Coronavirus : comment la crise sanitaire est-elle gérée en Espagne ? Un expatrié raconteIllustrationIstock
TEMOIGNAGE. Nouveau cap. Avec 100 000 cas officiellement comptabilisés et 9 000 morts au 1er avril, l'Espagne devient le second pays le plus touché par la pandémie. Comment la situation est-elle vécue par les Espagnols ? Sylvain Wils, un Français expatrié en Andalousie, raconte.
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Chaque jour, le bilan s’alourdit en Europe. Pour le 5e jour consécutif, l’Espagne a recensé plus de 800 morts. Le bilan global de la pandémie atteint désormais 9 053 morts et plus de 102 000 cas depuis le début du mois de février, rapporte Le Monde. Selon le ministère de la santé, le confinement total commence toutefois a porté ses fruits : le nombre de nouvelles infections baisse tandis que le nombre de patients guéris augmente. La population reste cependant très angoissée et en colère face à la situation. D’après bon nombre d’Espagnols, le gouvernement n’a pas pris toutes les mesures nécessaires. Pénurie de matériels, tests insuffisants… Sylvain Wils, un entrepreneur français employant 30 salariés dans l’ameublement (MisterWils) et habitant à Séville (Andalousie) depuis 1 993, nous expose son ressenti.

"Les mesures de crise ont été prises trop tardivement"

Nous avons été touchés sérieusement 15 jours après l’Italie. Selon moi, le gouvernement a mis trop de temps à prendre des mesures strictes. Dès le premier foyer d’infection détecté, à Leganes et Torrejon, des villes proches de Madrid, le confinement aurait dû être instauré. Ces lieux n’ont pourtant pas été isolés et le Covid-19 s’est alors répandu dans toute la province de Madrid, puis dans l’ensemble du pays ; car le week-end du 15 mars, les Madrilènes sont partis à la plage dans la région d'Alicante, de Murcie et d'Andalousie.

Les supermarchés, pris d’assaut, ont contribué à la propagation. Aucun ordre, aucun contrôle, ni mesures d'hygiène de base n’ont été respectés. Certaines manifestations et meeting n’ont pas non plus été annulés, malgré la gravité de la situation qui ne semblaient par ailleurs pas alerter les autorités au départ. Les dirigeants politiques, de gauche comme de droite, déclaraient aux Espagnols : "La peur tue plus que le virus. Pas besoin de s'inquiéter, nous avons le meilleur système de santé du monde, c'est une simple grippe. Tout est sous contrôle". Pourtant, rien ne l’était.

"Le gouvernement a décidé d'interdire la vente de masques"

Tous les politiciens disent qu'ils ont suivi les recommandations de l'OMS et qu'ils n'ont donc aucune responsabilité. La population est très en colère envers le gouvernement. Il ne permet pas aux journalistes de poser les questions en direct.

Les dirigeants politiques répondent à des questions précédemment sélectionnées. Cela contribue à renforcer l'impression qu'ils nous mentent, qu'ils nous trompent. D’autant qu’ils disent aux citoyens que s’ils critiquent la situation, c’est qu’ils ne sont pas patriotes et donc de mauvais Espagnols.

Par ailleurs, nous avons du gel hydroalcoolique, mais pas de masques. Le gouvernement a décidé d'interdire leurs ventes ! Même aujourd'hui avec près de 10 000 morts, l’Etat continue de dire à la population qu'il n'est pas nécessaire de porter des masques. Pourquoi les Chinois et les Sud-coréens en portent-ils alors ? On peut donc seulement en trouver au marché noir, pour environ 15 euros. J’estime que ne pas forcer la population à mettre des masques est une source très importante de contamination. Les tests de dépistage sont également insuffisants.

Les médecins et le personnel hospitalier ainsi que la police sont également très mécontents car les équipements de protection sont arrivés trop tard. Nous avons le plus grand pourcentage du monde de personnel médical infecté par le virus. Un ami urgentiste à l’hôpital de Séville s’est même vu, en février dernier, interdire le port du masque par son chef, sous prétexte qu’il allait effrayer les patients hospitalisés ! un comble.

"L'Espagne a besoin d'aide, nous sommes dans une situation catastrophique"

À Madrid, la situation est effroyable. Selon la presse, ils laissent mourir les patients de plus de 70 ans. Il y a une grande controverse parce que la vice-présidente du gouvernement de gauche, Carmen Calvo, grande défenseure de la santé publique, est actuellement infectée par le Covid-19 et est hospitalisée dans la célèbre clinique privée Ruber, la même où est opéré d’habitude le roi émérite Juan Carlos.

Autre sujet polémique : les tests. Il y en a très peu d’effectués, alors que les politiques, eux, sont testés très rapidement.

Les décès au sein des maisons de retraite, gérées par des entreprises privées, ne cessent par ailleurs d’augmenter. Fort heureusement, le gouvernement de Madrid vient de prendre le contrôle de toutes les résidences. En Andalousie, les résidents des maisons de retraite sont emmenés dans des hôtels afin qu’ils aient moins de contacts. C’est une bonne chose. Les hôpitaux sont aussi moins saturés dans cette région.

En revanche, de manière générale, le matériel médical arrive au compte-gouttes. Les médecins et le personnel médical sont bien mieux protégés et mieux préparés, mais les forces de sécurité ne bénéficient pas d'une protection adéquate. Ils sont pourtant aussi en première ligne.

Le confinement est une bonne chose mais il ne suffit pas. Les tests étant peu réalisés, le nombre de victimes est beaucoup plus élevé. Il faut procéder à des dépistages massifs et isoler par exemple dans des hôtels ou autres établissements les personnes infectées. Un traitement personnalisé doit être administré dès le premier jour. Il faut copier l´exemple de la Corée, de Singapour, de Taiwan, de l'Allemagne… Sans quoi, nous allons tout droit à la catastrophe.