Financer les retraites sans âge pivot, c’est possible !AFP
Lors de sa prise de parole à la convention citoyenne, le président de la République a été on ne peut plus clair : le financement du système des retraites ne peut pas passer par une hausse des cotisations sur le travail. Pourtant il existe d'autres outils que le report de l'âge de départ.
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"Il y a des désaccords, je les entends. Il faut qu'un bon consensus soit trouvé", estimait Emmanuel Macron, devant les 150 Françaises et Français de la convention citoyenne sur le climat (CCC). Le président, rapporte BFMTV, y a défendu son bilan, sans en exclure la réforme contre laquelle militent les syndicats depuis début décembre 2019. "Comment on fait lorsque de moins en moins d'actifs financent des gens qui vivent de plus en plus vieux ? Soit on cotise davantage, soit on assume de travailler un peu plus longtemps", a estimé le chef de l'Etat pour qui le choix est clair : "je n'assume pas de baisser les retraites", a-t-il conclu.

Dans sa feuille de route à l'attention des partenaires sociaux, le Premier ministre fixe lui aussi des consignes de négociations strictes. S'il accepte de retirer temporairement l'âge pivot du projet de réforme défendu par le gouvernement, il fixe aussi le cadre des propositions. Certains responsables politiques d'opposition, comme Olivier Faure, déplore déjà l'interdiction de jouer sur les cotisations ou "d'élargir l'assiette", indique 20 minutes

Pourtant, même sans gonfler le coût du travail, des alternatives à l'âge pivot pourraient permettre de financer le système des retraites. "En soi, il existe plusieurs outils qui pourraient servir d'alternatives à l'âge pivot. Il est possible, par exemple, de jouer sur la durée de cotisation comme le fait déjà la loi Touraine, promulguée en 2016. Indirectement, cela revient à proposer une mesure d'âge", explique Eric Heyer, économiste, enseignant à Sciences-Po, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE et membre du Haut conseil aux finances publiques.

Durée de cotisation, montant des pensions, impôts… Ce que le pouvoir pourrait faire pour financer les retraites

C'est loin, cependant d'être l'unique solution. "Outre le montant des pensions, auquel le gouvernement a déjà dit qu'il n'entendait pas toucher, il serait possible d'augmenter les cotisations vieillesses, quitte à compenser par une baisse ailleurs. Autre solution potentielle : la redirection d'un impôt ou d'une subvention de l'Etat, de sorte à nourrir le système des retraites. Par ailleurs, il n'est pas non plus exclu d'utiliser un pan du fond de réserve", note encore l'économiste qui souligne le nombre considérables de pistes qui existent.

"Au final, il est probable que la solution choisie par le gouvernement correspondent en fait à un cocktail de mesures. Cela éviterait aux syndicats, au patronat comme au gouvernement de perdre le bras de fer, puisque chaque parti aurait alors à faire son lot de concessions", précise l'enseignant.

Dans tous les cas, le gouvernement n'entend pas se passer durablement du report de l'âge de départ à la retraite, comme le rappelle le chercheur. "Certes, l'exécutif a fait savoir qu'il retirait l'âge pivot du projet. Cependant, Il ne s'agit pas de s'en débarrasser définitivement : il continue de faire partie intégrante de la réforme, mais ne sera a priori pas ré-activé avant l'entrée en vigueur du système par point", note-t-il.

Comment financer les retraites : un problème de recettes plus que de dépenses ?

