Réforme des retraites : les sévères critiques du Conseil d’État mettront-elles le feu aux poudres ?IllustrationIstock
Le conseil d'Etat a rendu son avis : l'étude, très attendue, vient en effet d'être publiée ce vendredi 24 janvier 2020. Première mouture des deux projets de loi "insuffisante", projections financières "lacunaires"... Le rapport, très cassant, devrait alimenter la controverse.
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Cap décisif ! Toujours vivement dénoncée par différents syndicats et une grande partie de l’opinion publique, la réforme des retraites vient d’être présentée en conseil des ministres. Ce nouveau régime universel, annoncé par le gouvernement comme plus équitable, doit également redonner "de la valeur au travail", en encourageant les actifs à prolonger leur carrière professionnelle via un âge d’équilibre (ou âge pivot), tant décrié.

Le rapport du Conseil d'Etat sur les deux projets de loi, organique et ordinaire, publié vendredi 24 janvier 2020, vise ainsi à décortiquer le projet afin d’en établir les conséquences : évolution du niveau de pension en fonction, notamment, des métiers et de la génération, analyse des écarts entre les hommes et les femmes, épluchage des changements dans le pilotage du système…

L'"étude d'impact", d'un millier de pages, écrite par plusieurs grandes administrations centrales de Bercy et de ministères sociaux, risque d’alimenter débats et polémiques, rapporte Le Parisien.

Retraite : des délais de réflexion insuffisants

Pas assez de temps ! Voici la première critique avancée par le Conseil d’Etat. Saisi le 3 janvier, l’institution a en effet disposé seulement de trois semaines pour émettre son avis. Le Conseil regrette ainsi de ne pas avoir eu un timing suffisant pour "garantir au mieux la sécurité juridique" de la réforme.

D’autant que le gouvernement a en outre modifié les deux projets de loi (organique et ordinaire) à six reprises durant ce laps de temps, ce qui "ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé", déplore-t-il.

Une "situation d’autant plus regrettable" qu’il s’agit d’une réforme "inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir (…) l’une des composantes majeures du contrat social", indique la plus haute juridiction administrative française.

Réforme des retraites : un travail bâclé ?

L’avis est sévère. La première mouture des deux textes est jugée "insuffisante ". "L’étude d’impact initiale qui accompagne les deux projets de loi est apparue, pour certaines dispositions, insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009. Le Conseil d’Etat rappelle que les documents d’impact doivent répondre aux exigences générales d’objectivité et de sincérité des travaux procédant à leur élaboration et que chaque document élaboré pour un article ou groupe d’articles doit exposer avec précision tous les points énumérés à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. "

Cela n’ayant pas été le cas, une deuxième proposition a été soumise à l’institution le 15 janvier dernier. Mais, "les projections financières restent lacunaires", notamment sur la hausse de l’âge de départ à la retraite, le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux.

Réforme des retraites : un manque de visibilité ?

Egalement pointé du doigt, le recours à 29 ordonnances, y compris "pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite". Selon le Conseil d’Etat, cela "fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité".

L’ordonnance traitant de la "conservation à 100% des droits constitués" lors de la bascule entre le système actuel et le futur "système universel" est jugée "particulièrement cruciale". Pour preuve, "en l’absence d’une telle ordonnance" la réforme "ne s’appliquera pas" aux générations nées à partir de 1975.

D’autres "dispositions constituent une injonction au gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution". Il s’agit des lois de programmation visant à revaloriser les enseignants. Elles sont donc condamnées à disparaître du texte.