Entretien avec Iliana Lolicabacapress
"Je ne dis pas non", l'histoire d'une jeune femme qui ne sait rien refuser, incarnée par Sylvie Testud. Un premier film très réussi d'Iliana Lolic. Interview avec la réalisatrice de cette comédie romantique.
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Une héroïne qui ne sait pas dire non

Comment avez-vous eu l'idée de cette jeune femme incapable de dire non ?

Iliana Lolic : "Je sais que j'ai beaucoup hésité entre un personnage masculin et une héroïne. Et il m'a semblé qu'un garçon ne sachant pas dire non serait plus pathétique qu'une fille, avec laquelle je pouvais trouver une légèreté, un ton de comédie.

J'avais aussi envie d'un film sur le manque : il constitue Adèle, l'héroïne, et se ressent dans les relations qu'elle a aux autres."

Un rôle sur mesure pour Sylvie Testud

On pourrait croire que vous avez écrit le rôle pour Sylvie Testud...

Iliana Lolic : "Pas du tout, je ne pense jamais à un acteur en écrivant. Mais ça a été pour moi une rencontre extraordinaire, le personnage lui va comme un gant : elle a la fantaisie et la gravité du rôle, le côté un peu candide, enfantin, que lui donnent son physique et ses grands yeux bleus.

C'était important, car il n'y a aucune perversion, aucune manipulation chez Adèle, mais une forme de pureté."

Un premier film autobiographique ?

"Les premiers romans sont souvent autobiographiques", dit Adèle dans le film : qu'en est-il de votre premier long métrage ?

Iliana Lolic : "Ce n'est pas le premier scénario que j'écris, même si c'est le premier que je tourne.

Et si mon tout premier récit était en effet très autobiographique, celui-ci est œuvre d'imagination. Je me reconnais forcément un peu dans ce portrait de femme, mais j'ai par exemple créé un personnage très volubile, à l'opposé de moi qui suis pudique et qui parle peu."

Comment s'est construit le film ?

« Je voulais un film dans lequel on parle beaucoup dans un premier temps, et presque pas dans son dernier tiers.

J'ai donc beaucoup dialogué le récit jusqu'au moment où l'amour est déclaré, quand il n'y a plus besoin de parler.

Cela correspondait au personnage : si on ne sait pas dire non, on ne sait pas dire oui non plus. Quand Adèle apprend à dire oui, elle passe par un moment de fragilité et de perte de contrôle, et je voulais que cela soit montré par autre chose que des mots. Car dans des moments pareils, les mots ne servent à rien.

Cette évolution se retrouve d'ailleurs dans la musique du film, de plus en plus émotive. Ce n'est pas un hasard si le compositeur est russe : ce mélange de légèreté, de mélancolie et de fantaisie correspond bien au tempérament russe me semble-t-il.

J'aimais aussi l'idée de développer des éléments de récit qui n'aient pas de lien apparent avec l'histoire, mais qui l'éclairent par écho. Par exemple, la question de l'enfant, amenée par le couple d'amis d'Adèle, puis par la petite fille de Matteo ».

Une comédie originale

Adèle est une trentenaire célibataire : un personnage devenu un classique de la comédie romantique, mais que vous prenez plaisir à éloigner du modèle lambda...

Iliana Lolic : "C'est une question que je ne me pose pas du tout quand j'écris, je n'ai aucun modèle ni contre-modèle : la seule chose qui m'importe, c'est le ressenti, la vérité d'un personnage.

J'aime beaucoup le mélodrame, et ce qu'il y a de merveilleux chez Douglas Sirk par exemple, c'est qu'en dépit de scénarios abracadabrants, la vérité de ce que ressentent les personnages est là, si bien que tout passe.

J'ai aussi beaucoup revu ''Volver'', d'Almodovar, avant de faire ce film. C'est un cinéaste qui m'inspire, peut-être parce que je suis espagnole par ma mère..."

Beaucoup d'émotion

Il y a d'ailleurs une très belle scène réunissant Adèle et sa mère dans le film...

Iliana Lolic : "Je l'ai écrite avec beaucoup d'émotion. C'était une scène pivot, Adèle qui fait une déclaration d'amour à sa mère.

A priori, quand on aime sa mère, on ne le lui dit pas, et moi, j'ai voulu qu'elle le dise. Qu'on sente qu'elle avait écrit et répété ces phrases, et qu'elle ne pourrait le faire qu'une fois... en se trompant."

Derrière l'apparente légèreté du personnage d'Adèle, on découvre aussi des choses plus graves, que vous choisissez toutefois de traiter avec humour...

Iliana Lolic : "Je ne sais pas faire autrement : dès qu'une chose est appuyée au cinéma, elle me semble très vite fausse".

Une héroïne contemplative

Adèle se caractérise aussi par un vrai goût pour la contemplation : pourquoi ?

