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L'un des terroristes qui a participé aux attentats du 13 novembre à Paris s'était fait passer pour un réfugié à son arrivée en Grèce. Cette crainte d'une infiltration avait été soulevée par certains, parfois accusés de "fantasmer".

La question qui se pose maintenant, une semaine après les attentats de Paris, est la suivante : combien d’autres futurs terroristes ont pu s’infiltrer parmi le flot de migrants ?

Car il ne fait plus de doutes que l’un des terroristes a emprunté la route des migrants pour se rendre en Europe afin de rejoindre le commando qui a ensanglanté les rues parisiennes vendredi 13 novembre.

Le terroriste a facilement obtenu le statut de demandeur d’asile

L’un des trois kamikazes qui se sont fait exploser aux abords du Stade de France, avait en effet sur lui un passeport syrien au nom d’Ahmad al-Mohammad. Or, les enquêteurs sont persuadés que le kamikaze ne se nomme pas ainsi mais qu’il a acheté ce faux passeport syrien pour se faire passer comme tel. Une chose est sûre : les empreintes papillaires de kamikaze concordent bien avec celles relevées sur un homme qui a été enregistré sur l’île grecque de Léros, le 3 octobre dernier.

Selon plusieurs médias grecs, le futur terroriste se trouvait ce jour-là à bord d’une embarcation de migrants qui a sombré au large de l’île de Léros. Lui et les migrants ont alors été secourus par les autorités grecques puis enregistrés. Mais sur place, il n’y avait pas assez de personnels pour authentifier tous les passeports. L’homme a donc facilement obtenu le statut de demandeur d’asile qui lui a permis de gagner le surlendemain Athènes, puis le 7 octobre la Serbie, et le lendemain la Croatie. C’est à ce moment-là que l’on perd sa trace, l’homme aurait ensuite transité par la Hongrie puis l’Autriche avant de se rendre à l’ouest de l’Europe.

Le trafic de faux passeports syriens

Si pour l’instant, on ne sait pas encore si le passeport a été falsifié, tout le laisse penser. Il semblerait, selon l’AFP qui l’a appris d’une source proche de l’enquête, que le passeport au nom d’Ahmad Al-Mohammad, né le 10 septembre 1990 à Idleb (Syrie), corresponde à celui d’un soldat mort de Bachar el-Assad. Deux hypothèses : soit le passeport a été récupéré, soit il a été copié à partir du véritable passeport du soldat.

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Quoi qu’il en soit, un trafic de faux passeports syriens a bien lieu dans la zone en conflit, autour de la Syrie et de la Turquie. Il y a quelques mois, Harald Doornbos, un journaliste néerlandais du journal Nieuwe Revue, avait mené son enquête et avait ainsi pu obtenir un passeport syrien pour 750 euros en moins de deux jours. Au début du mois de de septembre, Fabrice Leggeri, le patron de l’agence de surveillance des frontières extérieures européennes (Frontex) avait révélé sur Europe 1 un trafic de faux passeports en Turquie, qui apparaissaient comme une aubaine pour leurs détenteurs "puisque les Syriens obtiennent le droit d’asile dans tous les Etats membres de l’Union européenne."

Christian Estrosi et le FN avaient mis en garde

Une crainte que l’actuelle tête de liste (les Républicains) dans la région PACA, Christian Estrosi, avait soulevée sur France Info le 11 aout dernier. "Parmi les migrants, nous avons des terroristes de Daech qui s’infiltrent (…) Nous le savons, les services de renseignements ne cessent de nous alerter là-dessus.", avait-il soutenu à l’époque. Une phrase qui, à l’instar de celle prononcée sur "la cinquième colonne" islamiste en France, lui avait valu de nombreux procès en "fantasmagorie". La même crainte avait été formulée par le Front national, de Marine Le Pen déclarant en 2012 : "Combien de [Mohamed] Merah dans les bateaux qui arrivent en France ?" à Florian Philippot, redoutant le 10 septembre dernier sur BFMtv  que parmi les migrants fuyant la Syrie se cachent de "futurs Coulibaly", du nom du terroriste islamiste qui a fait avec les frères Kouachi les attentats du 11 janvier à Paris.

