent nous hanter. C'est schizophrène. Il y a des histoires traumatiques qui hurlent de ne pas être racontées, moi je l'ai fait pour les miens, même si la quête était dure et ingrate", ajoute-t-elle. Avant de conclure : "Mais combien sommes-nous à ne s'arrêter qu'à la figure du malin sans chercher à voir ce qu'il se trame ferrière ?"