Chien mordeur : qu’est-ce qu’une évaluation comportementale ?IllustrationIstock
Lorsqu'un chien mord, il doit être soumis à une évaluation comportementale. Comment se déroule-t-elle ? Quelles en sont les conséquences ? Décryptage.
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Parfois, il arrive que les chiens mordent. Pour une raison ou pour une autre, qu'ils soient catégorisés comme dangereux ou pas, ils peuvent s'en prendre à leur maître, un enfant, un inconnu. Dans ce cas-là, il est obligatoire de signaler la morsure. L'article L.211-14-2 du Code rural et de la pêche maritime dispose que "tout fait de mrosure d'une personne par un chien est déclaré par son propriétaire ou son détenteur ou par tout professionnel en ayant la connaissance dans l'exercice de ses fonctions à la mairie de la commune de résidence du propriétaire ou du détenteur de l'animal". 

Dernièrement, un chien a été au coeur de toutes les attentions : Curtis, l'animal que promenait Elisa Pilarski le jour de sa mort. Blessé, il a été confié à des vétérinaires avant d'être placé dans une fourrière. Depuis le drame, Curtis a mordu à deux reprises : la première fois son maître et la seconde fois une bénévole du refuge. Comme l’explique Le Parisien, ces incidents ont conduit à l’ouverture d’une expertise judiciaire. Christian Diaz, docteur vétérinaire spécialiste en comportement, explique à Planet que son but est "de déterminer quel a pu être le rôle du ou des chiens dans une affaire". Il s’agit d’une expertise judiciaire avec bilan comportemental du chien, faite par un expert généralement inscrit près d’une cour d’appel. "L’expert est inscrit près d’une cour d’appel mais les juges sont libres de prendre un nom sur n’importe quelle cour d’appel en France. On peut par exemple imaginer qu’un juge de Paris va prendre un expert près de la cour d’appel de Toulouse", explique Christian Diaz. Interrogé par Le Parisien, Me Eric Alligné, qui représente Curtis, affirme que "toute évaluation antérieure, hors ce cadre judiciaire, sera nulle et non avenue".

Evaluation comportementale : à distinguer de l’expertise judiciaire

Dans un message posté sur Facebook à la fin du mois de décembre, Christophe Ellul expliquait qu’"un incident indépendant du drame aurait entraîné une procédure de chien mordeur et il [Curtis, NDLR] doit prochainement passer une évaluation comportementale". Interrogé à ce sujet par Planet, Christian Diaz précise que cette dernière n’a rien à voir avec l’expertise judiciaire qui a été diligentée. "On parle d’évaluation comportementale mais on ne sait pas dans quel cadre on est. Dans une expertise judiciaire, on ne rentre pas dans le cadre de l’évaluation comportementale", précise-t-il. Alors, qu’est-ce qu’une évaluation comportementale ? Selon le docteur vétérinaire, "c’est avant tout une mesure pour la protection des personnes". Le code rural définit trois types de procédures : celle d’un chien qui a mordu une personne, celle des chiens catégorisés - qui est obligatoire pour obtenir un permis de détention - et celle demandée par un maire pour un chien susceptible de présenter un danger pour toute personne ou animaux domestique. Comment se déroule cette évaluation comportementale ?

Evaluation comportementale : comment se déroule-t-elle ?

L’évaluation comportementale d’un chien a pour destinataire le maire ou, à défaut, le préfet, ce qui n’est pas le cas d’une expertise judiciaire. "Le but de l’évaluation comportementale est de déterminer le danger potentiel d’un chien", explique le docteur Christian Diaz. Selon le code rural, le maire peut la demander mais il y a un manque de clarté pour les évaluations comportementales "qui sont faites sans demande du maire" : "On s’interroge sur leur validité", précise le docteur vétérinaire. L’évaluation comportementale est obligatoire pour les chiens de catégories 1 et 2, qui sont soumis à une réévaluation, en fonction de leur niveau de risque.