Iliana Lolic : "Comme dans son livre préféré, ''Demande à la poussière'', c'est ce rapport à la nature qui l'empêche d'être méchante.

J'aimais aussi l'idée qu'elle ait toujours le nez en l'air car c'est la position de la prière, et une attitude courante chez les enfants : une position qui rend humble, et qui soulage aussi."

Avez-vous imaginé sa collègue comme le contrepoint d'Adèle ?

Iliana Lolic : "Oui, car je voulais un personnage qui n'évolue pas : je trouve vertigineux de voir des gens refaire sans cesse la même chose, surtout quand elle est ratée.

J'aimais aussi l'idée du papotage entre collègues : j'ai été élevée dans un environnement féminin, et j'ai toujours trouvé très joyeuses les discussions de filles."

Une galerie d'hommes amoureux

Comment avez-vous construit les types d'hommes qui entourent Adèle, tous "plus ou moins normaux" ?

Iliana Lolic : "C'est une comédie : il fallait donc que ces personnages soient rapidement identifiables, socialement autant que dans leur relation à Adèle. L'homme marié est un classique, mais il offre des ressorts de comédie. C'est aussi le seul de ses amants avec lequel elle se dispute ouvertement, avec qui elle a une vraie relation.

Pour le personnage de l'amoureux malheureux, je voulais montrer à quel point, quand on couche avec une fille qu'on aime et qui ne sait pas dire non, on peut croire qu'elle aime en retour...

Pour ce personnage, j'avais Laurent Stocker en tête depuis longtemps. C'est un acteur merveilleux, dont le visage lunaire fait passer la passion autant que la candeur : il n'y a qu'à voir le ressenti avec lequel il dit "parce que je t'aime" à Sylvie, c'est quelque chose de très difficile à faire.

Le patron d'Adèle incarne une sorte de figure paternelle, tandis que le jeune délinquant est un peu le double d'Adèle en négatif : une version d'elle qui aurait mal tourné. Pour l'interpréter, je voulais un acteur qui soit beau, mais surtout, qui ne soit pas immédiatement effrayant : un visage d'ange que j'ai trouvé avec Nicolas Giraud."

Une amitié homme-femme

Que représente Matteo par rapport à ces hommes ?

Iliana Lolic : "Je crois que si un homme et une femme s'attirent réciproquement - comme c'est le cas pour Adèle et Matteo - et qu'ils ne couchent pas ensemble, il se développe une étrange intimité, très rapide et très forte, comme des amants qui transitent par un autre échange. Cette idée que "l'amitié libère" est une chose très positive, capitale pour Adèle, prisonnière des échanges amoureux."

Pourquoi un héros italien en la personne de Stefano Accorsi ?

Iliana Lolic : "Je tenais beaucoup à un étranger, car je voulais qu'Adèle - elle-même un peu "autre" dans sa façon de vivre - se sente libre avec quelqu'un qui fonctionne autrement.Cela me semblait bien correspondre à cette histoire. J'aime beaucoup les Italiens, car ils jouent avec leur corps, ils sont très expressifs. Comme le personnage de Matteo est souvent assis, le choix d'un Italien amenait une grande vivacité dans le jeu, quelque chose de physique qui me plaisait.

Je savais que Stefano parlait couramment le français - c'était essentiel pour une comédie, qui repose beaucoup sur le rythme - et c'est un merveilleux acteur : on comprend qu'on tombe amoureuse de lui !"

Le café, un décor essentiel

Le café tient une place importante dans la relation qu'entretiennent Matteo et Adèle : était-ce un décor de cinéma qui vous faisait particulièrement envie ?

Iliana Lolic : "Non, je tenais simplement à un endroit neutre, pour que Matteo et Adèle se voient sans se donner rendez-vous.

Il fallait que leurs rencontres soient apparemment fortuites. J'aimais aussi l'idée qu'elles se passent le matin : on ne se parle pas de la même façon en début de journée, la parole a plus d'importance, car elle n'a pas encore été prononcée..."

Comme beaucoup de premiers longs métrages, Je ne dis pas non a été tourné en 4 semaines, et avec un budget réduit : comment avez-vous vécu ces contraintes ?

Iliana Lolic : "C'est mon premier film, j'ai donc simplement accepté ce que l'on me donnait ! Mais je me suis énormément préparée en amont : je suis arrivée sur le tournage avec un découpage très précis, je savais exactement ce que je voulais faire et je voudrais souligner le beau travail de Wilfrid Sempé, le chef opérateur, qui travaille vite et apprécie l'urgence. Et puis cette économie de moyens correspondait finalement à la simplicité avec laquelle je voulais filmer, sans effets.

Si bien que le tournage a été très joyeux : les gens qui étaient là l'étaient par ce qu'ils en avaient envie."

Un film de femme ?

Diriez-vous que vous avez réalisé un film de femme ?

Iliana Lolic : "Non, je l'ai écrit et réalisé en tant que cinéaste."