Covid-19 : "Au vu des données, ça ne serait pas rassurant de déconfiner autant que ce qui est prévu"AFP
INTERVIEW. Fondateur du site CovidTracker, Guillaume Rozier a rendu accessibles à tous les chiffres sur l'épidémie de Covid-19. Plateau, risques dans les prochaines semaines... Il fait le point, pour Planet, sur la situation sanitaire actuelle. Et sur ce qui nous attend.
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Rendre l'open data accessible et compréhensible par tous. En commençant à s'intéresser à l'épidémie de coronavirus Covid-19 au mois de mars dernier, Guillaume Rozier ne s'attendait sûrement pas à créer un site consulté par des centaines de milliers de personnes huit mois plus tard. Parti d'un premier graphique qui compare la situation de la France avec celle de l'Italie, cet ingénieur de 25 ans a depuis mis en ligne plusieurs outils autour de l'épidémie.

Sur son site CovidTracker, vous pouvez retrouver facilement les derniers chiffres dans votre département, dans votre région ou dans le reste du monde. Plusieurs outils sont également accesibles, pour comparer les deux vagues du virus ou estimer la date du déconfinement. À l'approche des fêtes de fin d'année, celui baptisé CoviRisque vous permet de calculer le pourcentage de risque lors d'un rassemblement, en fonction du taux d'incidence du lieu où vous vous trouvez et du nombre de personnes présentes. Alors que l'épidémie semble avoir atteint un plateau en France, Guillaume Rozier fait le point avec Planet sur les chiffres actuels et surtout ce qu'ils signifient pour un futur proche.

Covid-19 : "On est peut-être au minimum de ce qu'on peut atteindre avec les mesures actuelles"

Que peut-on dire sur les chiffres actuels de l’épidémie en France ?

Guillaume Rozier :  Au niveau virologique, en ce moment on a une situation qui est stable, c’est-à-dire que l’épidémie n’empire pas, mais elle ne s’améliore pas non plus. Une personne contamine une autre personne, donc on a à peu près le même nombre de cas par jour. C’est inattendu parce que ces dernières semaines, tout le mois de novembre même, on était sur une décroissance épidémique rapide, la situation s’améliorait lentement et puis fin novembre – début décembre ça s’est mis à se stabiliser. On avait très peur que ce soit un rebond, mais jusque-là c’est une stabilisation ! On est peut-être arrivé au minimum de ce qu’on peut atteindre avec les mesures actuelles. Au niveau sanitaire les hôpitaux se sont un peu vidés, même si ils restent très remplis. Ils continuent de se vider, mais moins depuis quelques jours et les admissions ne baissent plus. Chaque jour en ce moment on a à peu près le même nombre de gens qui rentrent à l’hôpital et en réanimation.

L’objectif fixé par Emmanuel Macron ne sera jamais atteint le 15 décembre…

Guillaume Rozier :  Au niveau des deux objectifs du 15 décembre, le premier est non atteignable [5 000 nouvelles contaminations par jour, NDLR]. J’en suis quasiment sûr, il faudrait vraiment un changement brutal et inattendu mais, a priori on sera au double de l’objectif, autour des 10 000 nouvelles contaminations par jour. Le deuxième, qui concerne les réanimations [entre 2 500 et 3 000 malades dans ces services, NLDR] devrait être atteint. On se disait qu’on serait large, mais pas tant que ça finalement ! Les services de réanimation risquent de se vider moins vite que prévu, mais ils continueront de se vider jusqu’à la mi-décembre.

Covid-19 : "Ca pourrait repartir plus vite qu'au printemps"

Quels chiffres doit-on regarder, lorsqu’on n’y connait rien mais qu’on veut quand même suivre l’évolution de l’épidémie en France ?

