La Troisième guerre mondiale va-t-elle commencer ?IllustrationIstock
Les récentes tensions entre l'Iran et les puissances occidentales dans le Détroit d'Ormuz font craindre un embrasement dans la région. La Troisième guerre mondiale est-elle sur le point de commencer ?
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Tensions dans le Détroit d'Ormuz

La Troisième guerre mondiale aura-t-elle lieu ? Depuis quelques mois, les tensions entre grandes puissances se cristallisent autour du Détroit d'Ormuz. Cette voie maritime stratégique, par laquelle transite plus de 20% de la quantité de pétrole consommée chaque année, est devenue un véritable terrain d'affrontement.

Tout est parti d'une décision de Donald Trump. Un an après son retrait de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien (qui prévoyait un abandon par l'Iran de son programme nucléaire militaire en échange d'un allègement progressif des sanctions), le président américain a décidé de renforcer les sanctions économiques, espérant ainsi asphyxier économiquement le régime. Il a annulé les dérogations accordées à huit pays qui leur permettaient d'acheter du pétrole iranien.

Les Etats-Unis ont également annoncé le déploiement d'un porte-avions, d'une force de bombardiers et de troupes supplémentaires au Moyen-Orient, prétextant une "menace" du régime iranien contre leurs intérêts dans la région. Le pays a immédiatement riposté en annonçant qu'il allait commencer à enrichir de l'uranium à un niveau interdit par l'accord de 2015. De fil en aiguille, les tensions se sont aggravées. Pétroliers touchés par un explosif sous-marin, drone américain abattu par l'Iran, frappes aériennes annulées in extremis par Donald Trump...

Récemment, la France et le Royaume-Uni ont annoncé la mise sur pied d'une coalition pour sécuriser le Détroit d'Ormuz. L'Iran et la Russie ont annoncé en faire de même. Les grands de ce monde sont-ils en train de jouer avec le feu ? En 1914, le jeu des alliances avait précipité l'Europe et le Moyen-Orient dans un conflit ayant causé la mort de près de 20 millions de personnes.

Nucléaire iranien et tempérament trumpien : un cocktail explosif ?

Cette situation géopolitique particulièrement instable découle de plusieurs facteurs. Tout d'abord, une volonté iranienne de renforcer son influence au Moyen-Orient. L'Iran s'est senti pousser des ailes depuis l'allègement des sanctions sous le mandat de Barack Obama, qui a permis à la République islamique de dégager un taux de croissance de 13,4% en 2016 et d'exporter son pétrole, réalisant ainsi de juteux profits.

Cette nouvelle manne financière a permis à la République islamique de renforcer son influence au Moyen-Orient : soutien au Hezbollah libanais, au Hamas palestinien, à Bachar-el-Assad, aux rebelles houthis yéménites, aux milices chiites irakiennes... Les Etats-Unis ont ainsi vu leur influence dans la région remise en cause par l'Iran (et également par son allié russe).

Donald Trump, dès sa campagne présidentielle, a ouvertement dénoncé cette décision, jugée trop peu contraignante à l'égard de Téhéran. Il l'a même qualifié de "pire accord de l'histoire des Etats-Unis". Le retour des sanctions, et leur aggravation au "niveau le plus élevé", selon l'expression de Trump, a eu pour effet de crisper le régime des mollahs, renforçant son agressivité vis-à-vis des Etats-Unis et des Européens, jugés trop faibles avec le président américain et considérés comme leur vassal.

Etats-Unis et Iran, puissances rivales au Moyen-Orient

Mais quelle mouche a piqué Donald Trump et ses homologues perses pour amener ainsi le monde au bord du précipice ? Pour plus d'explications, Planet a contacté Philippe Bonnecarrère, président du groupe d'amitié parlementaire France-Iran au Sénat. Lui aussi a constaté une dégradation terrible des relations franco-persanes aux cours de ces dernières années. Selon lui, les "désaccords majeurs" et les "lignes de fracture" sont nombreux entre le régime des ayatollahs et les grandes puissances, notamment en ce qui concerne l'activité balistique, "C'est décourageant", déplore-t-il.

"Les pays européens enjoignent l'Iran à devenir raisonnable, à y aller mollo, mais rien n'y fait. L'Iran maintient ses positions, comme la Corée du Nord. Il plie, mais ne rompt pas" résume-t-il. C'est que l'Iran pense avoir un rôle à jouer au Moyen-Orient : "L'Iran perse se considère paradoxalement comme le nouveau défenseur de la nation arabe et des Palestiniens, les autres pays ayant totalement abandonné le combat".

Denis Bauchard, successivement diplomate, ambassadeur, président de l'Insitut du monde arabe et spécialiste du Moyen-Orient à l'IFRI, précise les intentions iraniennes : "L'Iran souhaite exercer une influence politico-religieuse au Moyen-Orient et constituer un front du refus à l'impérialisme Israëlo-Américain". Il parle d'une "volonté iranienne de rebâtir l'empire perse pluri-millénaire".

Pour se débarrasser de cette épine dans le pied, les Etats-Unis ont essayé plusieurs fois de déstabiliser le régime iranien. Donald Trump et ses collaborateurs n'ont jamais caché leur souhait de voir le gouvernement de Téhéran s'effondrer de l'intérieur. Le conseiller néo-conservateur de Trump, John Bolton, avait ainsi déclaré, devant un parterre d'opposants marxistes iraniens en exil, qu'il souhaitait que la République islamique (proclamée en 1979 après une révolution) ne fête pas son quarantième anniversaire.

