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En plus de 50 ans de carrière, il a connu tous les présidents de la Ve République. Alain Duhamel, éditorialiste à RTL, à Libération et aux Dernières nouvelles d'Alsace, publie un ouvrage qui fait un carton depuis sa sortie en septembre (Journal d'un observateur, Editions de l'Observatoire, 20 euros). L'auteur livre des anecdotes sur d'anciens chefs de l'Etat.
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Charles de Gaulle consent à faire campagne

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C’est la première élection présidentielle au suffrage universel direct de la Ve République, en 1965. Alain Duhamel commente les sondages réalisés par l’Ifop. Le général de Gaulle refuse de s’abaisser à la hauteur de François Mitterrand et de Jean Lecanuet, qui représentent respectivement la gauche et le centre. Ses principaux concurrents se mettent en valeur à la télévision, mais ‘‘le chef de l’Etat qui n’a daigné annoncer sa candidature que le 4 novembre, un mois et un jour avant le vote, a décidé […] qu’il ne mènera pas campagne sur les petits écrans’’, souligne l’éditorialiste. Chez l’homme du 18 juin 1940 et de 1958, il y a de l’arrogance. Et un excès de confiance.

‘‘[L]es enquêtes de l’Ifop, publiées par France-Soir, deviennent vite inquiétantes, presque anxiogènes. Donné vainqueur dès le premier tour avec 66 % des voix en septembre, Charles de Gaulle se voit menacé d’un second tour fin novembre, et le recul ne semble pas prêt de s’arrêter’’, indique le journaliste.

Tenant compte des résultats des sondages, le président de la République change de stratégie. Il intervient fin novembre à la télévision, ‘‘de façon curieusement décevante, hésitante, acrimonieuse, puis à l’avant-veille du scrutin, le 3 décembre, avec soudain un génie retrouvé’’.

S’il arrive largement en tête du premier tour avec 44,6 % des voix, de Gaulle doit concourir au second contre Mitterrand. Sa mise en ballotage est décisive pour la suite de son parcours : bien que réélu, il n’est ‘‘plus le souverain tout-puissant […], le monarque majestueux, nimbé de grandeur, drapé dans l’Histoire, mais le chef de l’Etat vieillissant, amer et ardemment combattu’’. Cette présidentielle va se révéler comme un prélude à Mai 68 et au départ du général de Gaulle, en 1969.

François Mitterrand se dit contre ‘‘contre la peine de mort’’

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L’émission ‘‘Cartes sur table’’ touche à sa fin. Sur Antenne 2, ce 16 mars 1981, Alain Duhamel interroge avec Jean-Pierre Elkabbach le candidat socialiste à la présidentielle. Elu chef de l’Etat, François Mitterrand ferait-il grâce aux détenus condamnés à la peine capitale ? ‘‘Je suis contre la peine de mort’’, répond l’invité.

Le public sur le plateau l’applaudit mais, une fois l’entretien terminé, ‘‘une dizaine de collaborateurs ou proches’’ du candidat se précipitent sur Alain Duhamel, raconte l’auteur. Ils lui reprochent ‘‘avec véhémence, avec indignation, avec grandiloquence, d’avoir médité un piège ultime pour faire trébucher leur champion’’. Mitterrand le remercie ‘‘à voix haute et de façon impérieuse’’. L’entourage du candidat change de ton et félicite le journaliste.

Après l’accession de Mitterrand à l’Elysée, l’Assemblée nationale puis le Sénat votent en septembre 1981 l’abolition de la peine capitale.

Jacques Chirac doute avant son débat avec Lionel Jospin

© abacapressVa-t-il réussir son duel télévisé contre le candidat socialiste, le 2 mai 1995 ? Au premier tour de l’élection présidentielle, Jacques Chirac est arrivé derrière Lionel Jospin. Mais il a devancé le Premier ministre, Edouard Balladur, son traître ‘‘ami de trente ans’’, longtemps en tête des sondages. Le débat avec Lionel Jospin doit être arbitré par Guillaume Durand et Alain Duhamel, co-présentateur du débat entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, en 1974. Les portes de l’Elysée semblent entrouvertes pour le maire de Paris, nouveau favori du scrutin après avoir été promis à une élimination prématurée.

