Quesada, Daval… Quand les accusés sont présentés comme les victimesChristian Quesada, capture vidéoCapture vidéo
En France tous les trois jours, une femme est tuée par son conjoint ou son ancien compagnon. Pourtant, dans de multiples affaires, les agresseurs bénéficient de davantage d'empathie… Quand ils ne sont pas tout simplement présentés comme les victimes.
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Féminicides, agressions sexistes ou sexuelles : les hommes, régulièrement présentés comme les victimes ?

"Accablé de toutes parts", en train de vivre "un véritable enfer"... Certains titres de presse ne manquent pas de mots pour nourrir une certaine forme d’empathie à l’égard de Christian Quesada. Dans l’attente de son jugement, l’ancien champion des 12 Coups de Midi est pourtant incarcéré à la prison de Bourg-en-Bresse, pour "détention d’images pédopornographiques" ainsi que pour "corruption de mineur". Il fait également l’objet d’une plainte pour "agression sexuelle" et a été condamné à plusieurs reprises pour des faits similaires dans les années 2000. Il a notamment écopé de peine de prison avec sursis, rappelle Ouest France

"Sachez en tout cas qu’il ne va pas bien, Christian Quesada. Pour lui c’est très compliqué alors on ne va pas le plaindre, bien entendu, mais voilà. C’est vrai qu’il va très mal actuellement", précise tout de même Cyril Hanouna sur l’ancienne coqueluche de l’émission de Jean-Luc Reichmann. Comme si c’était là ce qu’il fallait contextualiser, comme si c’était sur Christian Quesada qu’il fallait attirer la sympathie. Une attention qui, même sans viser à le plaindre assure Hanouna, vient quand même minimiser l’impact des accusations.

L’ancien "maître de Midi" est loin d’être le seul à bénéficier d’un traitement médiatique aussi conciliant. Difficile de ne pas penser, par exemple, à l’affaire Daval. Jonathann Daval, mis en examen pour "meurtre sur conjoint", a reconnu avoir tué son épouse Alexia lors d’une dispute, indique France 3. Il n’empêche ! Il est "dévoré de l’intérieur", souligne Vosges-Matin, non sans évoquer son état de santé "très préoccupant"... Ce que fit aussi Planet, qui, comme de nombreux autres journaux, a repris l'information. Pis encore : certains articles pointent du doigt les "violences verbales" que lui aurait infligées sa compagne. On lui reproche des SMS "violents" dans lesquelles elle traitait son mari "d’impuissant", on dit d’elle qu’elle avait une "personnalité écrasante"... Quand l’avocat de l’accusé ne va pas jusqu’à la présenter comme la conjointe violente. "Alexia, en période de crise, pouvait avoir des accès de violence extrêmement importants à l’encontre de son compagnon", assurait le conseil de l’informaticien. Ce n’est pas lui qui est mort.

"Très souvent, on cherche des excuses ou des justifications aux agresseurs. En 2017, un fonctionnaire de police avait assassiné son épouse ainsi que deux de ses cinq enfants. Cela n’a pas empêché Le Parisien de le présenter comme un ‘papa poule’", pointe du doigt une bénévole du collectif Féminicides par compagnons ou ex". Les membres s’étaient alors mobilisées pour faire retirer l’article, mais c’est la page de leur groupe qui a été fermée pendant une journée.

Un comportement que Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les violences sexuelles et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, constate également. "Ce genre de traitement médiatique est, en effet, très fréquent. Il vise à minimiser la gravité des agressions comme des meurtres, à en excuser les auteurs. Très souvent, il présente les victimes comme responsables de ce qui leur est arrivé. C’est pour lutter contre ça qu’on monte au créneau", explique-t-elle. "Cette façon de présenter les agresseurs n’est pas sans impact sur la société : ça se ressent notamment dans les tribunaux, mais pas que. Cela touche aussi une partie de la population", ajoute d’ailleurs l’administratrice du collectif.

Féminicides, agressions sexistes ou sexuelles : ces autres agresseurs qui sont diabolisés

Tous les hommes accusés de féminicide - c’est à dire d’avoir tué une femme pour sa condition de femme - ne sont pas présentés comme des victimes. Certains, à l’inverse, sont présentés comme de vrais monstres qui n’auraient presque plus rien à voir avec le reste de la société. C’est notamment le cas du "tueur de la gare de Perpignan", Jacques Rançon. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans pour le meurtre de plusieurs femmes, il est dépeint comme un "monstre froid" qui n’a "aucune pitié pour ses victimes", minutieux dans la façon dont il mutilait les corps. "Cela fait trente ans que je fais ce métier et je n’ai jamais vu ça", déclarait d’ailleurs le directeur interrégional de la PJ de Rennes, indique Ouest-France.

