Fiscalité : "La dette ne détermine pas ce que l'Etat peut ou non dépenser"Istock
TRIBUNE - A l'approche de l'élection présidentielle, la notion d'impôts sur les plus riches pourrait revenir dans le débat politique. Alexandre Delaigue, économiste et enseignant, apporte ses éléments de réponse à Planet.
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Alexandre Delaigue est professeur agrégé d'économie-gestion à l'économie de Lille 1. Il a aussi enseigné à l'académie militaire de Saint-Cyr Coetquidan et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Sexe, drogue... et économie: Pas de sujet tabou pour les économistes (2013).

La campagne électorale et le contexte de sortie de l’épidémie vont ramener, dans le débat public français, des questions récurrentes. En effet, l’accroissement de la dette publique d’environ 100% du PIB à 120% pendant la pandémie, sachant que celle-ci était déjà présentée avant cela comme trop élevée, insoutenable, et incompatible avec les contraintes européennes, va servir de justification à des choix budgétaires. On voit déjà, du côté du gouvernement, un discours indiquant que la situation budgétaire rend "indispensable" une nouvelle réforme – en pratique une réduction – des retraites.

Cela va poser la question de la répartition de cet effort budgétaire, et remettre sur la table la question de la fiscalité des hauts revenus, en particulier après le remplacement de l’impôt sur la fortune par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

ISF : l'impôt absurde payé par les millionnaires... mais pas par les milliardaires

Il faut sur ce sujet rappeler plusieurs choses. Premièrement, ce qui a le plus raboté l’ISF, c’est la décision du conseil constitutionnel de limiter l’imposition des revenus à 70%, chiffre au delà duquel elle devient "confiscatoire". Le résultat de cette décision était u ne situation absurde dans laquelle l’ISF était payé par des millionnaires, mais pas par des milliardaires. Tant que cela perdurera, rétablir l’ISF ne ferait que revenir à cette situation antérieure, peu satisfaisante.

Deuxièmement, l’impôt sur la fortune avait des défauts difficiles à évaluer, conduisant en particulier des entreprises familiales à des contorsions multiples qui pénalisaient leur développement. Supprimer l’ISF avait pour but de réduire ces distorsions et de réduire le biais français en faveur de l’investissement immobilier, et au détriment de l’investissement productif dans les entreprises.

Troisièmement, S’il est difficile de juger de l’impact de la suppression de l’ISF sur les distorsions de comportement des entreprises, l’effet de sa suppression sur l’investissement productif semble nul. De manière générale, l’investissement réagit peu à la fiscalité et beaucoup plus aux carnets de commande.

Faut-il rétablir l'ISF ?

Dans ces conditions, on pourrait trouver justifié de revenir sur cette suppression de l’ISF, et d’augmenter la fiscalité pesant sur les grandes entreprises, plutôt que d’imposer de nouvelles contraintes aux ménages et aux classes moyennes. Mais cela pose plusieurs problèmes.

La fiscalité française pesant sur les entreprises et le capital est déjà complexe et particulièrement instable. Il serait bon de stabiliser cette fiscalité plutôt que de multiplier nouveaux impôts, exemptions, niches fiscales, et autres distorsions qui rendent le système opaque et imprévisible. Les jeux permanents avec la fiscalité au gré des alternances politiques et des slogans de campagne sont nuisibles.

Ensuite, l’idée que la situation des finances publiques françaises rend nécessaire des restrictions budgétaires, et pose la question du "qui va payer" doit être elle même contestée. Ce que nous a montré la crise du Covid – que les économistes savent depuis longtemps – c’est que le niveau de dette publique français n’est pas trop élevé et que la trajectoire des finances publiques n’a rien d’insoutenable. Alors que le montant de la dette publique a considérablement augmenté depuis 20 ans, le coût de son service a constamment diminué. Il y a bien entendu des limites à ce que l’Etat peut dépenser : mais elles ne sont pas atteintes, et ne sont pas déterminées par le "poids de la dette".

Quoi qu'il en coûte : voilà revenir le débat sur la dette public

Au fond la dette publique reprend la place qu’elle avait dans le débat public avant la crise du Covid : celle d’un croquemitaine qu’on agite pour justifier une politique qu’on a envie de mener, alors qu’elle serait très impopulaire sans cela. C’est ainsi que l’on peut justifier de diminuer les retraites ou des dépenses sociales d’un côté, ou "faire payer les riches" de l’autre.

La France fait face à de nombreux défis, le choc du vieillissement, la transition énergétique. Au lieu d’être considérés comme des problèmes concrets à résoudre, ceux-ci ne sont présentés que comme des contraintes inéluctables, la seule question étant de savoir sur qui les faire peser. Cette paralysie est ce qui est réellement préoccupant dans ce débat.