Jubillar, de Ligonnès, Pilarski… Pourquoi ces affaires fascinent-elles les enquêteurs du web ?IllustrationIstock
Des passionnés de crimes non résolus se retrouvent sur les réseaux sociaux afin d'échanger leurs dernières théories. Comment expliquer cette fascination, qui en pousse certains à dépasser les bornes ?
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De simples citoyens peuvent-ils remplacer des enquêteurs expérimentés ? Lorsqu’il s’agit d’une affaire criminelle non élucidée, chacun y va de sa théorie, de la plus plausible à la plus farfelue. Il y a ceux qui se contentent d’une documentation officielle sur la question, par le biais de livres ou du documentaires, et ceux qui décident d’enquêter par eux-mêmes.

Affaires non résolues : des inconnus mènent l'enquête

Ces détectives du web sont de plus en plus nombreux et de plus en plus actifs sur les réseaux sociaux. Ils font partie de groupes dédiés à une affaire en particulier, ouvert à tous, où on se pose des questions et où on remet en doute les éléments connus, à la recherche d’une réponse. Bon enfant la plupart du temps, ces groupes peuvent aussi donner lieu à des débordements, quand les hypothèses des uns ne se soucient pas de la présomption d’innocence.

C’est notamment le cas en ce qui concerne la disparition de Delphine Jubillar. La jeune femme qui n’a plus donné signe de vie depuis le 15 décembre dernier ,reste introuvable, malgré la mobilisation de ses proches. Des battues sont organisées régulièrement par les amies de la jeune femme, auxquelles participent aussi des inconnus. Le week-end dernier, une internaute a partagé sa découverte sur un groupe dédié à la disparition de la mère de famille : elle a trouvé un drap "à moitié enterré" près de ce qui semble être une décharge sauvage. Une information qu’elle a transmise aux enquêteurs, qui se sont déplacés.

Si cette initiative n’empiète pas sur le travail des gendarmes, il arrive que certaines personnes aillent beaucoup plus loin. La fascination de ces enquêteurs du web a-t-elle vraiment un intérêt dans des affaires criminelles non résolues ?

Affaires non résolues : pourquoi une telle fascination ?

La disparition de Delphine Jubillar est la dernière affaire à fasciner ces internautes, mais beaucoup s’intéressent aussi à des cold case, comme l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès - qui a lancé la mode de ces groupes d'inconnus - ou le meurtre de Grégory Villemin.  Comment expliquer une telle fascination ?

En novembre 2019, c’est la mort d’Elisa Pilarski – mordue à mort, semble-t-il, par le chien de son compagnon – qui fait la une des journaux et suscite un véritable engouement sur les réseaux sociaux. Interrogée par Ouest-France, une quadragénaire adepte de ces énigmes confie s’être "identifiée" à la jeune femme pour expliquer son intérêt pour l’affaire. "On voit d’emblée que la version de son compagnon ne tient pas la route, même si je n’étais pas sur place pour voir", ajoute-t-elle auprès du quotidien local.

Interrogé par Planet en 2020, Arnaud George - psychanalyste spécialisé en criminologie et victimologie - expliquait que "le fait de ne pas savoir contribue à la fascination". A chaque fois, c'est la même fascination pour ces meurtres inexpliqués ou ces suspects qui n'ont toujours pas été appréhendés. On veut comprendre et on ne comprend pas pourquoi on ne sait toujours pas. Si certains inscrits sur ces groupes prennent les pincettes d’usage dans des dossiers qui n’ont pas encore été jugés, tous ne le font pas. De nombreuses dérives ont été observées ces derniers mois…

Affaires non résolues : des dérives sur les groupes dédiés

Donner son avis, pourquoi pas, jeter un innocent en pâture, non. Dans l’affaire Jubillar, le mari de la disparue est depuis le début sous le feu des projecteurs et la cible de nombreuses attaques sur les réseaux sociaux. L’avocat de Cédric Jubillar a réagi à plusieurs reprises ces derniers mois, rappelant que son client bénéficiait de la présomption d’innocence et qu’il n’était pas mis en cause dans le dossier. S’il s’est senti obligé de le faire, c’est parce que son client a été la cible d’injures sur Facebook, même dernièrement sur son profil, et que certains sont allés jusqu’à se déplacer à Cagnac-les-Mines, pour voir à quoi ressemble sa maison.

Il y a un an, alors que l’affaire Elisa Pilarski était au cœur de l’actualité, le débat s’articulait autour du chien Curtis, animé par ses défenseurs. Certains sont allés trop loin, en menaçant de mort une avocate du dossier, qui avait évoqué la possible implication du chien de Christophe Ellul.

Ces abus posent question et, s’ils sont l’œuvre d’une minorité sur ces groupes, ils font de l’ombre à ceux qui cherchent réellement à enquêter sur une affaire toujours non résolue. Si ces enquêteurs du web ne font pas réellement avancer les dossiers, n’ayant accès à rien, ils posent souvent les bonnes questions, ce qui est déjà beaucoup.