Là encore, ce type de traitement médiatique n’est pas anodin, explique Muriel Salmona. "Cette façon de parler des agresseurs comme de véritables croque-mitaines permet de catégoriser les violences, d’expliquer qu’elles ne sont le fruit que de certains milieux sociaux, de certaines ethnies — en bref, qu’elles ne peuvent être le fait que de certaines personnes, souffrant d’addiction ou de maladie, par exemple. Cela permet de masquer la dimension systémique de ces violences", explique la psychiatre.

"Certaines psychoses sont parfois avancées pour justifier le comportement des agresseurs. C’est d’autant plus injuste que la plupart des individus souffrant de telles pathologies s’en prennent à eux-mêmes plutôt qu’aux autres. Les meurtriers ne sont pas des malades mentaux. C’est probablement ce qui effraie les hommes et les pousse à mettre des oeillères", estime pour sa part la bénévole du collectif "Féminicide par compagnons ou ex". "Il y a une certaine difficulté des hommes à assumer leur situation de privilégiés. Certains le reconnaissent et tentent de changer de comportement tandis que d’autres, qui nient la réalité de ces violences, hurlent au complot féministe. Ces différents traitements permettent de masquer un statut de dominants", poursuit la présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.

Féminicides, agressions sexistes et sexuelles : l’humour, une arme dangereuse au service du discours agresseur ?

"Océane a été sévèrement ‘boxée’ par son compagnon boxeur médaillé", titrait La Dépêche en mars 2019, à propos d’une femme battue par son conjoint. Plus tard dans le mois, c’est Le Maine Libre qui décrit un violeur incestueux récidiviste comme un "papy récidiviste", rappelle le site Les mots tuent, qui recense certains des titres problématiques et indignes qui trônent au sommet d’articles souvent aussi ambigus. En moyenne, une femme est tuée tous les trois jours par son conjoint ou de son ancien compagnon en France, rappelle L'Obs. Pourtant, il n’est pas rare que le sujet soit abordé avec humour ou habillé de jeux de mots…

"Là encore c’est loin d’être anodin : l’humour est instrumentalisé pour masquer la souffrance des victimes et la gravité des violences qui sont perpétrées à leur encontre", assène Muriel Salmona, dont le constat est partagé par le collectif "Féminicides par compagnons ou ex". "D’une façon générale, dans une société machiste comme la nôtre, on plaisante beaucoup sur le corps des femmes. C’est mécanique : il est nécessaire de les dénigrer pour pouvoir les objectifier et maintenir l’oppression qui pèse sur elles", explique l’une des administratrices de la page qui ne manque pas de rappeler que, pour discréditer les femmes et les forcer à se taire, l’insulte est une autre arme très souvent employée.

Parce que c’est là l’enjeu : faire taire les victimes, les effacer. Et, hélas, la technique fonctionne assez bien… "Il est très difficile d’être entendu quand la réponse vise à tourner en ridicule la situation. Ce discours agresseur, chargé de mépris, qui consiste à dire que les féministes et les victimes n’ont pas d’humour est complexe à contrer’", rappelle la psychiatre qui n’hésite pas à non plus à pointer du doigt son importance dans le déni général qui prévaut, en matière de violences faîtes aux femmes. "La situation est d’autant plus inquiétante que cette rhétorique imprègne la société. C’est pour cela que, spontanément, on développe certains réflexes sexistes qui sont eux aussi difficile à combattre et à déconstruire", poursuit la présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.

Féminicides, agressions sexistes et sexuelles : les hommes protégés par tout un ensemble de mécanismes sociaux ?

"Il ne faut pas sous-estimer la persistance dans nos sociétés de cette idée que la femme n’a pas tout à fait la même valeur que l’homme", déclarait en 2014 Najat-Vallaud Belkacem, ministre des Droit des femmes, dans les colonnes de Paris Match. C’est de ce postulat que découle le traitement réservé aux femmes — et par conséquent celui accordé aux hommes, y compris quand ils s’avèrent être des agresseurs, des harceleurs, des assassins ou des meurtriers.