Guillaume Rozier :  Il ne faut surtout pas regarder un chiffre de façon isolée, il faut regarder un panel de chiffres. Chaque chiffre à ses défauts et il y a vraiment deux points importants : l’activité virologique (comment le virus se propage) et la situation sanitaire (à quel point les hôpitaux sont occupés etc). Pour l’activité virologique, on peut regarder le nombre de cas et le taux de positivité et pour la situation sanitaire, le nombre d’admissions, à la fois à l’hôpital et dans les services de réanimation, et le nombre de lits occupés. Les deux sont importants.

Qu’allez-vous particulièrement scruter dans les prochains jours ? 

Guillaume Rozier :  Ce qui sera intéressant ça sera de voir l’effet du déconfinement le 15, s’il y en a un, et aussi de l’aménagement du confinement du 28 novembre, qu’on commencera à voir dans les prochains jours. A priori, le plateau a débuté trop tôt pour être dû à la réouverture des commerces, ça serait plutôt dû au fait que dès la mi-novembre les gens se sont plus déplacés, selon les données de Google.

Et dans les prochaines semaines ?

Guillaume Rozier :  Si on est déconfiné au 15 décembre et qu’on a 10 000 cas détectés – ça tournera autour de ça – ça voudra dire que l’activité virologique réelle (pas ce que l’on détecte) sera supérieure à l’activité virologique du 11 mai. Si on estime les cas réels à partir des décès et en utilisant le taux de mortalité de l’Institut Pasteur, on avait entre 10 000 et 20 000 personnes atteintes du Covid-19 le 11 mai. On ne détecte que la moitié des malades réels donc si on a 10 000 cas le 15 décembre, on a plutôt 20 000 cas réels. Ca serait supérieur à l’activité du virus le 11 mai, donc ça pourrait repartir plus vite qu’au printemps. Au vu des données en tout cas, ça ne serait pas rassurant de déconfiner autant que ce qui est prévu.

Covid-19 : "On a des indices qui vont dans le sens d'une flambée des cas après Thanksgiving"

On entend beaucoup parler d’un risque de flambée des cas après Noël, un peu comme à Thanksgiving aux Etats-Unis, mais cette hausse se lit-elle dans les chiffres actuels ?

Guillaume Rozier :  Jusqu’à hier [mercredi 9 décembre, NDLR] on ne pouvait pas conclure que Thanksgiving avait eu un effet sur les contaminations, mais depuis hier on peut se poser la question. Si on regarde la courbe des cas aux Etats-Unis, on voit qu’il y a eu un creux à la fin du mois de novembre, dû à Thanksgiving : il y avait moins de personnels dans les laboratoires, les Américains se sont moins fait tester etc. Les chiffres ont augmenté d’un coup juste après le 26 novembre parce que les laboratoires ont rattrapé leur retard, les gens se sont fait tester de nouveau. C’était évidemment impossible que les contaminations explosent si vite, car le temps d’incubation du virus est plus long. C’est donc encore un peu tôt pour l’affirmer, même si on a des indices qui vont dans ce sens. Il faut plutôt attendre la fin de la semaine, donc deux semaines après Thanksgiving. 

Que changent les nouvelles méthodes de calcul de Santé Publique France ? 

Guillaume Rozier :  Depuis mardi 8 décembre, les tests rapides (antigéniques) sont inclus dans les indicateurs. C’est pour cette raison que certaines données ont augmenté de 10 à 20% d’un coup, voire doublé dans certaines tranches d’âge. La deuxième chose c’est un changement dans la méthode de calcul des personnes testées. Avant, Santé Publique France ne gardait qu’un seul test par personne et a décidé de changer ça car ça provoquait plusieurs problèmes. On ignorait plusieurs tests et donc le taux de positivité était faussé parce qu’on tend à avoir de plus en plus de personnes qui sont retestées et elles étaient ignorées, ce qui faussait le taux de positivité. Donc jusqu’à présent la méthode de calcul ne prenait pas en compte les réinfections mais désormais Santé Publique France compte tous les tests, sauf ceux effectués dans les 60 jours après un premier test. Si on se fait tester une deuxième fois positif au-delà de 60 jours, alors ça compte comme deux infections. La nouvelle méthode est rétroactive donc toutes les données récoltées depuis mai ont été modifiées.