L’évaluation comportementale d’un chien a lieu dans le cadre d’une consultation vétérinaire, "c’est donc un acte médical", explique Christian Diaz. Précision importante, elle ne peut pas être faite par le vétérinaire qui soigne habituellement le chien. Elle se déroule en trois temps avec, premièrement, "un examen clinique du chien" : "On vérifie que le chien ne présente pas une maladie, une infection qui pourrait expliquer une morsure par exemple. Quand un chien a mordu alors qu’on lui caressait l’arrière train par exemple, on vérifie qu’il n’a pas une arthrose à ce niveau-là. Si, après évaluation, il s’avère que la morsure est liée à la douleur, alors la chose à faire sera de régler la douleur", précise l’expert. La deuxième partie de l’évaluation comportementale est "un entretien avec les propriétaires du chien et les victimes, explique Christian Diaz. On cherche à savoir ce qu’il s’est passé, dans quelles circonstances, et à savoir s’il y a eu morsure". Lors de cet entretien, le vétérinaire demande "comment le chien se comporte, s’il a déjà mordu". Il confronte également les signes commémoratifs aux témoignages des propriétaires et des victimes, qui peuvent parfois se contredire, dans un sens comme dans l'autre.

Enfin, la troisième étape est une mise en situation, lorsqu’elle est possible : "On va voir si le chien se laisse manipuler par le vétérinaire et par d’autres personnes. On va également le tester par rapport aux personnes qui circulent". "Par exemple, quand un chien est suspecté d’avoir mordu un enfant de la famille, on demande à ce qu’il vienne avec le chien et on regarde comment il se comporte avec lui", explique Christian Diaz. "Souvent, des enfants sont mordus par leur chien parce qu’il y a une méconnaissance du comportement canin, il y a parfois des adultes qui n’imaginent pas qu’un chien a des dents". À la suite de cette évaluation comportementale, le vétérinaire peut définir le niveau de risque lié au chien.

Evaluation comportementale : comment est défini le risque que présente un chien ?

Ce n’est pas parce qu’un chien mord une fois qu’il présente un risque pour l’ensemble de son entourage. À la fin de l’évaluation comportementale, le vétérinaire peut définir le niveau de risque de l’animal, sur une échelle de 1 à 4. "Pour le niveau 1 on ne propose pas grand-chose, pour le niveau 2 on va souvent prescrire des mesures d’éducation, voire de rééducation comportementale", explique le docteur Christian Diaz. Lorsque le niveau de risque du chien est défini à 3, "on rentre dans un domaine où on a affaire à une prise en charge médicale", précise-t-il. Pour le dernier niveau, le quatrième, "c’est plus compliqué, car le code rural nous impose de conseiller aux propriétaires du chien l’euthanasie ou le placement dans un lieu où il ne pourra pas causer d’accident".

D’après le vétérinaire, le niveau 4 est rare, mais il peut s’agir "d’un chien adulte prédateur d’enfants en bas âge, il est donc absolument exclu de le laisser dans la nature". Par contre, il est possible de le placer dans une structure adapté, où il n’y a pas d’enfants, et son comportement sera tout à fait normal. "Quand on l’explique aux propriétaires des chiens, souvent ils comprennent très bien mais, parfois, il faut faire appel à la force publique", explique Christian Diaz.

L’évaluation comportementale est obligatoire pour les chiens de catégorie 1 et 2, qui sont, d’après la loi, des chiens d’attaque (1ère catégorie) et des chiens de garde et de défense (2e catégorie). Mais tout chien peut être amené à mordre dans sa vie, pour des raisons différentes. Quelles sont-elles ?

Evaluation comportementale : tous les chiens peuvent mordre

"L’agression avec morsure fait partie du comportement normal du chien, tout chien est susceptible de mordre", explique le docteur Christian Diaz. Il existe d’ailleurs plusieurs types d’agressions, expliqués par le vétérinaire :

  • L’agression relationnelle : "Il y a plusieurs classifications, mais on peut avoir l’agression hiérarchique pour garder sa ressource. C’est souvent le maître ou la maîtresse : le chien va défendre cette ressource, il peut aussi s’agir de nourriture".
  • L’agression par peur : "Elle peut être extrêmement grave car le chien va vouloir se dégager à tout prix".
  • L’agression par irritation, en cas de crainte, de douleur ou de frustration.
  • L’agression territoriale : "Le chien va défendre un territoire, c’est par exemple le cas de ceux qui aboient dans les jardins après tout ce qui passe".

Pour le docteur Diaz, toutes ces agressions sont à différencier absolument de "la prédation", lorsqu’un chien va se précipiter sur une proie. "L’agression est un comportement qui vise à mettre à distance un individu et la prédation a pour but de tuer", résume-t-il pour Planet. "Quoi qu’on fasse, le chien est toujours un prédateur. Il peut être un prédateur par rapport à un type d’individus auquel il n’a pas été associé quand il était jeune", conclut-il.