INTERVIEW. Ce lundi 9 mars, les cours boursiers, "contaminés" par le covid-19, se sont effondrés. Le coronavirus va-t-il littéralement plomber les marchés ? Doit-on s'attendre à une crise financière de grande ampleur ? Frédéric Farah, économiste et chercheur à Paris I, analyse cette préoccupante situation.
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Le 9 mars 2020 est un lundi noir. Après une semaine d’agitation, les Bourses mondiales ont dégringolé. En une journée, la pire depuis 2008, les valeurs boursières parisiennes ont chuté de 8,39%. Alors que le coronavirus poursuit sa propagation dans le monde, il engendre également la menace d’une nouvelle crise financière. Le risque de contagion à l’économie mondiale est palpable.

Si ce mardi 10 mars au matin, les places européennes ouvraient en hausse, peut-on craindre un réel krach boursier ? Quels en seraient les effets ? Frédéric Farah, économiste et chercheur affilié au laboratoire PHARE, à Paris I, a répondu à nos questions.

Pourquoi les bourses mondiales ont-elles autant chuté ce lundi ?

Frédéric Farah. Nous assistons dans ce mouvement boursier à une réelle connexion entre l’économie réelle (production, consommation et répartition) et l’économie financière. Normalement, la finance devrait être liée à l’économie réelle. C'est en effet un intermédiaire qui apporte des financements à l’économie. Or, depuis la fin des années 70, elle tourne pour elle-même et n’a pas juste pour objectif de fournir les liquidités dont a besoin le secteur productif. Elle est devenue une activité pour elle-même. La connexion entre les deux est donc d’habitude moins courante.

Mais aujourd’hui, une partie de l’économie mondiale, qui est chinoise (20%), est quasi en état d’arrêt. Deuxièmement, l’effondrement de 30% du prix de baril de pétrole a envoyé de très mauvais signaux. Les États-Unis sont pris dans la tourmente, car cette violente baisse peut engendrer la faillite de grands groupes pétroliers, déjà très endettés.

De plus, les marchés, qui ont une tendance à la surréaction, voient bien que l’impact sur l’Europe, avec la mise en quarantaine ce dimanche du cœur industriel de l’Italie (représentant 36% de son PIB et 55% de la production industrielle) va être énorme. Elle est en effet la 3e plus grosse économie de la zone.

La France peut aussi être considérablement touchée par ce comportement "très moutonnier  d’Animal spirit". Il y a une espèce d’effet domino. A ce paysage lié au coronavirus, qui provoque les inquiétudes et les peurs, s’ajoute une "guerre pétrolière" entre l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis. Cela créé une fragilité, donc une fébrilité menant à une volatilité.

Même si le mouvement des marchés ne le traduit pas toujours, l’édifice financier, derrière l’apparent dynamisme, a ses fragilités. Le système, après 2008, n’a pas totalement réglé ses problèmes. L’intervention massive et coordonnée des banques centrales après 2008/2009 a eu pour effet de retarder véritablement l’assainissement des bilans bancaires, puisque nous avons injecté toutes les liquidités nécessaires pour les sauver.

Les grosses banques européennes, les géantes allemandes, la Commerzbank et la Deutsche Bank, ne sont pas non plus dans des positions extrêmement rassurantes. Elles ont en effet pris des positions sur le marché très risquées et sont enclines à lancer des signes forts préoccupants. Il y a une montagne de dette prélevée qui s’est accumulée.

Des éléments plus anciens (fragilité de certains acteurs) et immédiats, sur lesquels les marchés réagissent aujourd’hui (pétrole, coronavirus…) ont mené à cette situation.

Les perspectives de profit et l’embellie économique semble donc très menacée.

Planet. Le risque d’une crise financière majeure est-il envisagé ?

Frédéric Farah. La manière dont les cours dévient se rapproche de 2008/2009 mais nous n’en sommes pas encore-là. Ce n’est toutefois pas impossible. Nous pouvons en effet assister à une vraie paralysie de l’économie mondiale, provoquant une crise financière. Certains l’avaient pensée, en l’a voyant venir via la dette des étudiants américains, la fragilité des banques allemandes, ou encore via la croissance artificielle survenue après 2008/2009.

Mais l’économie est liée à l’incertitude radicale. Si nous avions dit il y a quelques mois qu’un virus mal connu et mal maîtrisé allait engendrer une peur générale et provoquer la paralysie de l’économie mondiale, seuls certains opérateurs avisés auraient pu y croire. Les autres auraient cru à une blague.

Pour répondre à cette question, la crise doit d’abord être abordée en 3 questions : d’où vient-elle, comment se propage-t-elle, comment réagir ?

Peut-on arriver à krach boursier ?

Frédéric Farah. Elle peut venir d’une paralysie des chaînes de production, de la tension pétrolière et commerciale entre la Chine et les États-Unis, d’une économie mondiale "sous grippe" ; et donc d’une réaction très vive des marchés due à l’interpénétration de l’économie et des mécanismes financiers se mettant en place : effets dominos, montagnes de bulles spéculatives (actifs, immobilier) qui éclatent. L’hypothèse d’un krach boursier est donc tout à fait crédible.

Il faut également garder à l’esprit que le fonctionnement du marché se fonde sur l’opinion. La question est de savoir qu’elle est l’opinion moyenne ? C’est à partir de celle-ci que tout va se décider.

