Richard Roman : "On a été les premiers à dire qu'il était innocent"Richard Roman en 1990.AFP
INTERVIEW. En juillet 1988, l'affaire Céline Jourdan choque la France entière. Accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis, Richard Roman se lance dans un douloureux combat pour prouver son innocence. L'écrivain Lionel Duroy, alors journaliste, mène une longue enquête qui fait basculer l'affaire...
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Un innocent qui avait avoué, un coupable idéal.  A l'été 1988, les médias et les Français commentent abondamment une affaire choquante des Alpes-de-Haute-Provence : la petite Céline Jourdan a été violée, étranglée puis frappée avec une pierre. Son corps est retouvé sous une bâche, près du torrent de Grand Vallon quelques heures seulement après sa disparition. Les gendarmes doivent aller vite et livrer des coupables aux parents comme à l'opinion publique. Ils sont tout trouvés, se nomment Didier Gentil et Richard Roman.

Arrêtés moins de 24 heures après la découverte du corps et placés en garde à vue, ils finissent par reconnaître les faits après plusieurs heures d'interrogatoire. Si Didier Gentil avoue le viol de la fillette, il affirme que c'est Richard Roman qui l'a tuée. Ce dernier reconnaît être coupable de ce dont on l'accuse, mais revient sur ses aveux seulement quelques heures après. C'est déjà trop tard, aux yeux de la justice et surtout à ceux de l'opinion, il est coupable et rien n'y changera. 

En 1988, l'écrivain Lionel Duroy est journaliste et décide de mener une contre-enquête sur la mort de la petite Céline. Alors que plusieurs témoins accusent Richard Roman, il découvre que ce dernier est innocent. Témoins aiguillés, aveux orientés, justice aveugle... Il revient, pour Planet, sur cette affaire dans laquelle un innocent a été accusé à tort.

Affaire Richard Roman : "Il a une grand part d'ingénuité en lui"

En 1988, la route de Richard Roman croise celle de Didier Gentil. Quels sont leurs liens à ce moment-là ?

Lionel Duroy. Les deux hommes ont des liens assez étroits. Didier Gentil, qui est un gosse de l’assistance publique, zone un peu et c’est comme cela qu’il est arrivé à La Motte-du-Caire. À ce moment-là se trouvait dans le village Richard Roman : au contraire de Didier Gentil c’est un fils de famille, il est issu d’un milieu d’intellectuels, socialement élevé et il est très éduqué. Richard Roman dénotait alors un peu dans sa famille, il voyageait, il était poète, un peu bohème… En 1988, il dort sous ce qu’il appelle "un tipi" à La Motte-du-Caire, qu’il a installé dans la montagne un peu au-dessus du village. En croisant Didier Gentil, il lui propose de dormir dans son tipi.

Ce sont donc des connaissances plus que des amis…

Lionel Duroy. Ce sont des connaissances et ensuite ils deviennent vaguement amis. Richard Roman, que j’ai très bien connu par la suite, a une grande part d’ingénuité en lui, il est volontiers ami avec tout le monde, il est très gentil et aborde volontiers les gens. Au moment du drame, c’est l’été à La Motte-du-Caire et la vie y est facile : on peut dormir là-bas pendant les récoltes, les gens sont accueillants…

Affaire Richard Roman : "Il se rétracte parce qu'il sait bien qu'il est innocent"

Les deux hommes n'ont-ils pas des réputations de "marginaux" dans le village ?

Lionel Duroy. Oui, ils ont des réputations clairement de marginaux. Les villages comme ça en Provence sont assez méfiants à l’égard des jeunes qui font la route et les villageois ne sont pas tous très accueillants. Les gendarmes les ont aussi très vite repérés, parce que dans ce village il n’y a pas grand-chose à faire donc ils repèrent les mauvais garçons en puissance, les gens qui font la route. Le chef des gendarmes m’a raconté que Richard Roman avait été doublement repéré par ses services : il roulait dans une vieille Peugeot qui n’était pas en règle et s’était déjà accroché avec eux. Donc les deux hommes étaient sûrement repérés mais d’un autre côté ils étaient aussi accueillis par les cafetiers en terrasse, ils étaient servis… Ils étaient quand même admis dans le village.

Le 26 juillet 1988, tout va très vite après la découverte du corps de la petite Céline. Les deux hommes sont placés en garde à vue 24 heures plus tard…

Lionel Duroy. Ils sont mis en garde à vue pratiquement tout de suite. Les gendarmes m’avaient expliqué que pour eux il n’y avait pratiquement aucun doute vu qu’il n’y avait pas d’étrangers à part eux. Il n’y avait donc pas de doute, pour eux c’était ces deux "marginaux", comme ils disaient. Il faut se mettre en tête que la découverte de la petite est absolument abominable pour les gens qui trouvent l’enfant, c’est insupportable à voir. Quand ils arrivent sur place, ils perdent un peu le sens des réalités, ils perdent un peu leur sang-froid et ils sont extrêmement choqués.