Depuis le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), qui chiffre le déficit du système entre 7,9 et 17,2 milliards d'euros, le gouvernement cherche de quoi le ramener à l'équilibre financier d'ici 2027. D'aucuns pourraient penser que la France consacre un budget trop importants à ses retraités et que c'est le niveau des pensions qui est responsable d'un tel gouffre pécuniaire. C'est la question que posait La Croix, l'année passée, le discours qui se tenait au sommet de l'Etat en 2018 à en croire Notre siècle, le propos qu'avançait déjà Laurent Wauquiez en 2010, dans les colonnes du Parisien

Pourtant, explique Eric Heyer, ce n'est pas ce qui ressort des analyses du COR. "Dans son rapport, et c'est un élément particulièrement intéressant, le Conseil d'orientation des retraites estime que le déficit n'est pas lié à une dérive de la dépense mais à un manque de recettes", précise l'économiste. Le niveau de rémunération de nos anciens n'est donc pas à blâmer. "Le projet de réforme du gouvernement envisage de sanctuariser la part du PIB consacrée au paiement des pensions : celle-ci ne devrait pas dépasser 14 points", poursuit le membre du Haut conseil aux finances publiques.

Or, d'après le COR, les dépenses engendrées par le versement des pensions n'atteignent même pas les 14 points de PIB. Les recettes qui devrait, théoriquement, ramener le budget à l'équilibre en sont plus loin encore.

Financer le système de retraites : une hausse de 1% des salaires suffirait-elle comme le prétend Jean-Luc Mélenchon ?

"A taux de cotisation constant", il suffirait d'une "augmentation de 1% des salaires" pour ramener quelques 2,5 milliards dans les caisses de la Sécurité sociale, assure le leader de La France Insoumise (LFI), qui mise sur un tel scénario pour combler le déficit du système de retraites, indique LCI. Une analyse qui, sans s'avérer fausse, n'est pas exempte de critique d'après le directeur du département analyse et prévision de l'OFCE.

"Sur le papier, une hausse des salaires entraîne mécaniquement une hausse des recettes et permettrait donc potentiellement de résorber le déficit. Cependant, il importe de rappeler que le gouvernement ne décide pas de l'augmentation du revenus des actifs. Certes, il peut gonfler le SMIC, mais l'effet d'entraînement qu'une telle mesure pourrait avoir demeure assez limité", résume le chercheur.

Selon lui, une augmentation artificielle des salaires peut même engendrer, à terme une réduction de la masse salariale, si la productivité et la compétitivité des travailleurs ne suivent pas.

"La bonne solution consisterait donc, à mon sens, à grossir la masse salariale française. Il faut gonfler le taux d'emploi des populations où il est moins forts que la moyenne, comme cela peut être le cas chez les femmes et les seniors, par exemple", détaille Eric Heyer, non sans rappeler que des politiques qui permettent ce type de situation sont bonnes "non seulement sur le plan macroéconomique mais aussi pour celles et ceux qui en profitent directement". 

Financer le système des retraites : si le problème vient des recettes, pourquoi interdire la hausse des cotisations ?

"Le déficit des retraites est avant tout lié à un problème de recettes. Par conséquent il est curieux d'exclure d'entrée de jeu les cotisations", s'étonne Eric Heyer. "Même en maintenant le budget consacré aux pensions de retraites à 14 points de PIB, il importe de rappeler que le nombre de retraités progresse plus rapidement que ne le fait le PIB, en France. Par conséquent, on acte la baisse du niveau de vie des seniors comme solution au problème des retraites", note l'économiste. Selon lui, il s'agit d'une solution "acceptée" parce que la paupérisation des retraités intervient quand, statistiquement, ils sont plutôt privilégiés par rapport au reste de la population française. "Néanmoins, cela reste un discours à assumer", nuance-t-il.

Si le gouvernement rejette toute hausse des cotisations, explique-t-il, c'est parce qu'elle engendrerait une hausse du coût du travail et pourrait donc être préjudiciable à la masse salariale… Ce qui reviendrait, à terme, à fragiliser la principale source de recettes de la Sécurité sociale. Une analyse qu'il tempère aussitôt. 

"Une hausse des cotisations salariale ne causerait pas d'augmentation du coût du travail. Cependant, elle viendrait diminuer le pouvoir d'achat des actifs, qui payeraient alors pour les retraités, maintenant de facto notre système de solidarités intergénérationnelles", détaille-t-il.