"La société Française est machiste, c’est un état de fait", estime la bénévole du collectif "Féminicides par compagnons ou ex" pour qui il existe une certaine "haine des femmes sous-jacente". "Quand elles s’expriment sur les violences qu’elles subissent, les femmes sont traitées de menteuses, décrites comme des manipulatrices. Elles feraient ça pour s’en prendre à l’homme, celui qu’il n’est pas permis d’attaquer. Les hommes sont intouchables, comme l’ont très bien expliqué l’avocate Yael Mellul et l’autrice Lise Bouvet dans leur livre Intouchables", poursuit-elle. "Sans dire des Etats-Unis qu’ils sont plus avancés que nous, j’ai souvenir d’une femme américaine qui m’expliquait que son compagnon avait été incarcéré dans la soirée après l’avoir giflée. Le traitement n’est pas le même…", explique encore l’administratrice de la page.

La solidarité qui existe entre les hommes contribue elle aussi au problème. "L’homosocialité qui existe chez les hommes les pousse à prendre parti pour un agresseur plutôt que pour une victime. C’est en partie pour cela que les hommes se trouvent systématiquement des excuses", complète la bénévole.

"Notre société repose sur une hiérarchisation de la valeur des individus. Les femmes sont considérées comme moins importantes. C’est dans ce cadre-là que s’exercent les inégalités qu’on sait et l’organisation de leur domination par les hommes, de façon systémique. Ils bénéficient de privilèges et de droits dont certains s’exercent directement sur les femmes",  précise encore Muriel Salmona. "Les violences conjugales en sont l’illustration : l’homme dispose d’un droit sur le corps de la femme et même sur sa vie. Dans l’intimité du couple, la justice ne s’exerce pas de la même façon, puisque l’on n’hésite pas à parler de ‘crime passionnel’ pour ce qui, de facto, est un crime", poursuit la psychiatre pour qui, encore une fois, l’objectif est de maintenir l'oppression qui pèse sur les femmes. "Parce que les hommes ont droit à la violence dans certains cadres, il apparaît logique que les femmes soient soumises : elles se seront exposées aux agressions qu’elles subissent", dénonce la présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, démontant la logique fallacieuse sur laquelle s’appuie notre modèle.

Féminicides, agressions sexistes et sexuelles : ce que devraient faire les médias

En matière de violences faites aux femmes, la responsabilité des médias n’est plus à prouver : ils entretiennent le déni qui contribue, chaque jour, à tuer davantage de personnes. Il est donc nécessaire qu’ils revoient la façon dont ils traitent ce genre de sujets. "Il est essentiel que la presse réalise le rôle pédagogique qu’elle devrait assumer", commence le collectif. "En abordant ces sujets de cette façon, on conforte les gens dans des idées dangereuses, qui vont jusqu’à justifier ces violences", poursuit-il.

"A force de batailles, les médias ont fait des progrès. Mais il reste encore beaucoup à faire", juge pour sa part Muriel Salmona. "Il est important qu’ils tiennent des propos sans ambiguïté et qu’ils emploient les termes réels : le meurtre d’une femme est un féminicide, pas un crime passionnel. Tenez-vous en aux faits", explique-t-elle encore au micro de Planet.

"Par ailleurs, il est important de contextualiser, rappeler les chiffres, le rapport de domination qui s’exercent et les privilèges dont bénéficient les hommes. Il est indispensable de démonter les discours hasardeux que peuvent tenir certains individus qui se font le relai de la rhétorique agresseur. Sans oublier de décrypter certains mécanismes traumatiques comme le contrôle coercitif ou l’emprise que peuvent exercer les agresseurs sur les victimes", détaille la psychiatre, qui contribue d’ailleurs à former les magistrats. "Il faut rappeler que les victimes ne sont pas responsables des violences qu’elles subissent et que partir les mets en danger : c’est au moment de la séparation ou peu de temps après que se déroulent la plupart des féminicides. Il est primordial de dire ces choses-là, de rappeler combien on méconnaît la réalité des violences qui sont perpétrées à leur encontre, les menaces qui pèsent sur elles", précise la présidente de Mémoire Traumatique et Victimologie. Non sans poursuivre : "Enfin, il faut dire et redire l’importance d’évaluer le danger, questionner les victimes pour ne plus être dans le déni et les protéger."