Jeux Paralympiques : l’occasion manquée des grandes chaînes et... des athlètesabacapress
Pendant la compétition, la chaîne savoyarde TV8 Mont Blanc a quintuplé ses audiences. Cette erreur stratégique des grands groupes a privé les athlètes d'une meilleure exposition, notamment ceux qui n'ont pas remporté de médailles. Retour sur une couverture médiatique controversée.
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Des audiences multipliées

7.6 millions de téléspectateurs étaient devant la chaîne publique anglaise Channel 4 pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques. Ce succès médiatique Outre-Manche prouve que le handisport attire et plaît, comme le montre l’ambitieuse chaîne savoyarde TV8 Mont Blanc qui a profité de l’occasion pour quintupler ses audiences en quelques semaines... Malgré une perte nette de 200.000 euros, le média a réussi son coup : faire parler de lui et élargir considérablement son offre, traditionnellement ancrée dans la région.

“Ce n’est pas moi qui le dit, mais Médiamétrie qui vient de nous confirmer qu’entre 5 et 8 millions de personnes ont regardé au moins une fois une ou plusieurs épreuves sur TV8 Mont Blanc pendant les 11 jours de compétition, confirme Paul Rivier, le directeur de la chaîne sur le site de veille médiatique Enpleinelucarne. Si l’on ramène ces chiffres à nos chiffres normaux, notre audience a donc été au moins multipliée par 5 !”

Pendant ce temps, France Télévisions a relégué les directs sur France Ô, dont les audiences ne sont pas publiées par Médiamétrie car confidentielles, et a programmé sur France 3 entre 23H30 et 1H45 le résumé de la journée et n’a accepté de diffuser une émission diurne de 55 minutes (17h en semaine, 15h le week-end) qu’à la faveur d’une pétition signée par 15.000 personnes...

Stratégiquement, le groupe audiovisuel public a-t-il raté le coche ?

“Oui, il y avait de quoi faire en termes de contenu vu que les enjeux sont liés aux équipes nationales, selon Lionel Maltese, universitaire spécialiste en marketing sportif. Les chaînes n’ont pas voulu théâtraliser ces Jeux Paralympiques et ont, encore une fois, sous-estimé l’attractivité de la compétition. France Télévisions, qui a l’habitude de diffuser des événements où les athlètes sont connus du grand public, n’a pas anticipé le succès de ces Paralympiques. La preuve, c’est qu’en dehors de quelques exceptions, les potentiels médaillables ou les stars de cette compétition n’ont pas été mis en avant”.

Un avis partagé par la sprinteuse française Assia El Hannouni, pourtant sur le devant de la scène avec ses deux médailles d’or sur 200 et 400 mètres : On est des sportifs à part entière, on fait des performances et, pourtant, on se retrouve avec seulement quelques diffusions (...) et aucun direct, alors que le public est demandeur, c'est regrettable."

Pas de médiatisation, pas de sponsor ?

Face à ce manque de médiatisation, de nombreux athlètes handicapés peinent à trouver des sponsors. Charles Rozoy, champion paralympique du 100 mètres papillon à Londres, a connu les fins de mois difficiles : “Avant, ce n’était pas facile de mener de front emploi et entraînement de haut niveau. Heureusement, ma situation a évolué l’année dernière : après plusieurs démarches, EDF m’a recruté au sein de son service communication et je bénéficie d’horaires aménagés”.

Une chance pour Charles Rozoy, lui qui fait partie des 13 athlètes handisport sponsorisés par la société française, tous médaillés dans des compétitions internationales.

Mais pour les sportifs moins reconnus, plus “anonymes”, cela se complique. Ainsi, Alicia Mandin, discrète 8ème du 100m brasse qui souffre d’épilepsie et de dyslexie, a connu les affres du chômage pendant des mois avant de trouver un modeste emploi chez Décathlon. Son revenu mensuel ? 600 euros pour 20 heures de travail hebdomadaire, auxquels elle ajoute une aide de la Fédération de 300 euros. Avec si peu de moyens, pas facile alors d’alterner entre sport de haut niveau et emploi, d’autant que les déplacements sportifs sont fréquents.

Bien sûr, un sponsor pourrait faciliter le quotidien de ces athlètes. Mais il est bien difficile de défendre sa cause sans visibilité pendant la compétition, a fortiori lorsque la couverture médiatique de l’handisport ou du sport adapté pendant les olympiades est inexistante, malgré des championnats continentaux ou mondiaux de bonne facture.

“La continuité d’un traitement médiatique dans le temps permettrait au public d’intégrer les règles et d’apprécier plus justement la performance ou la contre-performance de l’athlète, confie Olivier Donval, sur rue89. Au lieu de ça, les Jeux sont la seule fenêtre de visibilité au niveau national, l’intermède entre deux olympiades ressemble à un désert. On n’existe pas.” 

Un public pourtant demandeur

Ce vide médiatique déçoit d’autant plus que les sportifs eux-mêmes ont été beaucoup sollicités par le public, notamment ceux qui ont fait parler d’eux grâce à une médaille. “Après l’or sur 100 mètres papillo n, j’ai reçu des dizaines de SMS et de messages sur mon répondeur, raconte Charles Rozoy, dont le numéro de portable a fuité sur Internet. Et je ne compte plus les sollicitations sur Facebook, où j’ai été très sollicité. A tel point que j’ai maintenant plus de 1600 fans sur ma page d’athlète !”.

Ailleurs, sur les sites d’information, les réactions en nombre des internautes -qu’elles soient enthousiastes ou critiques, comme pendant les JO- confirment cet intérêt grandissant du public pour l’handisport qui sait, à sa manière, créer de l’émotion et du suspens.

Pour l’économiste Lionel Maltese, l’absence de prise de risques de la part de France Télévisions est d’autant plus regrettable. “Bien sûr, les sponsors sont beaucoup moins généreux qu’à l’occasion des Jeux Olympiques classiques. Mais il y avait possibilité de mettre en place un modèle économique non basé sur les recettes, mais sur la médiatisation de la cause handisport et d’en faire un geste citoyen”. Une chose est certaine : les chaînes de télévision ne pourront pas crier à la surprise car le 15 février dernier, le président du CSA Michel Boyon alertait à ce propos les responsables de nombreux médias nationaux, dont ceux de TF1, France TV et M6.

Sa recommandation était alors sans ambiguïté : "si le sport paralympique fait partie du mouvement olympique, comme son nom l’indique, il faut le traiter comme les autres sports". Un voeu enfin exaucé en 2016, à Rio de Janeiro ?