A un peu plus de dix jours de Noël, Emmanuel Macron s’est-il piégé tout seul ?AFP
Le chef de l'Etat avait annoncé un déconfinement possible à date du 15 décembre 2020, si les conditions sanitaires le rendait possible. Se faisant, il a créé un espoir qui pourrait bien se retourner contre lui...
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"Je garderai toujours la même ligne de conduite : priorité à la prévention et à la sécurité sanitaire de nos concitoyens", répondait récemment Jean Castex, dans les colonnes du Monde, expliquant la stratégie de déconfinement envisagée par l’exécutif. A quelques jours des fêtes de fin d’année, le chef du gouvernement a été notamment questionné sur les objectifs qui conditionnent la fin potentielle de la mise sous cloche de la nation. C’est que tous ne sont pas atteints et pourraient ne toujours pas l’être le 15 décembre, échéance fixée par le chef de l’Etat lors de sa dernière allocution au sujet de l’épidémie. En l’état actuel des choses, il paraît hautement improbable de passer sous la barre des 5 000 nouveaux cas quotidiens à temps, rappelle le quotidien régional L’Indépendant

Est-ce à dire que la France ne sera pas déconfinée à la date précédemment donnée ? Potentiellement. "Nous aviserons en fonction de l’évolution de ces données", a simplement affirmé l’ancien maire de Prades, qui se refuse pourtant à dire des vacances de Noël qu’elles sont menacées. Il dit même qu’il est "prématuré de s’inquiéter". "Nous n’en sommes pas là. Aucun pays européen n’a pris pour l’instant de mesures restrictives ou d’interdictions concernant les fêtes", compare-t-il. Une façon de préparer l’opinion à un déconfinement qui pourrait pourtant être dangereux sur le plan sanitaire ? Peut-être. C’est que l’exécutif a aussi de quoi s’inquiéter s’il ne déconfine pas…

Emmanuel Macron prend-t-il des risques politiques s’il prolonge le confinement ?

"Il me semble, clairement, qu’Emmanuel Macron prend un risque politique s’il décide de ne pas déconfiner", juge pour Planet le politologue Christophe Bouillaud, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Institut d'Études Politiques (IEP) de Grenoble. "C’est particulièrement vrai si l’exécutif décide de maintenir les éléments les plus énervants du confinement, telle que l’impossibilité de circuler passé un certain nombre de kilomètres ou la nécessité de toujours avoir une attestation de déplacement dérogatoire. En outre, ce serait créer une réelle déception autant qu’introduire une totale incertitude au sujet de la tenue des fêtes. Politiquement, cela ne peut pas être bon", poursuit-il.

Pour Emmanuel Rivière, directeur général France de l’institut Kantar, la réponse n’est pas évidente. "Sur le plan électoral, je ne pense pas qu’Emmanuel Macron prenne de grands risques s’il décide de prolonger le confinement, puisque les prochaines échéances électorales sont encore assez lointaines. Certes, si l’agenda initial n’est pas respecté, il y aura de la frustration, mais force est de constater que ce qui a agacé les Françaises et les Français jusqu’à présent, ce sont les mensonges, le manque de transparence ou de préparation. S’il s’essaie à un exercice différent, joue cartes sur table sans se dédire et parle aux gens d’adulte à adultes, je pense qu’ils seront à même de comprendre", estime en effet le sondeur. Et lui d’alerter, néanmoins : "S’il se laisse aller à la tentation de jeter la pierre aux Français qui n’auraient pas été assez assidus, il prend alors un risque conséquent".

"N’oublions pas non plus que la déception pourra être plus forte dans certains pan de la population où la proportion de retraités est moins importante, ce que ne montrent généralement pas les sondages d’opinion dont l’échelle est globale. Tous les secteurs professionnels qui sont très frappés par le confinement feraient grise mine. Prolonger le confinement, cela veut aussi dire créer des poches de rancœurs et de difficultés économiques qui ont de quoi inquiéter le chef de l’Etat. C’est, fondamentalement, un aveu d’échec", soutient encore Christophe Bouillaud.

Ce qui ne veut pas dire qu’Emmanuel Macron devrait mécaniquement déconfiner…

Emmanuel Macron prend-t-il un risque s’il décide de déconfiner ?

"Déconfiner tout de même, en dépit des inquiétudes que pourrait légitimement engendrer la dégradation de la situation épidémiologique, dans l’espoir de ne pas avoir à affronter la déception des Français, représenterait un risque réel", estime cette fois Emmanuel Rivière, pour qui le chef de l’Etat doit aujourd’hui trouver un équilibre entre deux situations complexes. "S’il décide d’être plus dur qu’annoncé initialement et - par exemple - de poursuivre le confinement ou de le renforcer, le président pourrait transformer les Français en des gens énervés ou peu observants des règles. N’oublions pas que la légitimité de celles-ci ne tient que du fait du nombre d’individus prêts à les suivre", pointe-t-il d’abord du doigt. 

"Deuxième danger : lâcher du lest et engendrer davantage de morts, puisque c’est de cela dont il est question. Pour le président de la République, cela signifierait aussi se voir durablement reprocher d’avoir manqué de cohérence, d’avoir fait preuve d’une grande lâcheté et de tout de l’avoir tout de même payé plus tard, puisqu’il lui aura probablement fallu resserrer les boulons ensuite", analyse encore le directeur général France de Kantar Public. Autant de situations complexes pour le chef de l’Etat…

"Là encore, c’est une évidence : Emmanuel Macron est piégé. S’il décide de déconfiner au vu et au su des risques évoqués, il fera plus tard l’objet d’un procès pour absence de radicalité", confirme Christophe Bouillaud, qui n’hésite pas à parler d’un "énorme piège pour le gouvernement", dont il estime qu’il sera désormais "obligé d’admettre le deuxième échec de sa stratégie sanitaire".

Déconfinement : quelle est la meilleure stratégie pour Emmanuel Macron ?

"Quoiqu’il arrive, Emmanuel Macron et son gouvernement sont désormais condamnés à l’échec. S’ils entreprennent un déconfinement, ils prennent un risque important. S’ils prolongent le confinement, ils prennent encore un risque important. Dans toutes les situations envisageables, ils sont perdants", assène encore l’enseignant-chercheur en sciences politiques pour qui cet état fait résulte de "l’absence de stratégie claire sur où l’on se contamine", en dehors des restaurants et des bars. "Le gouvernement aura beaucoup de mal à apparaître responsable ou efficace", estime encore Christophe Bouillaud.

"A mon sens, dans un contexte comme celui-ci il peut-être facile de manquer de confiance en la capacité de compréhension des Françaises et des Français", note pour sa part Emmanuel Rivière, qui rappelle qu’il est "facile d’avoir en tête les oppositions, les voix qui conspuent". "Pourtant, je pense qu’il faut faire le parti inverse. Le curseur est difficile à placer et les gens le savent. Faire preuve de transparence, de pédagogie, expliquer sa démarche est essentiel. Je crois que le président a donc davantage intérêt à être ferme tôt plutôt que tard, à l’approche des prochaines élections", conclut-il.