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Pour la première fois depuis plus de deux siècles, les artisans du pain pourront prendre leurs congés sans demander l'autorisation aux pouvoirs publics. Certains redoutent une pénurie de pains.

Une révolution après la Révolution. C’est en somme ce qui s’est passé, sans que les citoyens ne s’en aperçoivent… jusqu’à ce mois d’août. Ainsi, peut-être avez-vous été en rupture de pains sans comprendre pourquoi, voyant nombre de vos boulangeries préférées baisser leur vitrine ? Voici la raison.

Depuis cette année, les boulangers peuvent partir en vacances sans le notifier au préalable aux autorités de l’Etat comme il était d’usage depuis… la Révolution française ! C’est le gouvernement qui en a décidé ainsi dans la loi relative à la simplification de la vie des entreprises.

Un usage hérité de la Révolution française

C’est au moment de la Révolution qu'est apparue pour la première fois l’obligation pour les boulangers de déclarer leurs congés. A Paris, le 21 octobre 1789, la population affamée s’en prend au boulanger Denis François qu’elle accuse d’avoir dissimulé du pain et le pend sur la place publique. L’Assemblée décide alors de réglementer les vacances des boulangers (la réglementation permettait même la réquisition de la boulangerie) afin que la population ne pâtisse pas d’un manque de pains (et surtout, ne se révolte pas), nourriture essentielle à l’époque. Par la suite, cette loi martiale fera l’objet d’une loi en 1881 modifiée en 1957 dans le but "d’assurer le ravitaillement de la population".

Avec cette réglementation, le métier de boulanger est la seule profession artisanale à être réglementée sur ses vacances (avec, d’autre part, les pharmaciens) ; signe que le pain revêt en France un caractère si particulier.

Une amende par jour de fermeture non autorisé.

Dans la pratique, les artisans de province devaient s’entendre entre eux puis avertir leur mairie pour prendre des congés. A Paris, les quelque 1 200 boulangeries devaient s’adresser à la préfecture qui les assimilait chacune à un groupe. Une année, tel groupe prenait ses vacances en juillet et l’autre en août, et inversement l’année suivante. A charge pour la police de faire respecter la loi.

Les boulangers qui ne respectaient pas cette injonction risquaient une amende de 11 euros à 33 euros par jour de fermeture non autorisé. Selon Le Dauphiné, "une vingtaine de procès-verbaux étaient dressés chaque année".

Une pénurie de pains est-elle possible ?

Récemment, les médias britanniques s’alarmaient de ne plus pouvoir trouver de pain en France à cause de ce chamboulement. Ainsi, un reporter du Telegraph évoquait sa mélancolie de "ne bientôt plus voir l'image familière du Français marchant dans la rue avec sa baguette sous le bras, remplacée par des habitants en colère face à leur boulangerie fermée." Le quotidien britannique citait à l’appui des déclarations de Parisiens mécontents.

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Des déclarations qui font sourire Dominique Anract, le président de la Chambre professionnelle des artisans boulangers-pâtissiers de Paris. "Plus qu’une pénurie de pains, c’est plutôt à une pénurie de clients que les boulangers sont confrontés en août", déclare à Planet.fr celui qui tient une boulangerie dans le XVIe arrondissement de la capitale, la seule ouverte en ce moment sur les quatre du quartier.

Pourtant, il est vrai qu’en se promenant dans Paris ces temps-ci, on trouve plus de boulangeries aux vitrines fermées que de boulangeries ouvertes. En effet, l’alternance estivale plus en vigueur et une moindre clientèle en août, les boulangers sont donc plus tentés de prendre leurs vacances ce mois-ci. Au risque de laisser certains quartiers sans boulangeries… et de pousser les clients vers les concurrents, toujours ouverts, que sont les enseignes alimentaires et autres supermarchés.

Un revirement qui ne fait pas que des heureux

Ce changement dans les mœurs des boulangers et cette crainte d’une pénurie de pains inquiètent Jean-Louis Mack, le directeur juridique de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie. "Quand on a eu connaissance de cette suppression, on a fait part [au gouvernement] que la profession n’était pas très demandeuse, déclare-t-il à Planet.fr. Les pouvoirs publics ont choisi la liberté, il faut donc s’en accommoder maintenant…"

Jean-Louis Mack a donc fait passer le message aux boulangers : "On n’a plus de texte maintenant, essayez de vous accorder pour ne pas qu’il y ait de pénurie de pains." "La peur du gendarme permettait au moins aux boulangers de s’entendre entre eux. ", semble-t-il regretter. Si une pénurie de pains devait avoir lieu, les Français, qui sont 98% à en consommer, ne seraient en effet pas vraiment contents… et de cette révolution législative, pourrait naître une révolte populaire !

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