Dans les jours précédant l’émission, Jacques Chirac téléphone ‘‘plusieurs fois’’ à Alain Duhamel, ‘‘non pas pour connaître l’ordre des thèmes – les deux candidats l’ont déjà en main –, mais pour passer en revue, dans le moindre détail, inlassablement, chaque élément pratique. Il est anxieux’’, se souvient l’éditorialiste.

Peu avant le début du direct, lorsque le journaliste lui rend visite ‘‘dans sa loge’’, il est frappé par son apparence. Le candidat de la droite ‘‘est blême, le visage creusé par une campagne interminable et harassante. Il me lance un regard que je n’oublierai jamais : tragique, douloureux, scrutateur’’. Finalement, aucun des prétendants ‘‘ne prend de risque’’ dans un duel ‘‘assez ennuyeux’’. Cinq jours plus tard, après deux tentatives infructueuses (1981 et 1988), Jacques Chirac est élu chef de l’Etat.

Nicolas Sarkozy admet ‘‘penser à l’élection présidentielle’’

© abacapressCe 20 novembre 2003, pendant le second mandat de Jacques Chirac, l’émission politique de France 2 s’achève. Avec esprit, Alain Duhamel interroge Nicolas Sarkozy sur une échéance encore lointaine : ‘‘Quand vous vous rasez le matin, […] vous pouvez penser à autre chose qu’au ministère de l’Intérieur. Est-ce qui vous arrive à ce moment-là de penser à l’élection présidentielle ?’’ L’invité de ‘‘100 minutes pour convaincre’’ n’hésite pas : ‘‘Pas simplement quand je me rase.’’

Après la fin du direct, Nicolas Sarkozy est aux anges, ‘‘ses invités l’applaudissent joyeusement’’, rapporte l’éditorialiste, dont la question constitue depuis un classique des interviews politiques. ‘‘L’équipe de l’émission m’entoure comme si j’étais un footballeur venant de marquer le but décisif à la dernière minute d’un match’’, poursuit l’auteur. C’est maintenant certain et public : le ministre de l’Intérieur, très présent dans les médias, populaire et frénétique, va se passer de l’accord de Jacques Chirac pour être candidat en 2007.

Le quinquennat de François Hollande prend l’eau

© abacapressAlain Duhamel croit dans les capacités de l’élu à exercer le pouvoir suprême. L’éditorialiste envisage une candidature de François Hollande à la présidentielle de 2007, avant que Ségolène Royal s’impose pour représenter le Parti socialiste.

Lorsqu’il bat Nicolas Sarkozy en 2012, cet ancien premier secrétaire du PS (1997-2008) ne bénéficie certes pas de la ferveur qui avait accompagné l’élection de Mitterrand. Mais la victoire de la gauche aux législatives donne au ‘‘président normal’’ les mains libres pour appliquer son programme.

En quelques mois, la popularité de François Hollande s’effondre. La situation économique et sociale se détériore. La majorité se fissure. ‘‘Les dissentiments se creusent et éclatent même au sein du gouvernement. Ils se multiplient, même, jusqu’à me rappeler de plus en plus le crépuscule de la présidence Mitterrand’’, remarque Alain Duhamel. Le chef de l’Etat, ‘‘parfaitement lucide sur ces dissensions’’, conserve son optimisme, précise l’auteur.

Les difficultés s’accumulent. En avril 2013, Jérôme Cahuzac avoue. Oui, l’ex-ministre du Budget détient un compte bancaire non déclaré. En réaction à cette ‘‘catastrophe’’, François Hollande, ‘‘qui est l’intégrité même’’, fait voter deux lois de moralisation.

Mais le quinquennat continue à prendre l’eau. Après l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, il n’y a pas d’union nationale comme après les attaques terroristes de janvier 2015. ‘‘Cette fois, les critiques et les polémiques se multiplient’’. Alain Duhamel en tire alors ‘‘la certitude que le quinquennat [est] fini et que la gauche [est] hors-jeu’’.

Tout s’accélère à l’automne 2016. En novembre, le chef de l’Etat est victime d’une énième trahison : son ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée et ancien ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, annonce sa candidature à la magistrature suprême. Le 1er décembre, François Hollande dit renoncer à briguer un second mandat consécutif. Cinq mois et demi plus tard, élu puis investi président de la République à 39 ans, Emmanuel Macron le raccompagne jusqu’à sa voiture, dans la cour d’honneur de l’Elysée.