Cette politique agressive dite de "regime change", portée à son paroxysme par George W Bush et en partie abandonnée par Barack Obama, n'aurait toutefois que de faibles chances de succès : "C'est un pays sous tension mais très encadré, très éduqué. Le système est solide." affirme Philippe Bonnecarrère. "La population sait que la situation des droits de l'homme n'est pas meilleure en Arabie saoudite et, contrairement à ce que disent les Etats-Unis, elle soutient le régime".

Au classement établi par l'indice de démocratie 2018, l'Arabie saoudite figure à la 159ème place sur 167. Une situation des droits de l'homme pire que celle de l'Iran, du Soudan ou de l'Erythrée (surnommée la Corée du Nord africaine). "Un changement de régime m'apparaît donc peu probable", conclut Bonnecarrère. De fait, la République islamique d'Iran a fêté les quarante ans de sa révolution cette année.

Troisième guerre mondiale : scénario catastrophe ou réalité ?

Selon nos interlocuteurs, l'éventualité d'un conflit généralisé au Moyen-Orient apparaît néanmoins comme peu probable. Le risque de dérapage vers une guerre mondiale étant connu de tous, il apparaîtrait comme étrange que les leaders de ce monde acceptent de présider à sa destruction. Denis Bauchard rappelle que "Donald Trump s'est fait élire sur un désengagement américain au Moyen-Orient. Une guerre nécessairement longue et meurtrière contre l'une des meilleures armées de la région pourrait mécontenter profondément son électorat". Ou assurer sa réélection en stimulant la fibre nationaliste ? 

L'ancien diplomate n'y croit pas : "Le président américain a fait campagne sur la baisse du chômage et la hausse du niveau de vie des travailleurs américains. Une guerre contre l'Iran, sixième exportateur mondial de pétrole et troisième producteur de gaz, serait susceptible de provoquer un troisième choc pétrolier et de plonger l'économie mondiale dans le chaos". Le dernier choc pétrolier, en 1980, avait déjà été causé par une guerre entre l'Iran et l'Irak, autre pays exportateur de pétrole. Cette guerre avait provoqué une crise économique, une hausse du chômage et une perte de pouvoir d'achat pour les populations occidentales.

De plus, une guerre contre l'Iran pourrait fortement porter préjudice à Israël. Cet Etat au territoire exsangue se trouve en effet à portée de missiles de Téhéran. Selon Denis Bauchard, "si les troupes iraniennes venaient à se trouver en difficulté, elles pourraient choisir d'emporter l'Etat hébreux avec elles dans les flammes. L'Etat juif, doté d'un système de bouclier antimissiles, le Dôme de fer, peine déjà à intercepter les roquettes tirées par les Palestiniens. Imaginez le résultat avec un tir nourri de missiles S-300 !"

Ce projectile de fabrication russe, volant à 6,5 fois la vitesse du son, est l'un des missiles les plus efficaces au monde. Israël, qui aurait également à subir des attaques des Palestiniens et du Hezbollah, pourrait en sortir détruit, "effacé des pages du temps", selon l'expression de l'ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Denis Bauchard rappelle que l'exigence de sécurité d'Israël constitue une "composante non-négligeable" de la politique étrangère américaine.

Troisième guerre mondiale : une autodestruction potentielle de l'espèce humaine

Mais le meilleur argument contre l'éventualité d'une Troisième guerre mondiale, ce sont ses conséquences potentielles. D'après des estimations réalisées en 1962, lors de la crise de Cuba, une guerre nucléaire entre grandes puissances pourrait entraîner la mort immédiate de près d'un milliard de personnes. Les survivants auraient à composer avec des conditions climatiques extrêmes.

L'hiver nucléaire qui s'ensuivrait, dû à la prolifération de poussière, de cendres et de débris dans l'atmosphère, pourrait entraîner une raréfaction de la lumière solaire, de la photosynthèse, des végétaux et, partant, une rupture de la chaîne alimentaire susceptible d'anéantir la quasi-totalité de la vie terrestre. "Je ne sais pas comment la Troisième guerre mondiale se fera, mais je pense que la quatrième se fera avec des bâtons et des cailloux", aurait déclaré un jour Albert Einstein.

Certains férus de collapsologie particulièrement pessimistes, tels que Stephen Hawking ou Jacques Attali, prévoient néanmoins une telle éventualité pour le XXIe siècle. Avant 2100 selon Stephen Hawking et 2035 pour Jacques Attali ! Jamais 2 sans 3 ? Espérons que le dicton ne s'applique pas aux guerres mondiales.

Troisième guerre mondiale : vers un apaisement ?

Ces graves tensions géopolitiques semblent néanmoins sur la voie d'un éventuel apaisement. Iraniens, Américains et Européens se sont réunis cette semaine à Vienne pour essayer de sauver ce qu'il reste de l'accord sur le nucléaire signé en 2015, et accessoirement, pour éviter la guerre. Les Iraniens se disent satisfaits des avancées, et ont même accepté la proposition du secrétaire d'état américain Mike Pompeo de s'adresser prochainement à la télévision iranienne.

Quand soudain, sans prévenir, Donald Trump a annoncé la mise en place de sanctions contre le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, ce qui est sans doute le meilleur moyen de faire capoter un sommet international. Ou d'amener son adversaire à négocier ?

Durant l'été 2018, Trump s'était montré particulièrement dur, véhément et agressif envers la Corée du Nord. Aujourd'hui, ses relations avec le Guide suprême Kim Jong Un sont quasiment au beau fixe. Cherche-t-il à intimider l'Iran pour obtenir un résultat similaire ? Nixon avait employé cette tactique au Vietnam sous le nom de "stratégie du fou".

"Qui veut la paix prépare la guerre", disaient les Romains. Espérons que Trump et l'Iran soient dans le même état d'esprit.