Que s’est-il passé durant ces gardes à vue ?

Lionel Duroy. Didier Gentil accuse Richard Roman d’avoir tué la petite Céline. Richard Roman est, je pense, un garçon qu’on peut intimider facilement, il est fragile et on peut le bousculer facilement. Les gendarmes m’ont expliqué ce qu’il s’était passé durant ces interrogatoires : ils accrochent les suspects à des radiateurs en les laissant debout, ils sont mal traités… Et puis finalement ils avouent.

Richard Roman se rétracte le lendemain parce que lui sait très bien qu’il est innocent, il n’était pas là ! Il dit au juge qu’il a peur, que les gendarmes l’ont brutalisé… Mais c’est trop tard, aux yeux de tous il est coupable de la mort de la petite Céline.

Affaire Richard Roman : "Les gendarmes avaient un impératif"

Vous décidez alors de mener une contre-enquête, mais comment cette envie vous est-elle venue ?

Lionel Duroy. A l’époque j’étais journaliste, je venais de quitter Libération et je travaillais avec Jean-François Kahn à L’Événement du Jeudi. Je lui dis que je vais aller m’installer à La Motte-du-Caire pour faire une enquête sur ce drame, mais que je ne sais pas ce que je vais trouver. Je m’installe à l’hôtel et je commence à travailler, j’interroge les habitants, j’obtiens assez vite les PV d’audition de la gendarmerie, donc je sais ce qu’a déclaré chaque villageois dès les premiers interrogatoires. Ensuite je vais les voir pour préciser l’emploi du temps et les heures. Il apparaît assez vite qu’à l’heure où est commis le crime, Richard Roman est vu par des villageois bien loin de l’endroit où la petite a été retrouvée.

Les différents témoins ont donc menti ?

Lionel Duroy. Au départ, tout le monde raconte que c’était la fête du village ce soir-là, que Didier Gentil avait été vu à la terrasse du café, que Céline jouait parmi les gens, et d’un coup il n’était plus là et Céline non plus. On se met alors à la chercher mais personne ne dit que Richard Roman était là aussi ! Seulement, dans les PV de la gendarmerie, sûrement orientés par les questions des gendarmes, les témoins ajustent les heures où ils sont présents et où ils voient Richard Roman.

Les gendarmes avaient un impératif : il fallait que Richard Roman soit arrivé au village à telle heure, donc ils poussent les gens à dire telle heure. En rediscutant avec les témoins j’aboutis à un résultat : Richard Roman n’était pas sur les lieux au moment du crime. C’est très simple comme découverte, mais il faut qu’il y ait suffisamment de témoignages pour que ça prenne réellement la forme d’une preuve.

Affaire Richard Roman : "On recevait des petits cercueils"

À ce moment-là vous êtes vraiment le seul à soutenir que Richard Roman est innocent…

Lionel Duroy. C’était insoutenable comme position. Je me souviens encore de la couleur de Jean-François Kahn quand je lui ai annoncé ! On a été les premiers à dire, dans un pays à feu et à sang contre Richard Roman, que ce garçon était innocent. Toute la presse régionale parlait de lui comme un criminel absolu. Il faut garder à l'esprit que Didier Gentil, lui, est un mauvais coupable : c’est un gosse déficient, il est sorti de l’assistance publique, on le plaint, il est extrêmement malheureux. Pour la famille de Céline, comme pour l’opinion publique, ce n’est pas un coupable à la mesure de l’horreur du crime. Pour beaucoup, dire que Richard Roman – le seul des deux avec une bonne éducation – était innocent et faire retomber toute la culpabilité sur Didier Gentil était inaudible.

Au bout de combien de temps la vérité éclate-t-elle enfin ?

Lionel Duroy. Le procès se tient trois ans plus tard, en 1992. On a beaucoup changé de juge d’instruction dans cette affaire et les juges ne voulaient pas entendre ça ou je ne sais pas, ils ne voulaient pas parler d’innocence. Lors du procès, Didier Gentil a finalement reconnu être le seul impliqué dans le viol et la mort de la petite. Richard Roman a été acquitté par la cour d'assises de Grenoble et remis en liberté.

L’ambiance était très violente avant et pendant le procès, la famille de la petite Céline avait dit qu’ils allaient me tuer, on recevait même des petits cercueils… C’était aussi très dur pour Richard Roman, je pense qu’ils voulaient le tuer. Ils lui ont cassé la figure dans la rue à Annecy et il a dû se cacher.

La vie de Richard Roman a été chaotique après l’affaire…

Lionel Duroy. Très chaotique même. Je pense qu’il ne s’en est pas remis, je pense que c’était trop violent. Les gendarmes ont été assez violents avec lui mais en prison ça a été un cauchemar. On a beaucoup correspondu après le procès, il a écrit pas mal de choses, jusqu’à son décès en 2008. Je crois qu'il voulait faire un livre de son histoire.