Quels sont les pays européens qui pourraient être les plus fragilisés ?

Frédéric Farah. L’interrogation est la suivante : comment les acteurs du marché vont-ils réagir les uns par rapport aux autres ? Comment vont-ils juger ou jauger la situation ? Il peut y a avoir un emballement si par exemple en France, nous sommes pris dans la tourmente et entrons en zone 3.

L’Allemagne déclare aussi plus qu’elle ne le dit aujourd’hui la situation problématique sur la part industrielle. L’impact sur l’Allemagne peut être conséquent, car son modèle de croissance commence à fatiguer.

Le Portugal entre également dans la bourrasque avec la multiplication du nombre de patients atteints du coronavirus. Les effets sur sa production sont à surveiller.

L’Italie, déjà fragilisée par son adhésion à l’Euro, sera la plus touchée. Le niveau de vie, déjà en dessous de la moyenne depuis 1999, risque encore de décroître. Le coût sur son économie va en effet être très élevé.

Pourrait-il alors y avoir une sortie "accidentelle" de l’Euro ? Même si personne ne le souhaite, on peut le penser.

En France, nous entretenons un rapport étroit avec l’Italie. L’impact peut donc être considérable. D’autre part, la reprise de l’emploi dans l’Hexagone est précaire et fragile. Notre système de santé va supporter un choc terrible. Le paysage peut donc amener à la crise. Il faut être prudent mais cela ne me paraît pas impensable.

Que se serait-il passé en France si la réforme des retraites était en vigueur ?

Frédéric Farah. Si la réforme des retraites existait aujourd’hui avec le conseil de la règle d’or, l’effet sur les retraites serait catastrophique. Car l’idée est, qu’en cas de choc économique, l’ajustement doit se faire sur les pensions, pour maintenir le système à l’équilibre.

Ce serait donc la double mort pour les retraités : en plus d’être plus vulnérables à l’épidémie, les personnes âgées auraient vu leur pension chuter.

Comment endiguer cette crise ?

Frédéric Farah. La réponse qui pourrait revenir et qui a montré toutes ces limites, est l’action coordonnée des banques centrales. Elle a effectivement joué un rôle positif dans une certaine mesure, mais a en même temps fabriqué des bulles spéculatives. Elle a en réalité maintenu artificiellement une stabilité financière sans jamais complètement relancer l’économie européenne.

La banque centrale pourrait alors briser le tabou allemand et réaliser un coup de force. Comment ? En intervenant en Europe sur le marché primaire des dettes et non sur le marché secondaire, afin d’éviter les spéculations sur la dette des Etats.

Mais à part son arsenal de mesures conventionnelles dont nous avons vu les limites, elle a déjà tout fait.

Aujourd’hui, pour empêcher cette propagation, il faudrait consentir à abandonner des dogmes de déficit et de dettes, et entrevoir quelque chose de pourtant inenvisageable au niveau européen : s’asseoir sur le traité de Maastricht et réaliser un soutien massif.

Pour que cela marche, il ne faut toutefois pas mettre la charrue avant les bœufs. La crise sanitaire doit d’abord impérativement être réglée. Car si vous relancez l’économie alors que tout le monde tombe malade, injecter des milliards pour des gens qui vont rester confiner à la maison, et qui donc ne consommeront pas, est inutile.

Il faut alors envoyer des messages au marché et aux acteurs de l’économie en disant que la crise sanitaire doit être résolue avant que cela ne devienne incontrôlable. Aujourd’hui, nous n’avons pas assez de lits nécessaires dans les hôpitaux (mis à sec ces dernières années en France, en Italie, au Portugal…), en cas de pandémie.

Il convient d’apporter un soutien nécessaire en termes de trésorerie, de cotisations et aides aux PME. Et ce, sans tenir compte des déficits et des dettes. L’Italie en a un besoin fou. Il ne faudrait pas que les banques se retrouvent avec des défauts de crédit qui augmentent ; car le poumon industriel italien est en train de mourir.

La réponse en tant que telle est donc difficile à trouver, surtout si l’Europe ne veut pas quitter ses dogmes habituels. Comme aujourd’hui les Etats se financent principalement auprès des marchés boursiers, si ceux-ci se détournent de la dette publique, la problématique demeure grande.

L’Europe pourrait-elle être menacée ?

Frédéric Farah.Je me demande si elle survivrait. L’Europe a besoin de réviser sa doctrine au plus vite. Elle est adaptée pour un monde sans conflit et sans histoire. En somme, elle souhaite être une retraitée de l’histoire.

Or, à travers ce virus, nous voyons toutes les limites d’une organisation économique. La politique guidée par le marché est un échec. Il n’y a aucune coordination européenne face à cette question. Selon moi, la réponse européenne n’est pas la bonne. Car malgré l’addition des pays, si la qualité d’une coopération de l’ensemble est absente, mauvaise ou dégradée, ce sera le chaos.

27 pays additionnés n’ont jamais fait, contrairement à ceux que l’on pense, une souveraineté commune, une puissance. C’est aussi idiot que de penser qu’une société est juste faite de l’addition de ses membres.

Pour sortir de la crise, si vraiment l’économie européenne est à la paralysie totale, il convient alors de s’asseoir sur tous les dogmes et engager de vastes plans de reconstruction qui pourrait effrayer Bruxelles : nationalisation, relance massive.... Cela pourrait très vite relancer l’activité comme au lendemain de la guerre.