De même, de nombreux médias internationaux avaient relevé ce risque à l’image du site américain Buzzfeed, qui avait réalisé une interview en janvier dernier d’un combattant de l’Etat islamique (EI) qui affirmait que l’organisation terroriste avait envoyé près de 4 000 djihadistes "en Europe pour être prêts" à faire des attentats.

Et maintenant ?

Depuis les révélations du parcours du kamikaze, la presse est montrée du doigt pour avoir négligé (par bonne conscience ?) l’hypothèse d’une infiltration djihadiste parmi les migrants. Parmi eux, le site d’extrême droite Fdescouche qui reprend tous les articles de presse qui parlaient d’un "fantasme" et Christian Estrosi qui a choisi de s’attaquer à France Inter dont l’un des articles traitant du sujet, publié le 14 septembre, a depuis vu son titre modifié.

Quant au Front national, Marine Le Pen a demandé lundi "l’arrêt immédiat de tout accueil de migrants" et de "leur dispersion dans les communes de France", par précaution. Du côté des Républicains, Nicolas Sarkozy aurait dit en privé "Schengen est mort" et se serait déclaré pour un rétablissement des frontières, selon Le Point.

Les autorités semblent avoir pris la mesure de la situation puisque Bernard Cazeneuve a appelé jeudi à un renforcement de la coopération entre pays européens. Le lendemain à Bruxelles, suite à une réunion avec ses homologues européens, le ministre de l'Intérieur a annoncé que la Commission européenne proposerait une révision des règles de l'espace Schengen "d'ici la fin de l'année". I l a aussi annoncé que le contrôle aux frontières de la France durerait "aussi longtemps que la menace terroriste le nécessitera". 

Alors que trois millions de migrants sont attendus en Europe d’ici 2017, selon l’agence de surveillance des frontières européennes (Frontex), ceux qui sont déjà là craignent qu’après ces révélations, leur destin sur le sol européen ne tourne court. Ainsi de ce Kurde, interrogé par Le Parisien à Calais : "Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar. Plus personne en Europe ne va vouloir de nous…"

"Il nous manque 300 personnes pour contrôler les migrants en Grèce"

Contactée par Planet.fr en septembre dernier, Ewa Moncure, une responsable de Frontex, se voulait rassurante à propos d’infiltrations djihadistes parmi les migrants, dénonçant toutefois un manque de personnels pour les contrôles. De nouveau contactée jeudi, la responsable nous explique que des efforts avaient pourtant été faits depuis. "Nous avons récemment envoyés en Grèce plusieurs experts, aidés de traducteurs, chargés de questionner les migrants et de vérifier l’authenticité de leur passeport."

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Malgré ces contingents d’experts, ceux-ci ne sont toujours pas en nombre suffisants. "Nous manquons toujours de personnels que nous avons demandés aux Etats membres…", nous dit-elle ; car l’agence Frontex n’est pas indépendante, elle est uniquement chargée de la coopération entre pays européens. "Il nous manque 300 personnes en Grèce", ajoute-t-elle. Un déficit qui a été fatal puisqu’il semble bien qu’il n’y avait pas encore d’expert de Frontex sur Léros - minuscule île grecque "où peu de personnes arrivent" - et où le terroriste a débarqué avec un bateau de migrants.

Une fois passés les maigres contrôles, "Ahmad al-Mohammad" s’est ensuite retrouvé dans l’espace Schengen. Le terroriste a alors pu rejoindre facilement la France, passant outre les frontières… qui n’existent plus. "Il faut l'admettre,Schengen est une passoire", a confirmé à l’AFP un ancien haut responsable des services de renseignements français.

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